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La déportation imminente d’Emmanuel Toto Constant

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Comme c’est devenu assez courant, il ne manque pas de mauvaises nouvelles à défrayer la chronique au pays. Au cours de la semaine écoulée, par exemple, il est de plus en plus question de la date exacte de la fin du mandat présidentiel en cours. 7 février 2021, selon les termes de la Constitution amendée, ou 7 février 2022, comme le voudraient le Président et son cortège de supporteurs, avoués ou inavoués? Le dernier mot, sur ce dossier, ne sera pas nécessairement le mot du Droit ou de la Constitution. Comme le dit un vieil adage haïtien qui s’est maintes fois vérifié dans notre réalité: «Konstitisyon se papye, bayonèt se fè». Dans une de ses dernières émissions à Radio Kiskeya, le Directeur Général de cette station, M. Marvel Dandin, a rappelé ce dicton à mes souvenirs, justement en opinant sur cette brûlante question. Il y a aussi la reptation progressive de la COVID-19, désormais sur toute l’étendue du territoire haïtien, touchant les dix départements, à des degrés divers. Ce sont autant de sujets qui vont rester dans le paysage encore pour un bon bout de temps et dont on reparlera, un peu plus tard. Dans l’immédiat, un nouveau sujet bouscule un peu l’actualité. Tout compte fait, il ne s’agit pas vraiment d’un dossier éminemment important. Il y a tellement de gens qui se retrouvent dans cette situation que, normalement, ce serait un fait divers, parmi tant d’autres. En l’occurrence, il s’agit de la déportation imminente d’Emmanuel Constant, des geôles américaines où il coulait un séjour paisible et monotone, depuis environ 10 ans, vers sa terre natale, Haïti. Il ne s’agit plus d’un cas banal de déportation d’un immigré mésadapté dans son pays d’adoption, qu’on nous retourne, comme un colis encombrant, à son expéditeur. Il s’agit d’un criminel notoire, déjà condamné par contumace dans le pays où il a vu le jour et dont les conditions de retour sur la terre où il a déjà sévi, sont encore mal définies.

Pour commencer, il importe d’établir le profil de cet individu: Emmanuel Constant, alias Toto Constant. Pour l’exercice, j’emprunterai les informations colligées sur le site WIKIPÉDIA. J’imagine qu’elles sont assez neutres, pour ne pas comporter trop de biais à son égard.

«Notes biographiques

Naissance: le 27 octobre 1956, à Port-au-Prince, Haïti

Nationalité: haïtien (ne)

Activités: criminel, diplomate, entrepreneur, homme politique

Autres informations

Parti politique: Front pour l’Avancement et le Progrès Haïtien (FRAPH)

Condamné pour: crime contre l’humanité, «mortgage fraud» (anglais)»

