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Avec l’impasse vient aussi le chaos généralisé

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Plus d’une semaine après la vague de manifestations réclamant la démission du Président Jovenel Moïse, la situation reste en plan. C’est l’impasse. D’un côté comme de l’autre, on fait le bilan et on évalue ses forces. Du côté de l’opposition, je crois qu’on a franchi le Rubicon. Je ne vois pas comment ceux qui ont publiquement condamné le Président, et parmi lesquels, certains de ses anciens alliés, et l’ont exhorté à remettre sa démission, pourront encore lui témoigner une allégeance quelconque. D’un autre côté, tant que Jovenel Moïse bénéficiera de l’appui de la Communauté Internationale, il s’accrochera à ses débris de pouvoir, même s’il ne préside à rien, même s’il dirige de moins en moins le pays. On se dirige de plus en plus vers un chaos. Peut-être est-ce la situation souhaitée par la Communauté Internationale pour finalement imposer et faire accepter à la population rebelle d’Haïti, une mise en tutelle formelle du pays.

Le chaos qui se dessine à travers le pays est de plus en plus évident, à tous les points de vue. L’anarchie est totale. D’abord, du point de vue de la sécurité publique, plus personne ne peut se sentir à l’abri d’une agression quelconque. Même que, parfois, elle est perpétrée par des agents de l’ordre public, de la Police, plus précisément, ou de personnes habillées en uniforme de la Police. On a répertorié plusieurs cas de ce genre, récemment, et le Directeur Général de la Police, Michel-Ange Gédéon, semble les accréditer en mettant en garde les membres de la force constabulaire contre des dérives, ordonnées ou non de supérieurs politiques. Les voies publiques ne sont pratiquement plus accessibles aux véhicules, sauf peut-être aux taxis-motos qui peuvent slalomer entre les débris jetés sur la chaussée pour interdire le passage des véhicules. Parfois, il s’agit de vraies barricades enflammées ou pas, et celui ou celle qui prend le risque de les franchir sans y être autorisé prend une chance. Personne, aucune autorité ne pourrait peut-être pas voler à son secours. C’est alors, à la grâce de Dieu! Les routes nationales numéro 1, vers le nord, numéro 3, vers le Centre, numéro 2, vers le sud sont de vraies souricières. Les voyageurs sont pratiquement à la merci des bandits de tout acabit ou de simples manifestants bloquant le passage. Des cargaisons entières commandées par des commerçants en provinces ont été détournées, pillées ou emportées vers des repaires aux mains des gangs, dans l’Artibonite, dans le Plateau Central et même sur la route du sud. Et l’État ne fait rien. Le Chef de l’État, le Chef de l’Exécutif, le Premier Ministre, le Chef de la Police, ne font rien. Le chaos, c’est déjà cela et il est bien installé.

Le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle avait planifié des examens d’État pour les candidats au cours du mois de juin. Eh bien, du train que cela va, il n’y en aura pas. Les élèves ne braveront pas le tumulte des manifestations en cascade. Leurs parents ne s’y risqueront pas. C’est une année académique entière sur le point de passer à la trappe. De toute façon, elle a été si souvent perturbée qu’il serait difficile d’évaluer une quelconque partie du curriculum prévu. Les enseignants démoralisés et désabusés par un ministère qui n’arrive même pas à leur payer ce salaire de misère qui leur est consenti et qui accumule des mois d’arriérés, n’ont tout simplement pas le cœur à l’ouvrage. L’Exécutif n’a que lui à blâmer pour cela. Après tout, c’est lui qui détient le cordon du trésor public et qui en dispose à sa guise, fort souvent pour des dépenses mal orientées, non budgétées et irréfléchies, quand elles ne sont pas tout simplement illégales. Les exemples de ce genre abondent. Le cas de DERMALOG n’en est que le bout de l’iceberg. Le chaos, c’est cela aussi. Chaos financier, chaos économique, chaos administratif, chaos politique aussi.

Les finances publiques sont à la dérive, tout comme le pays. Personne ne sait exactement quel budget administrent aujourd’hui les membres du gouvernement. Il n’y en pas eu un depuis belle lurette. Les réalités financières du pays changent rapidement mais plus personne n’est aux commandes des finances du pays, pour agencer nos besoins avec nos moyens financiers. Tout va de guingois. Le déficit avoisinerait 30% du budget nominal. En fait, personne ne sait exactement quel est le montant du déficit. L’État perd de l’argent à chaque jour de grève ou de mobilisation. Sur un Produit intérieur brut (P.I.B) d’environ 8,6 milliards de dollars (source: CIA factbook Haiti), chaque jour de grève occasionne une perte d’environ 23,5 millions de dollars à l’économie déjà exsangue du pays. Alors, dix jours, c’est déjà 235 millions de dollars. Cela fait quatre fois que cette situation arrive. Nous ne sommes pas loin du milliard de dollars perdus. Et que fait l’État, que font nos hommes de lois. On bafouille, le Président trépigne. La rue s’enflamme et l’économie en pâtit, nos finances s’amenuisent.

