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Une analyse sur les manifestations des lycéens en Haïti

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Quand je vois des centaines d’élèves qui envahissent les rues pour exiger leur droit à l’éducation, ça me désole tellement que je me demande jusqu’à quel point on va laisser cette société s’enfoncer dans la décadence et l’indécence? Pourquoi n’avions-nous pas pu éviter cet état de délabrement au sein du système éducatif? Tristement, les nouvelles de manifestations d’élèves dans nos rues, ne sont pas des cas isolés ou une tendance récente. Non, les manifestations des élèves remontent déjà à des décennies. Pour décourager toute critique qui tenterait de mésinterpréter mes observations au sujet de la situation précaire des lycées en Haïti, je me suis armé de courage, en décidant d’y ajouter mes propres témoignages, en tant qu’un ancien lycéen.

 Les causes communes des revendications

Durant mes 7 ans au Lycée, les problèmes dans ces établissements étaient à la fois administratifs et politiques. On comptait toujours plusieurs cas de professeurs qui travaillaient pendant des années, sans lettre de nomination. Et ces professeurs étaient bizarrement des plus honnêtes, des plus ponctuels. Ils étaient comme des idoles pour nous, au lycée. Faute de lettre de nomination, ils recevaient rarement leurs chèques et, dans certains cas, ils attendaient longtemps leurs premiers chèques. Aussi, on comptait les professeurs réguliers qui n’avaient pas besoin d’excuses pour fuir leurs obligations envers leurs élèves. Et, si le ministère des Finances avait un quelconque retard, c’était pour eux le parfait alibi pour faire du marronnage. Parfois, c’était plutôt des conflits entre directeur et professeurs qui incitaient les élèves à dénoncer un directeur au profit d’un potentiel remplaçant. Je m’abstiens d’en faire une liste longue des raisons pour lesquelles, on prenait les rues pour revendiquer nos droits. Ce que je veux surtout souligner, c’est que, 30 ans après, les lycéens prennent les rues pour des raisons similaires voire identiques.

 

Les opportunistes

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Les professeurs. Considérant une échelle verticale, allant de bas en haut dans la hiérarchie établie par le ministère de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sport, les professeurs absentéistes sont les premiers profiteurs du désordre dans les lycées. Prétextant l’absence de lettres de nominations ou des arriérés de paiements, ils accumulent des heures de travail dans des écoles privées, sans mettre les pieds aux lycées. Ce qui choque le plus, c’est que tous ces mois d’arriérés qu’ils passent sans travailler, seront éventuellement payés par l’État haïtien. Donc, ils reçoivent des chèques pour un travail non exécuté. Corruption ou méchanceté ? À vous d’en juger.

Conseil administratif des lycées. Les directeurs généralement devraient jouer un rôle de contrôle et de supervision. Ils sont les premiers à observer les élèves qui sillonnent la cour, sans professeurs dans leurs salles de classe. Ils sont en contact direct avec les professeurs et doivent fournir des rapports sur le fonctionnement de leur gestion. Souvent, ces mêmes directeurs jouent à la passivité qui leur convient, car ils veulent du temps libre pour gérer leurs propres écoles privées et parfois dispenser des cours à d’autres écoles. Ce qui expliquerait que les matériels didactiques, les bancs et chaises parfois disparaissent pour réapparaitre dans des écoles privées. Et, quand cela chauffe et que les élèves boudent leur administration, ils pointent du doigt les responsables au ministère des Finances qui ne paient pas à temps ou la mauvaise foi d’un directeur départemental, ou d’un nouveau ministre. Dans leurs conseils de gestion, il y a déjà un censeur, un secrétaire, un professeur influent, qui manipulent élèves et professeurs pour un soulèvement contre le « mauvais » directeur.

Direction Générale et départementale. Il y a toute une chaîne de commande, en partant d’un superviseur, pour passer au directeur départemental, avant d’arriver au cabinet du ministre lui-même. Là, comme dans toute boîte de l’État, l’efficience et l’efficacité sont loin d’être une priorité. Chaque ministre, de façon créative et parfois naïve, invente ses propres restructurations. Les vrais changements devraient durer des décennies, quand on remplace les ministres chaque 2 à 3 ans. La vraie priorité de chaque fonctionnaire est de garder ses connexions pour garantir la continuation de son emploi et éventuellement une promotion. Contre les rapports trop nombreux et le budget de fonctionnement trop peu, ces élèves qui crient haut et fort dans les rues et dans les émissions de radio sont ceux-là qui se font entendre. Comme des sapeurs-pompiers, ils attendent quelques quidams pour crier au feu avant de réagir car la prévention de crise exige de hautes compétences, une forte volonté, un compromis citoyen et finalement les moyens logistiques et financiers adéquats.

 

Les Victimes ?

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Les premières victimes, évidemment, ce sont ces enfants des classes défavorisées. Ils reçoivent des cours dans des conditions humiliantes et ceci, quand ils sont chanceux d’en avoir. Je me rappelle, en classe terminale, nous étions plus de 80 élèves dans une salle. Sous la chaleur, une odeur puante, nous étions entassés comme dans un bateau négrier, serrés les uns contre les autres, comme dans une cellule au Pénitencier National. Je ne peux effacer de ma mémoire l’année 1990, quand nous avions eu une période vivement bouleversée en Haïti. En fait, nous avions passé à peine 3 mois et demi de cours. Dans toute l’année, je n’avais eu que les épreuves du troisième trimestre. Mais, notre système d’éducation nous oblige tous à suivre le même programme et à passer le baccalauréat, comme si nous étions égaux. Et, le fossé entre les écoles privées et publiques, par rapport à la performance de leurs élèves, s’élargit marginalement toutes les années.