En bref, et de façon très synthétique: «ecce homo». Cependant, point n’est besoin de gratter profondément pour un portrait un peu plus parlant du personnage. Toutes les Haïtiennes et tous les Haïtiens de plus de 35 ans en ont entendu parler, à un titre ou à un autre. Avec Louis-Jodel Chamblain, il est le co-fondateur du FRAPH, ce «parti politique» créé «au lendemain du coup d’État du 30 septembre 1991, pour suppléer les FAd’H». Cet acronyme: FRAPH, originalement, signifiait: Front Révolutionnaire Armé pour le Progrès d’Haïti. Par la suite, le FRAPH a été rebaptisé: Front pour l’Avancement et le Progrès d’Haïti, afin de devenir un peu plus fréquentable pour ses bailleurs de fonds internationaux, de l’époque. Après tout, personne, aucune Agence internationale digne de ce nom, devant rendre des comptes à des autorités légalement constituées de leur pays, aucune instance internationale ne voudrait entretenir officiellement un lien quelconque avec une organisation ouvertement criminelle. Toutefois, sous le couvert de l’Avancement et du Progrès d’Haïti, tout devenait possible. Un peu de maquillage, cela ne peut pas faire de tort. Mais les activités publiques et largement publicisées de ce parti politique particulier, ne laissaient de place à aucun doute, quant à sa mission. Aussi, après «le retour à l’ordre constitutionnel, le 15 octobre 1994,» le FRAPH devenait alors obsolète. C’était à croire que l’Avancement et le Progrès d’Haïti ne pouvaient s’épanouir que dans la violence aveugle et sur les nombreux cadavres d’opposants au coup d’État du 30 septembre 1991. Le FRAPH a donc été officiellement dissout, et Toto, son co-fondateur, est accueilli, pour services rendus, dans l’Eldorado américain. Mais l’Oncle Sam, sur son territoire, applique ses lois et ne badine pas avec ceux qui les transgressent, quel que bon collaborateur que l’on puisse avoir été dans un passé récent, en terre étrangère. «Dura lex, sed lex». Ainsi, Toto apprit, à ses dépens, cette maxime et son application un peu stricte aux États-Unis. En 2008, il fut accusé de fraude hypothécaire aux États-Unis et un juge, siégeant dans un tribunal américain, le reconnut coupable et le condamna à une sentence de 12 à 37 ans de prison. En février 2020, il eut droit à la libération conditionnelle. Une fois libéré, le gouvernement américain pouvait opter pour le déporter vers son pays. Et, selon un article paru dans les colonnes du Miami Herald et daté du 20 mai 2020, sous la signature des journalistes Jacqueline Charles et Monique O. Madan, le gouvernement américain aurait privilégié cette option et s’apprêterait finalement à sa déportation vers Haïti, au courant de cette dernière semaine du mois de mai, en compagnie de quelques autres compatriotes, pour bien enrober le paquet. Ils seraient environ une soixantaine à ainsi profiter d’un aller simple vers Haïti, tous frais payés par l’Oncle Sam. Et puis, une fois débarqués sur le tarmac de l’aéroport haïtien, ce ne sera plus l’affaire de celui-ci. Nous devrons nous arranger avec nos troubles, si jamais la présence du Toto devait nous causer quelques désagréments.

Justement, bon nombre de nos compatriotes s’interrogent sur l’à-propos de cette déportation, avec cette pandémie de COVID-19 qui pénètre de plus en plus dans nos terres et la déstabilisation avancée de nos institutions sécuritaires, notamment, notre système de justice pris en gros. Leurs préoccupations sont encore plus exacerbées, s’agissant de l’arrivée inopinée de Toto Constant en Haïti, maintenant, avec autant de problèmes d’insécurité non résolus, de banditisme, d’assassinats et de viols dans le pays. Après tout, le Chef du FRAPH avait été jugé par contumace et reconnu, par un tribunal haïtien, coupable justement de meurtres, de tortures, d’assassinats, de viols et de crimes contre l’humanité. La justice haïtienne lui avait décerné une sentence d’emprisonnement à perpétuité pour ces crimes et, plus spécifiquement, pour son implication dans le massacre de Raboteau. Nous en sommes là, maintenant, à opiner sur les perspectives d’accueil de ce triste sire, une fois rendu sur le sol d’Haïti.

Pourtant, la route normale paraît toute tracée. Ce devrait être un aller simple au Pénitencier National. Point barre, comme dirait l’autre. Pour quel que soit l’individu, jugé et condamné par un juge devant un tribunal de justice, l’État n’a d’autres choix que d’exécuter la sentence, quitte, peut-être, à la faire réviser, à la demande du condamné, et dans des conditions bien précises, le cas échéant. Telle fut d’ailleurs la situation pour son comparse d’alors, Jean-Jodel Chamblain, qui avait dû se rendre à la police, aller en prison, le temps d’un simulacre de révision de sa sentence et de sa libération finale dans le paysage haïtien. Chamblain est aujourd’hui libre comme l’air et est un des défenseurs assez prolixes de ce gouvernement. Il jouit aujourd’hui d’une totale liberté. Il aurait purgé sa peine, considérablement réduite par une justice haïtienne totalement dévoyée. L’exercice avait alors été vertement critiqué par la société haïtienne et même par des dignes ambassadeurs étrangers, notamment son Excellence, James B. Foley, Ambassadeur des États-Unis d’Amérique, en 2004, qui avait qualifié ce jugement de «scandaleux». Mais rien ne fut entrepris pour corriger cette situation de fait accomplie. Ce qui fut fait, resta fait. On passa à autres choses. Et c’est exactement la répétition de ce scandale qui est le plus à craindre, aujourd’hui, dans le cas du retour de Toto Constant, d’autant plus que son comparse d’alors, Jean-Jodel Chamblain, mène assez large, au pays, par ces temps troublés.

