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Les réflexions d’un observateur blasé

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Pour éviter d’être étourdi par la grisaille du quotidien, il importe, parfois, de s’élever un peu, pour regarder d’un peu plus haut, l’évolution du pays.  De cette façon, on fait d’une pierre deux coups, à la fois, un peu d’hygiène psychologique et politique et une analyse plus détachée de l’évolution des affaires du pays.  On a ainsi une perspective plus globale qui permet parfois de concilier des éléments qui paraissent déconnectés et disparates, au départ, mais qui pourtant se fondent dans un tout, plus ou moins harmonieux.  D’emblée, il faut que je confesse que cet exercice d’hygiène politique et de jeûne de consommation de faits divers politiques du pays, je n’ai pas pu l’observer totalement, la semaine dernière.  Et mal m’en a pris.

Tout d’abord, cette algarade entre le Président et son Premier Ministre, à lame non mouchetée, suivie de cette botte brutale du porte-parole de la Primature, à l’occasion du lancement du Forum sur le pacte de gouvernabilité, sont des épiphénomènes sans précédent dans l’histoire politique du pays, du moins, pour autant que je le sache.  Vous vous imaginez, un Président qui déballe ses états d’âme et surtout son insatisfaction, sans ménagement aucun, envers son Premier Ministre, en présence d’un parterre de hauts dignitaires ?  On n’a jamais vu cela en Haïti, pour autant que je m’en souvienne.  Pire encore, un Président qui se fait rabrouer publiquement par un porte-parole de la Primature, sans égard pour l’institution que celui-là représente, c’est vraiment inouï dans nos annales politiques.  Ce Premier Ministre, Jean Henry Céant, a quand même un certain cran, car il n’a pas désavoué pas son porte-parole qui a porté l’estocade à sa place, en son nom.  «  Comme dirait l’autre : « Sa-k pa kontan, anbake !  Jan-l pase l-pase !»  La « soi-disant insatisfaction » du Président aurait certainement pu être mieux présentée au P.M, et, surtout, la minimisation des participants qui ont daigné répondre à l’invitation insistante du bon notaire était fort malvenue.  En bon français édulcoré, le Président a souligné, à grands traits, l’insignifiance politique, à ses yeux, de ceux qui ont répondu à cette invitation.  C’est de l’inélégance à son comble.  Fort probablement qu’on ne les y reprendra plus, pour quelques-uns, à tout le moins.  Mais les gens sont tellement en manque de pouvoir, en manque d’«exposure» politique que cela ne surprendrait pas que certains y reviennent, quand même.  « Pito nou lèd nou la, » ne dit-on pas souvent ?  Mais qu’un subalterne, de troisième ou de quatrième rang d’importance, retourne la gifle à son Excellence, sans rien encourir, témoigne de la faible estime de soi de l’actuel locataire du Palais National et de l’étendue rabougrie de son pouvoir réel.  Quelle misère !

Sur ces entrefaites, les mésaventures du Président ne se seraient pas arrêtées à cet incident, déjà d’importance.  Selon un article de Lyonel Trouillot dans le journal Le Nouvelliste, invité à une autre activité au courant de la semaine, il aurait été accueilli par les quolibets de l’assistance, lui soulignant qu’il n’y avait pas de courant électrique et qu’il n’avait pas tenu sa promesse, du moins pas encore, de fournir du courant électrique 24/24, sur toute l’étendue du territoire du pays.  Le chahut aurait été tellement persistant que Son Excellence, paraît-il, aurait opté pour se retirer promptement, toujours selon cet article.  Alors, cela devient vraiment pitoyable.  C’est une atteinte grave à l’autorité même de la fonction présidentielle qui s’en trouve ainsi banalisée et vilipendée par Monsieur et Madame Tout-le-monde, même par des enfants.  Soit dit en passant, il est vrai qu’on ne puisse pas lui imputer le manque d’eau au barrage de Péligre, néanmoins, il faut bien trouver un responsable pour la pénurie de carburant qui affecte les centrales thermiques, contraintes à arrêter de fonctionner, faute de mazout.  Et à force de jouer à Monsieur-je-sais-tout, on finit par écoper pour ceux et celles à qui on a usurpé les responsabilités administratives.  Un de ses grands alliés, le président de la Chambre des Députés, M. Gary Bodeau, n’a d’ailleurs pas hésité pour rappeler à son Président, essentiellement, qu’il était temps de laisser tomber la propagande et de convenir que, dans la réalité, la disponibilité du courant électrique 24/24, dans bientôt 5 ou 6 mois, et toute l’étendue du territoire national, c’est tout simplement impossible à réaliser, avec les moyens dont nous disposons et dans l’échéance que souhaite la Présidence.

