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Il n’est que d’attendre

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La patience est la mère de toutes les vertus, dit-on. Rien ni personne n’arrive à bousculer le temps. Mais, parfois, lorsque les choses se mettent à débouler, après les avoir longtemps attendues, plus rien ne semble pouvoir en arrêter le flot.

À la dernière réunion du Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN), le Premier Ministre a.i. a parlé des mesures décisives à prendre par la Police pour regagner un semblant de contrôle en matière de sécurité publique. Il avait fait alors des déclarations qui laissaient clairement entrevoir que l’Exécutif lâchait un peu de lest en faveur des autorités policières. Le Commissaire de gouvernement de Port-au-Prince avait également pris la parole pour s’exprimer sur la dégradation de la sécurité publique au pays.Tous leurs propos semblaient aller dans la même direction. Assez ! C’est assez ! L’État va devoir réagir.

Tout le monde a pu lire également la dernière correspondance de l’Honorable Président du Sénat, le Dr Carl Murat Cantave, à Son Excellence, M. Jovenel Moïse, lui décrivant, en long et en large, l’aggravation de la situation générale du pays et lui demandant une rencontre urgente des Trois Pouvoirs pour convenir des mesures célères à prendre pour juguler ce dernier fléau qui s’abat sur le pays : la prolifération et la hardiesse exacerbée des gangs armés, un peu partout au pays.

Les hommes d’Église également en appellent au Président, pour un sursaut de l’État, afin de reprendre le contrôle de la situation.

L’ex-président du Sénat, M. Joseph Lambert, en était venu à la conclusion que le moment n’était plus aux palabres futiles. Il était plus que temps de passer aux actes expiatoires et efficaces, pour stopper cette dérive.

Des actes, jusqu’ici, il y en a eu, mais un peu faiblards, sans envergure, rien de décisif. La dernière expédition de la Police à Marchand-Dessalines fut plutôt une victoire à la Pyrrhus qui s’est soldée par la mort dans les rangs des forces de l’ordre et aussi pas mal de blessés, paraît-il. Entre temps, Michel-Ange Gédéon, le DG de la Police, l’homme fort de cette institution, gardait le silence. Durant toute cette campagne d’appels au secours de différents secteurs de la société, Michel-Ange Gédéon, restait de glace. Pas un mot, que je sache. Certains commençaient même à croire qu’il s’était tout simplement résigné à se laisser démettre de sa fonction, comme on en faisait courir le bruit avec persistance. En effet, ce n’est plus un secret pour personne que le Président Jovenel Moïse et lui ne s’entendent pas très bien. Et comme celui-là se méfie de son chef de police, l’année dernière, il n’y était pas allé par quatre chemins. Le gouvernement Lafontant-Moïse avait pris des dispositions pour lui interdire de prendre quelque décision importante que ce soit. Nominations, transferts, opérations de police, tout devrait être entériné au préalable par le CSPN. Alors, soit. Depuis lors, M. Gédéon ne prend aucune initiative et laisse tout le monde mijoter dans son jus, jusqu’à ce que tout le monde, surtout l’Exécutif se soit bien rendu compte que ce n’est pas exactement la meilleure idée du siècle que de menotter son chef de police.

Un de ces coups de poker les plus astucieux a été, à mon point de vue, ses passes d’armes avec les sénateurs, lors de sa dernière convocation au Parlement. Dans un premier temps, il a carrément refusé d’obtempérer à une demande pressante de ces Honorables qui voulaient qu’il divulgue l’identité du parlementaire qui aurait escorté Arnel Joseph, le bandit recherché par la Police pour crime de sang, hors de la tenaille policière qui se refermait tranquillement sur ce dernier. Il a laissé l’odieux de la révélation à un bleu, pardon, au Premier Ministre d’alors, Me Jean Henri Céant. Ce ne fut qu’une des nombreuses gaffes de Me Céant qui s’est fait rouler ainsi, jusqu’en dehors de la Primature. Il profite aujourd’hui de la quiétude de son étude notariale sur laquelle il a un parfait contrôle, sans aucun partage avec quelques fieffés roublards.

