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Le «Bon Dieu bon»: notre ultime et unique filet contre toutes les menaces

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Ces temps-ci, il y a un éléphant bien installé dans tous les foyers ou presque, à travers le monde. Il est donc difficile d’éviter ce sujet qui s’impose à nous tous. Selon un bilan publié par l’OMS et dont fait écho le Journal de Montréal, au 17 mars 2020, le coronavirus aurait infecté plus de 191 000 personnes dans le monde et causé la mort de 7 842 habitants dont 3 226 en Chine d’où est partie la pandémie, 2 503 en Italie, 988 en Iran, 491 en Espagne, 175 en France et 5 au Canada. Le COVID-19, «puisqu’il faut l’appeler par son nom», fait aujourd’hui la guerre à l’humanité et bouleverse les agendas des puissants de ce monde. Personne n’échappe aux angoisses qu’elle suscite, et elle semble être bien partie pour faire le tour du monde, à la rencontre de tous les peuples, même les plus isolés. C’est que, de nos jours, plus que jamais, notre monde jadis que l’on croyait si vaste, semble s’être rétréci, étant devenu extrêmement interconnecté. En ce qui nous concerne, cette pandémie ne semble pas encore avoir daigné fouler le sol haïtien. Du moins, c’est ce que prétendent nos autorités. Peu de gens, il est vrai, se fient à leurs déclarations, et pour cause. Ce ne serait pas la première fois qu’elles tenteraient de nous emmener en bateau, en nous racontant des histoires qui n’ont rien à voir avec la réalité sur le terrain. Mais, de l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud, en Haïti, les Chefs, petits et grands, sont déjà en alerte. Mieux encore: ils sont sur le pied de guerre. Le grand branle-bas de combat a été décrété par nul autre que le Président, lui-même.

Après son installation expresse, encore toute récente, le nouveau gouvernement Jouthe/Moïse, s’est résolument mis à pied d’œuvre. Au préalable, le Président avait pris la parole et s’était exprimé, en termes assez colorés et vagues, sur le dossier du coronavirus. Une chance ! Cette fois, il a laissé la parole scientifique à des ministres mieux éduqués sur la maladie, mais pas mieux informés, paraît-il, sur la situation générale du pays. Mme Marie Greta Roy Clément, Ministre de la Santé publique et de la Population, a été à la hauteur du défi d’expliquer clairement la maladie, son mode de transmission et les moyens à prendre pour la prévenir ou pour en contenir la propagation. Jusque-là, cela va bien. Le message est simple. Il faut se laver les mains pendant au moins 20 secondes et avec du savon, s’il vous plaît. On peut aussi utiliser des solutions à base d’alcool et, surtout, il faut éviter de se toucher le visage, tout particulièrement, les yeux, la bouche et le nez, les portes d’accès privilégiées du coronavirus à notre corps. Mais, une fois cela dit, Madame la ministre n’a pas évoqué ni tenu compte de la situation actuelle des infrastructures socio-sanitaires du pays. Le problème dans les envolées de nos autorités, c’est que le diable est généralement toujours tapi dans les menus détails.

D’abord, pour se laver les mains à grande eau, il faudrait pouvoir compter sur un approvisionnement et un accès général de la population à une eau courante de qualité. À Port-au-Prince même, la capitale, l’eau courante est devenue une denrée rare et très précieuse. Les citoyens des autres localités du pays, ne sont pas mieux lotis, à cet égard. Malheureusement, l’État n’avait pas eu la bonne idée de sous-contracter les services de distribution d’eau potable, comme il l’avait fait avec la production électrique, de sorte qu’il n’a pas de bouc émissaire à pourfendre pour cette lacune. Il va lui manquer un SOGENER à clouer au pilori pour ce manque criant.