Mais ce n’est pas tout.  Le même député Gary Bodeau, en sa qualité de Président de la Chambre Basse vient de retourner à l’Exécutif, le projet de loi de Finance 2018-2019, pour trois considérations fondamentales.  D’abord, la Chambre de Députés rejette ledit budget, en raison de la recommandation en ce sens, de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif.  Cela en soi aurait suffi pour valider la décision de renvoi de la Chambre basse mais, il en rajoute.  Ensuite, M. Bodeau, dans sa correspondance à l’Exécutif, souligne l’inadéquation dudit budget par rapport aux attentes et aux aspirations de la population.  Finalement, il conclut avec une dernière objection : celle voulant que le budget soit incohérent par rapport aux politiques et aux programmes du gouvernement.  C’est une charge à fond de train, une rebuffade à toute volée.  La Chambre basse serait-elle à la solde de l’opposition radicale qu’elle ne s’y prendrait pas mieux.

Sur un autre sujet, le Président de la Chambre basse a également pris ses distances de la décision du Président envers le gouvernement du Venezuela.  Il n’est d’ailleurs pas le seul de ce camp Tèt Kale, à s’inscrire en faux par rapport à cette décision.  Me Bernard Gousse également y est allé d’une sortie cinglante sur cette décision du gouvernement et plus précisément du Président haïtien, puisque la diplomatie du pays est la chasse-gardée constitutionnelle du Président de la République.  À bien suivre ses propos, le gouvernement haïtien serait ingrat envers le Venezuela qui a contribué à la mise sur pied du programme qui permet aux médecins cubains d’assister médicalement nos nombreux concitoyennes et concitoyens à travers tout le pays, même dans les coins les plus reculés.  Il souligne encore l’incohérence et l’imposture de la diplomatie haïtienne qui ne reconnaît plus la légitimité du Président Nicolas Maduro, après avoir salué son élection en mai 2018 et, pire encore, après que notre ambassadeur eût assisté à la récente cérémonie officielle, protocolaire,  d’investiture du Président Maduro.  En effet, ce n’est plus seulement du marronnage à l’haïtienne, on pense pouvoir jouer intelligemment sur tous les tableaux.   De la roublardise, quoi ?  Cela finira par nous péter dans la face, au moment où l’on s’y attendra le moins.  Et l’on ne pourra compter sur aucun allié, d’un côté comme de l’autre.

Mais, on en a assez dit sur le pauvre Jovenel Moïse, tout Président qu’il est encore.  Quelqu’un a eu l’idée de me transmettre la vidéo d’une séance récente du Parlement.  Ce fut une vraie honte de voir nos élus se battre, comme des vulgaires voyous de certains de nos quartiers, et laisser tomber la dialectique et la confrontation des idées, pour en venir à une bête argumentation à coups de poings.  Et dire que nous avons voté pour ces énergumènes et que nous payons leurs frasques en tout genre avec de l’argent que l’État extorque aux pauvres gens.  Aussi, ce Parlement est-il rendu bien bas dans l’estime de la population.   Dans ce cénacle jadis sélect, on distribue aujourd’hui des orions et des  «pataswèl» à ceux qui ont le malheur de tenir un discours opposé à celui qui se sent le plus fort physiquement.  Pour se défaire d’un projet de loi ou d’un rapport quelconque, il suffit désormais que des fort-en-gueule le déchirent et le jettent par terre ou à la poubelle, et le tour est joué.  C’est cette République qui s’érige en arbitre pour légitimer les représentants d’un autre pays de notre continent.  Ce sont ces mêmes gens, incapables de se contenir pour discuter civilement d’un texte de loi ou du rapport d’un comité, qui distribuent des sentences, des jugements, quant à l’acceptabilité et la conformité des résultats de telles élections.  Nous distinguons dans ses moindres détails, paraît-il, la paille qui se trouve dans l’œil de Maduro, sans pouvoir entrevoir la poutre bien enfoncée dans celui de Jovenel Moïse.