Je soupçonne la quasi-débandade de la Police dans l’Artibonite, la semaine dernière, d’être presqu’un parfait calcul stratégique de son D.G. Sans dire un mot, il a su, à mon avis, rallier tous les objecteurs de conscience au pays, toutes les autorités civiles et religieuses et même ses ennemis politiques à l’Exécutif, à la nécessité de lui enlever les menottes et de laisser la Police, en l’occurrence, lui-même, le chef de cette institution, faire le travail pour lequel elle est payée, comme elle l’entend : avec discrétion et fermeté. Avec discrétion, car il appert que les bandits ont de bonnes connexions un peu partout: dans la hiérarchie policière, dans le cénacle de nos parlementaires, dans les rangs de l’Exécutif et parmi notre élite économique. Ils sont bien informés. Ils sont bien armés et bien ravitaillés. Mieux encore, la Communauté internationale n’en a pas encore pris ombrage. Cela voudrait-il dire qu’elle leur donnerait son appui ? Allez savoir ! Comme le découvre si bien Jude Célestin le silencieux, certains silences confinent à la complicité de fait. Qui ne dit rien consentirait donc aux crimes qui se commettent au pays de nos jours. Au moins, Jude le silencieux s’en est rendu compte et est sorti, lui, de son mutisme. Mais que dire de tous ces autres, tous ces chantres de la démocratie à acception variable, qui font semblant de regarder ailleurs, quand leur poulain ou ses sbires font la curée et commettent bavures par-dessus bavures ?

Mais j’avais dit aussi avec fermeté, n’est-ce pas? On s’est finalement rendu qu’on ne fait pas d’omelette sans casser quelques œufs. La couvée sera moindre mais il faut ce qu’il faut. La dernière goutte qui a fait renverser le vase, déjà trop plein d’iniquité et de barbarie, est survenue à Carrefour-Feuille, en plein Port-au-Prince, la semaine dernière. Sept citoyens innocents l’ont payé de leur vie. Plus personne ne semble être à l’abri. Il faut lâcher le fauve pour qu’il nous débarrasse de ces démons qui vont nous dévorer. Ces démons, qui servaient jadis à faire peur au monde, à jouer au bonhomme-sept-heures, dont les maîtres ont perdu le contrôle, et qui reviennent maintenant nous hanter, de jour comme de nuit, sont un danger plus imminent que les déboires politiques dont on voudrait se prémunir. Ces bandits s’enhardissent jusqu’à organiser leur concert de mitraille sur le seuil de l’ambassade de la toute puissante république étoilée. Encore plus, les astres sont comme alignés pour donner raison au D.G de la Police. On vient de découvrir, comme par hasard, que le politicien en vrille avec le malfrat numéro un, recherché par la police, c’est nul autre qu’un sénateur d’un parti membre officiel de l’opposition mais qui, lui, est un fervent partisan du gouvernement. O Kafka, sors de ce corps ! Vite, il faut libérer le cerbère pour venir à bout de tous ces monstres que certains se sont amusés à nous créer.

Sitôt libéré de sa menotte administrative, le Chef de la Police a montré ses muscles. Trois jours après le massacre perpétré par le bandit «Ti Je» à Carrefour-Feuille, celui-ci repose dans une morgue de la capitale, bien au froid. Comme l’on dit, en créole: «nan pwen anyen ki cho ki pa ka frèt».

Pour «Ti Je», c’en est fait, et sans bavure. Les «zotobrés» de ses amis peuvent dormir tranquilles. Il a emporté ses pas si secrètes conversations, dans la tombe. On lui a fermé le clapet à jamais. Dommage! Il aurait pu nous raconter tant d’histoires sur ses «initiatives de développement social», subventionnées largement tantôt par l’Exécutif, tantôt par nos parlementaires en quête d’un électorat sous son contrôle, dans ses fiefs, tantôt par nos entrepreneurs qui se sentent parfois une âme de philanthrope. Que de mystères ne sont ainsi envolés à jamais, avec la disparition de cet agent de transformation sociale, prématurément disparu. L’encombrant allié, pour certains, a été mis au rancart, définitivement.