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Je viens des rangs de ces lycéens qui ont trop souffert pour jouir des droits accordés par notre Constitution. Mes pires souvenirs remontent à l’année 1990, l’année ou les militaires (soldats de la FAD’H) du camp Lamentin avaient encerclé notre Lycée (Louis-Joseph Janvier). Nous avions passé 10 heures en otage. Certains élèves qui tentèrent de s’enfuir furent capturés et torturés pendant des heures par ces bourreaux cruels. C’était quoi notre crime ? Exiger le pain de l’instruction ?

Vingt ans plus tard, les mêmes histoires se répètent. En effet, les exemples de lycéens blessés par balles, gazés, bastonnés, n’ont pas manqué. Renseignez-vous directement auprès des élèves du Lycée de Sibert, de Marin, de la Croix-des-Bouquets, du Lycée Pinchinat de Jacmel, du Lycée de Mirebalais, de Petit-Goâve, des Gonaïves, des lycées Louis-Joseph Janvier, Fritz Pierre-Louis et Henri Christophe à Carrefour et au Centre-ville, pour ne citer que ceux-là. Envoyez vos agents de forces publiques surveiller nos frontières mais pas les portes des lycées. Les élèves attendent le retour des professeurs, pas des policiers armés jusqu’aux dents. Qui mettra une fin à cette tragédie?

 

Des « responsables » irresponsables

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Je salue le courage de ces enfants, très jeunes en âge (plus de 85% sont des mineurs). Ils ont le droit de réclamer. Mais, malheureusement, ils sont trop jeunes pour comprendre qu’ils sont manipulés par les mêmes professeurs qui refusent de dispenser des cours et par des directeurs. Et le pire, ils sont abandonnés par leurs propres parents qui se croisent les bras pour regarder passivement leurs enfants dans la rue. En effet, ces élèves étant des mineurs, doivent être d’abord sous la bonne garde de leurs père et mère. Les premiers gardiens et responsables du bien-être de leurs filles et fils. Dans le cas de revendication ou de manifestations, les parents devraient s’organiser en comité de parents, pour convoquer les administrations de ces lycées, les dirigeants politiques de la zone : magistrat, député, sénateur, directeur départemental voire le ministre. Innocemment, ils délèguent l’organisation aux syndicats de professeurs qui ne se soucient que de leurs augmentations de salaire. Ils délaissent la tâche de manifester à ces jeunes qui affrontent dans les rues, les citoyens perturbés et fâchés à cause des rues bloqués, les matraques et le gaz lacrymogène des policiers. Parfois, ils sont battus et arrêtés injustement par les autorités incompétentes de la zone.

Finalement, c’est face aux abus contre les élèves dans les rues que certains parents vont donner des conférences de presse pour parler de leur indignation. Où étaient-ils cachés avant ? Ils ne viennent que pour faire de la politique et du show-off. Exiger le départ ou le remplacement d’un directeur de lycée, d’un ministre ou d’un gouvernement. Comment qualifier ces parents démissionnaires eux-mêmes qui réclament la démission des dirigeants négligents ? En un mot : hypocrites.

Dans ce cas, qui doit protéger ces milliers de jeunes lycéens? Comment parler d’éducation dans de telles situations ? Et pourtant, les mécontents parlent haut et fort. Ils n’affichent aucune sympathie pour la cause de ces écoles publiques. Mais, ils chantent toutes sortes d’épithètes pour décrire ces élèves comme s’ils étaient des bandits, des petits délinquants qui empêchent leurs enfants de recevoir les cours, paisiblement, dans leurs écoles privées dûment payées.

Irresponsabilité de l’État ou insouciance des parents?

Il est temps que nos concitoyens acceptent leurs responsabilités comme parents envers leurs enfants qui se battent seuls contre tout un système corrompu. Et ceux qui n’ont pas leurs fils aux lycées doivent apporter leurs soutiens aux revendications de ces élèves, pour que, de concert avec les parents, ils obligent les fonctionnaires responsables, de remplir leurs devoirs envers la communauté. Ces professeurs manipulateurs, absentéistes, doivent être punis, car quiconque reçoit des caisses de l’État des paiements pour des travaux non exécutés, des cours non dispensés, tombent dans la catégorie de bluffeurs, voleurs, corrupteurs et corrompus. Certes, le Ministère doit résoudre en urgence les problèmes d’arriérés et des lettres de nominations. Entre-temps, les professeurs doivent continuer ponctuellement et religieusement à se présenter dans leurs salles de classes aux lycées. Si un professeur refuse de travailler avec arriérés, qu’il démissionne. Les lycéens en ont ras-le-bol avec les excuses des parents insouciants, des professeurs et des dirigeants irresponsables !

Rodelyn Almazor

Journal Haïti Progrès

Février 2019

 

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