Le chaos administratif et politique s’amplifie chaque jour. Le Premier Ministre intérimaire a déjà excédé son mandat constitutionnel. En fait, il est aujourd’hui un Premier Ministre «de facto», en marge de toute provision constitutionnelle. Il dirige un Conseil des Ministres sans mandat. Il prend aujourd’hui des décisions pour lesquelles il n’a aucune autorité constitutionnelle. Bref, il est juridiquement un Premier Ministre hors-la-loi. C’est l’illustration suprême du «banditisme légal», si cela peut exister dans les formes. Mais alors que faire? S’il démissionne, il n’y a plus personne à la barre. Il est vrai qu’il ne sert pas à grand-chose et que ce ne sera pas une très grande perte, mais même un «tanga», cela sert quand même à cacher une petite partie de notre nudité absolue. Renald Lubérice souhaite qu’il parte. Il dit tout haut ce que pense le Président. C’est ce même Président qui n’avait pas hésité à couler son Premier Ministre Jean-Henri Céant, jetant, par-dessus bord, par la même occasion, quelque 235 millions de dollars U.S que le Fonds Monétaire International allait lui octroyer, moyennant certaines conditions, entre autres, celle d’avoir un gouvernement légitime en place. Et le voici maintenant, notre Président, à court d’arguments pour expliquer ses difficultés au même FMI qui ne peut pas transgresser allègrement, lui, ses propres règles internes. Comme disait un de ces tuteurs désabusés, «le Président Moïse ne nous aide pas à l’aider». Bref, il se tire dans le pied régulièrement et avec aplomb, s’il vous plaît. Ce n’est pas étonnant, après 40 à 50 jours de blocage, de grève à la DGI et aux Douanes, de paralysie de toute sorte que le pays soit encore plus incapable de payer ses fonctionnaires. Cela équivaut à près de 1,18 milliard de dollars perdus pour l’économie nationale. Et que fait le Pouvoir en place, entre temps, pour régler le problème et parer au plus pressé ? Il joue au qui-perd-gagne, il joue à paraître le plus fort. Du sort de la population et du pays dans tout cela, il n’en a cure. Monsieur le Président fait à sa tête.

Devant tant de gâchis, l’International nous délègue quelques «troubleshooters», des experts en dépannage d’urgence et en réparation de coups fourrés mal engagés. Il semblerait qu’une délégation de l’OEA va se désintéresser momentanément du dossier Vénézuélien pour s’occuper de notre cas. Haïti n’a pas de pétrole, du moins, pour autant qu’on en sache officiellement, néanmoins, ce pays risque de causer bien de maux de tête à toutes nos contrées, si on n’y met pas bon ordre. Et arriveront donc nos experts dès demain, paraît-il, pour constater l’étendue des dégâts et voir ce qui peut être encore sauvé de l’aventure «PHTKiste» qu’ils nous ont mitonnée, ailleurs, en hauts lieux. Demain, lorsqu’ils se seront penchés sur le malade et auront laissé tomber leur diagnostic, on saura si l’issue de notre situation est proche. Combien de temps faudra-t-il encore garder le macadam et casser davantage, par la même occasion, notre économie plus que fragile? Va-t-on négocier un «exit» rapide à ce Président incapable, pourtant si beau parleur au demeurant, vers l’Équateur où un autre petit pays de l’Amérique du Sud où le Président pourrait exercer ses talents d’entrepreneur et renouer avec l’expérience Agritans outre-mer? On voudra certainement lui négocier un sauf-conduit et une garantie mur-à-mur qu’il ne pourrait être poursuivi en aucune façon. Je ne vois pas pourquoi on devrait vraiment s’y attarder, s’il n’a trempé dans aucune combine, aucun détournement de fonds, comme il s’en défend à tue-tête.

Mais ne vous y trompez pas, c’est nous qui allons trinquer par la suite. La Communauté Internationale n’a jamais fait de cadeau à personne, et ce n’est pas demain la veille qu’on commencera, surtout pas avec nous. Les institutions qu’elle a mises sur pied, comme la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International ne sont là que pour «implémenter» ses politiques et ses stratégies. Elles ne vont pas non plus s’apitoyer sur notre sort et nous tirer du pétrin à notre corps défendant. Demain, des étrangers viendront nous dire quoi faire et comment le faire. Par notre faute, par notre incapacité à prendre les bons moyens pour résoudre nos problèmes, nous reviendrons à cette case de départ. Nous aurions pu éviter tout cela, en amont. Encore fallait-il y penser. Mais c’est ainsi que l’on apprend. Le malheur dans tout cela, c’est que nous ne semblons pas apprendre grand-chose et nous refaisons les mêmes erreurs, nous reprenons le même parcours, sans nous rendre compte des indicateurs, des avertisseurs des dangers sur notre route, qu’une fois les avoir dépassés, après avoir frappé, une autre fois, le mur de nos lamentations et de nos échecs.

Pierre-Michel Augustin

le 18 juin 2019

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