Ensuite, au cas où, par malchance, on attraperait le COVID-19 ou qu’on en aurait les symptômes, en plus d’appeler un numéro spécial, établi pour la prise en charge médicale de cette situation, il faudrait se mettre en quarantaine, s’isoler de ses proches, afin d’éviter de les contaminer, à leur tour. Tout cela, sur papier, c’est bien beau. Mais dans la réalité, c’est une autre histoire. D’abord, les numéros publiés par le ministère de la Santé Publique ont été vite débordés, de sorte qu’on ne peut techniquement rejoindre ces ressources qu’avec beaucoup de difficulté. Et ce n’est pas tout. De nombreux centres hospitaliers sont en grève ou sont dysfonctionnels, à un titre ou à un autre. Quand ce n’est pas le «petit personnel de soutien» qui est en grève, c’est le personnel «enblousé» qui débraie. Dans un cas comme dans l’autre, le public se retrouverait sans service et sans prise en charge médicale effective, en cas de n’importe quelle maladie, y compris celle causée par le coronavirus. Dans l’éventualité qu’un patient était confirmé atteint de COVID-19 et qu’il se présentait à un de nos postes d’entrée au pays, la ministre de la Santé publique a rassuré la population l’État disposerait d’une centaine de places de quarantaine à la capitale. Essentiellement, il s’agirait d’un ancien hôtel désaffecté, repris par l’État et qui se situerait dans la municipalité de Tabarre. Des citoyens de cette municipalité de la métropole ne semblaient pas très heureux de ce choix, peu judicieux. À les entendre, Tabarre ne disposerait d’aucun centre hospitalier. En conséquence, placer des gens en quarantaine, à des lieues d’un centre hospitalier susceptible de répondre rapidement à des malades en situation critique, ce n’est pas exactement une idée lumineuse. Mais on est habitué à ce genre de décision avec nos gouvernements, ces récentes années.

En ce qui concerne nos postes frontaliers, il fallait bien faire quelques chose. Alors là, le gouvernement Jouthe-Moïse a donné théâtralement dans les grandes déclarations. Le dimanche 15 mars, le gouvernement déclare solennellement la fermeture de nos frontières au monde entier, sauf avec les États-Unis, avec un bref délai de 24 heures, presque sans préavis adéquat. Notre seul cordon ombilical avec le monde entier devient donc les États-Unis. Bien sûr, les camions qui nous approvisionnent, en partant de la Dominicanie, continueront à le faire, peut-être avec moins de personnel. Mais ça, ce sera à leurs risques et périls car nos routes, dans nos contrées, deviennent de plus en plus dangereuses, avec les bandits qui rançonnent sans discrimination aucune. En outre, sur la kyrielle de points frontaliers couramment utilisés par nos concitoyens pour aller en République Dominicaine et pour en revenir, nous en contrôlons quatre, effectivement: Ouanaminthe, Belladère, Malpasse et Anse-à-Pitre. Pour le reste, Dieu y pourvoira, comme dans bien d’autres choses qui relèvent des prérogatives et des devoirs de nos institutions à l’égard de nos concitoyens. Je plains les nôtres qui seraient testés positifs au COVID-19 dans la région de Belladère. L’État leur réserverait un hôtel cinq étoiles dont je vous transmets la photo ci-après. Signalons que cette photo a été authentifiée par le maire de la région, M. Macklish Ledoux, sur les ondes de Panel Magic.

En Haïti comme ailleurs, le consensus veut qu’il faudrait compter sur une campagne d’éducation tous azimuts, mobiliser des ressources techniques et financières importantes, en plus des citoyennes et citoyens, pour mettre en pratique des mesures simples d’hygiène personnelle et se prémunir contre cette pandémie qui nous affectera, presqu’à coup sûr. Là aussi, les carences de nos institutions sont criantes. Le ministère de la Culture et de la Communication viendrait tout juste de découvrir qu’il lui faudrait des… mégaphones, pour un service de communication rapproché, après les communications high-tech de nos autorités sur la question, qui ne touchent pas vraiment le commun de nos compatriotes. On procédera donc en urgence à une commande de cet instrument stratégique d’importance car, de toute évidence, tout le monde n’a pas accès à l’internet en Haïti ni ne consulte régulièrement son compte Facebook, n’est-ce pas?