Néanmoins, il est assez déroutant, en tant que société, qu’on en soit à ce point désorganisé et démuni, pour ne pas être en mesure de gérer ce genre de problème, d’une manière ou d’une autre. Normalement, dans les pays organisés et structurés, les criminels en cavale sont activement recherchés. Ils craignent le bras armé et puissant de la Justice ou celui encore plus imprévisible et implacable d’une population en mal de justice. À défaut de structuration ou d’organisation suffisante, lorsqu’ils en sont conscients, ces pays déstabilisés ou conjoncturellement en convalescence, pour suppléer à leurs carences structurelles et institutionnelles, en appellent à d’autres autorités extranationales, comme la Cour Pénale Internationale, par exemple, et auxquelles Haïti a souscrit. À ce que je sache, nous sommes signataires de tellement de Conventions internationales et régionales que le commun des mortels se perd aisément dans ce fouillis, à défaut d’être un spécialiste pointu sur ces dossiers. De toute façon, nous demandons, sans cesse et sans vergogne aucune, de l’aide à une panoplie d’instances étrangères, pour toutes sortes d’exercices qui relèveraient normalement de la compétence d’un État souverain sur son territoire. D’ailleurs, pas plus tard que la semaine dernière, n’avons-nous pas demandé à l’OEA, par la voix de notre actuel Chancelier, de nous aider à planifier et à envisager la tenue d’élections prochainement sur notre territoire, afin de combler des postes et rendre fonctionnelles, les deux Chambres de notre Parlement? La ballade de représentants étrangers, pour venir se pencher sur notre cas, sur nos divergences et sur nos sempiternelles crises politiques, économiques et sociales, a été constante ces récentes années. En outre, ne sommes-nous pas encore sous tutelle internationale de l’Organisation des Nations Unies? Alors, un cas de plus, un cas de moins, qu’est-ce que cela dérange, comme dirait le Président Privert?

Au demeurant, tel un vulgaire plat infect, mal digéré, les États-Unis pourraient vomir sur nos rives ce sulfureux personnage, à brève échéance. Toto Constant, le maître à penser de l’escadron de la mort, baptisé FRAPH, qui avait frappé à mort et martyrisé jusque dans leurs parties intimes, tant de femmes et d’hommes de notre pays, jusqu’à en révolter la conscience généralement imperturbable de certains de nos tuteurs, opportunément aveugles et sourds, à l’occasion, pourrait être des nôtres prochainement, gracieuseté de notre Grand Ami du Nord. Peu lui importent les conséquences de son geste sur notre société ou le niveau de notre préparation pour contenir les effets de l’arrivée de ce tortionnaire dont il avait autrefois commandité et financé les forfaits, toujours selon l’article du Miami Herald, mentionné plus haut, qui établit que ce criminel était sous «CIA payroll», alors qu’il effectuait ses exactions et ces crimes abominables sur la population.

Tel un peuple adulte, an gran moun, il nous faudra, sans doute, nous arranger avec nos troubles, du mieux que nous le pourrons. Il faudra bien grandir, à un moment donné, et prendre en mains notre responsabilité de peuple, jadis libre et indépendant, qui aspire aujourd’hui à recouvrer son entière souveraineté. Et puis, adviendra que pourra. Gardons bien en mémoire qu’un abcès ne pourra pas guérir tant qu’il ne sera pas vidé complètement de son pus et adéquatement traité à l’aide de médicaments puissants et…efficaces, au vitriol même, quelquefois. Sans quoi, le mal réapparaîtra encore et encore, et persistera à infecter le corps social sur lequel il sévira, tant qu’il pourra le faire impunément, sans un bon… traitement. Justice ne sera jamais rendue à nos morts et à nos martyrs aux mains de cet ignoble individu, tant que le juste châtiment pour ses crimes ne lui sera pas appliqué, correctement. Sa destination, une fois rendu en Haïti, devrait être, immanquablement, le Pénitencier National…

Pierre-Michel Augustin

le 26 mai 2020

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