Son histoire me fait penser, à s’y méprendre, à celle de l’autre brigand qui l’avait précédé sur ce chemin scabreux et funeste, tant pour la société que pour lui, finalement. Vous vous souvenez sans doute de Ramissainthe. Le rebelle Ravix Ramissainte, tombeur du Président Aristide, membre de la bande à Guy Phillipe, que l’opposition en général nous présentait comme un révolutionnaire qui avait pris les armes pour voler au secours de la patrie menacée par l’ombre d’une dictature naissante? Eh bien, il avait fini par tourner ses armes contre ceux-là même qui les lui avaient payées, sans doute. Il fit tant et si bien qu’il fallut s’en défaire. En avril 2005, quatorze mois après avoir été portés aux nues comme des libérateurs de pays, Ravix Ramissainte et son camarade de combat, Jean René Anthony, alias «Grenn Sonnen», rentraient, les pieds devant, à la morgue de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, à Port-au-Prince.

«Ti Je» vient de tomber, hier, les armes à la main. D’autres suivront certainement. Il n’est que d’attendre. Il y a fort à parier que peu d’entre eux auront le temps de raconter leur histoire de coups tordus et d’alliances criminelles avec de nombreuses personnalités plus ou moins respectables, d’ici et d’ailleurs. Tel sénateur ou député, tel homme d’affaires aujourd’hui philanthrope, telle ambassade parfois complaisamment aveugle et sourde mais assez généreuse pour fournir inconsidérément des bienfaits de tous ordres : autant à manger pour les pauvres que des armes pour défendre la démocratie menacée, plus personne n’aura à craindre la publication de vérités incongrues, venues de «gorges plus ou moins profondes». Nos morts ont cessé de parler à travers les «govi». Aujourd’hui, ils se taisent à jamais. On les tait à jamais.

Le fameux mot «guérilla» échappé, l’autre jour, au Premier ministre nommé, M. Jean-Michel Lapin, n’était pas vraiment un accident. Ce n’était pas ce qu’on appellerait un lapsus linguae ni un lapsus manus. C’était plutôt une façon indirecte de dire: sus à ces trublions, incapables de comprendre leurs limites sans se le faire traduire dans le sang, sus à ces dégénérés qui excèdent toujours le mandat qu’on leur a confié. Et cela arrive presque à tous les coups. À la ruelle Vaillant, il fallait juste gâter les élections. Point n’était besoin de faire un carnage. Mais ils s’y sont donnés à cœur joie, ces criminels. En octobre dernier, il fallait juste déloger quelques malotrus à la solde de Bout Jeanjean, qui ont indisposé la Présidence, lors de son offrande florale au Père de la Patrie, à Pont-Rouge. Quelle indélicatesse ! Et dire que la Première Dame aurait auparavant discuté avec ces agents locaux de développement social. Il fallait bien leur donner une leçon de vie. Mais point n’était besoin de faire un massacre. Que voulez-vous, quand on n’a pas le sens de la mesure, on ne sait pas toujours où exactement s’arrêter. Et d’un massacre à l’autre, ils en prennent l’habitude, ces inconscients qui crachent ainsi dans la soupe.

Moi, si j’étais à la place du dénommé Arnel Joseph, «je mettrais ma barbe à la trempe», comme l’on dit. Et cela vaut aussi pour tant d’autres chefs de gang dont le tour ne devrait pas être loin. À moins qu’on ait encore assez de missions à leur confier ou qu’on s’estime assez en contrôle pour leur laisser la bride sur le cou, en attendant de les recycler en politiciens à peine lettrés ou de les passer tout simplement à la casse, comme tous les autres voyous qui les ont précédés au «pays sans chapeau». Comme je le disais au début, il n’est que d’attendre… Parfois, lorsque l’on met le doigt dans l’engrenage, tout le corps risque d’y passer. Ce n’est pas toujours vrai ni facile de pouvoir limiter les dégâts et circonscrire le feu de brousse que l’on a allumé délibérément à l’herbe sèche et d’éviter ensuite que toute la forêt environnante ne s’embrase à son tour. Il y a tant d’avanies à brûler, tant de frustrations à ventiler dans l’Haïti d’aujourd’hui… Un faux pas, une étincelle, et qui sait ce qui pourrait survenir?

Pierre-Michel Augustin

le 30 mars 2019

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