Au fur et à mesure qu’on creuse le dossier, on découvre la profondeur de l’amateurisme de nos dirigeants et l’impréparation absolue de nos institutions pour faire face à quelle que soit la menace à laquelle nous sommes confrontés. Il en a été de même, lorsqu’est survenu le tremblement de terre de 2010. Le pays n’était pas préparé pour une telle catastrophe. Soit dit en passant, peu de pays le sont effectivement. Mais, de là à ne pas pouvoir réagir et à être complètement démuni, désemparé, sans aucun moyen pour faire face à ses conséquences, même longtemps après coup, il y a un écart que seule l’impréparation de nos dirigeants peut expliquer. Ce fut la même chose avec l’épidémie de choléra qui emporta plus de 8 000 âmes, seulement en Haïti, en quelques années. Le pays ne dispose tout simplement pas des infrastructures socio-sanitaires indispensables pour parer, contenir sinon prévenir de pareilles situations. Il en fut de même, également, lorsque le cyclone Matthew balaya la presqu’île sud d’Haïti, en 2016. Là aussi, ce fut la débâcle. Des institutions qui existent sur papier n’ont pas été non plus à la hauteur des défis auxquels elles devraient s’attendre à être confrontées. Pas de routes de pénétration pour parvenir à des localités sinistrées, pas de véhicules adaptés non plus pour utiliser ces pistes qui nous servent de routes et qui, en périodes de catastrophes naturelles, sont absolument impraticables. Maintenant que nous appréhendons la venue du COVID-19, on se rend compte que nos hôpitaux ne sont pas préparés pour en absorber le choc, que nos techniciens, médecins, infirmières et autres personnels de la santé, déjà insuffisants pour servir adéquatement la population, en plus, ne sont pas équipés pour y faire face.

Alors, nous donnons lourdement dans la démagogie. On lance des déclarations à l’emporte-pièce, sachant fort bien que nous n’aurons pas les moyens effectifs de les mettre en application. On ferme des frontières sans déployer un personnel en mesure de le faire. On dit filtrer nos voyageurs, sans en avoir les moyens physiques ni surtout la capacité en personnel sur le terrain. Nos centres de quarantaine sont n’importe quoi, sauf des lieux adéquats pour ce faire. On déclare tester des passagers qui rentrent et qui sortent du pays, sans pouvoir réaliser les tests effectifs qui pourraient déterminer la contamination des personnes qui rentrent ou qui sortent du pays. Et nous affirmons péremptoirement qu’il n’y a aucun cas de contamination au pays.

Entre temps, des pseudos Prophètes pratiquent l’imposition des mains et prétendent opérer des miracles qui guérissent de n’importe quelle maladie, y compris les affections causées par le COVID-19. D’autres prétendent faire des miracles avec des punaises, sans encourir aucune sanction pénale pour avoir mis la santé du public en danger. Pour moi, Haïti est un terreau idéal où sévissent des farfelus de tous ordres, politiques comme religieux. Les deux catégories semblent conjuguer leurs efforts pour confondre la population et endormir ses préoccupations par rapport à des dangers imminents qui menacent son bien-être et sa survie. L’un dit faire ce qu’il n’est pas en mesure de réaliser et induit la population dans un sentiment de fausse sécurité. L’autre lui offre un traitement illusoire et factice, strictement basé sur une intervention divine, totalement hors de son contrôle. Dans un cas comme dans l’autre, on lui demande juste d’y croire. Sa foi lui permettrait de surmonter toutes les difficultés, tous les problèmes et comblerait tous les manquements de l’État envers lui. Et si jamais, le miracle ne survenait pas, on pourra toujours mettre cet échec sur le compte d’un déficit de foi, un certain manque de ferveur.

D’aucuns déjà supputeraient les avantages qui pourraient découler de cette catastrophe anticipée. Vous me direz sans doute que je deviens cynique. Mais le «Bon Dieu bon», servi à toutes les sauces et a toutes les occasions, ne peut qu’inciter, ceux qui sont encore sains d’esprit, à verser dans cet autre travers qui obstrue également nos facultés et brouille notre jugement. Avec l’aide de Dieu, Haïti passera à travers cette autre épreuve. Mais, à quel prix ? Nul ne le sait, et surtout pas les autorités de l’État. «Mais Dieu y pourvoira…», comme le disait Abraham à son fils Isaac. (Genèse 22)

Pierre Michel Augustin

le 17 mars 2020

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