À la vérité, nous partageons ce travers avec nombre de nos alliés de circonstance, et avec lesquels nous nous confortons dans nos égarements.   Prenez, par exemple, l’Union Européenne qui tance à qui mieux-mieux le gouvernement de Maduro mais qui n’a jamais pu imposer à un de ses États membres, nommément l’Espagne, un comportement démocratique, selon des standards connus et acceptés à travers le monde, quant à la possibilité d’une partie de la fédération espagnole, nommément, la Catalogne, d’accéder à une souveraineté pleine et entière, par les urnes, démocratiquement.  On pourrait aussi parler des souverainistes des Pays Basques, laminés par des lois qui leur interdisent toute velléité d’accession à l’indépendance.  Idem pour la Corse ou pour l’Île de la Réunion arrimée à la République Française.  La démocratie est, paraît-il, une notion à acception variable, selon que l’on est des pays considérés comme des ex-colonies ou de pays majeurs, des néo-métropoles, affranchis de ces vicissitudes réservées aux autres.   Les grandes nations peuvent avoir des démocraties sur mesure.  Certains peuvent même avoir des démocraties couronnées.  C’est permis.  Il n’y a là, aucune contre-indication   Tout est une question de diversité.  Ce n’est qu’une variante de la gamme démocratique.  Et quand les rejetons de ces royautés font des épousailles, tout le monde est baba, même dans nos démocraties les plus strictes.  Comme on peut le voir, le terme démocratie aurait un sens différent et s’appliquerait différemment, selon l’histoire et selon les appuis internationaux sur lesquels tel pays peut compter, généralement, en fonction des prébendes autorisées et tolérées de la part des prédateurs des nations dominantes, en complicité avec les rapaces locaux.  Tel autre pays peut se donner d’autres règles démocratiques bancales, mais tout aussi acceptables et reconnues comme tel, par l’univers entier.  Par exemple, une personne, un vote, mais une élection décidée par des GRANDS ÉLECTEURS.  Mais alors, quid du vote des électeurs réguliers ?  Cela donne des situations saugrenues comme celle qui a eu lieu à la dernière élection présidentielle aux États-Unis où le candidat élu a récolté significativement moins de voix que son adversaire malheureux.  Mais, personne ne se posera de question sur ces bizarreries démocratiques, sauf s’il s’agissait de l’autre catégorie de petits pays dits démocratiques.  Allez comprendre quelque chose à toutes ces variances.

À ce jour, en dépit des tueries répétées qui sont perpétrées régulièrement aux États-Unis d’Amérique, que je sache, aucun des pays moralisateurs de ce monde n’a encore traîné les autorités américaines devant les instances internationales pour leur demander de régler ce problème ou pour leur signifier l’urgence de le faire, faute de quoi, on évoquerait tel article de telle charte pour l’y assigner.  Évidemment, ces dérapages, même quand cela affecte spécifiquement et régulièrement un groupe ethnique en particulier, même quand cela est pratiqué régulièrement par des représentants de la force publique de ce pays : nommément la police, sur un même groupe ethnique en particulier : nommément les Afro-Américains, aucun pays ne se juge en mesure, même moralement, de l’interpeller à ce sujet.  Des guerres basées sur de fallacieux prétextes ont été menées sur de pauvres petits pays qui en sont ressortis dévastés, par erreur délibérée, en toute mauvaise foi.  Et personne, aucun pays n’a porté d’accusation, même pas celui qui en a été victime.  Aucune demande de réparation, aucune indemnisation.  On évoquera même, un peu comme dans le cas d’Haïti, ou d’une autre république d’Afrique, le pseudo sacro-saint devoir d’intervenir, nouvelle épée de Damoclès suspendue sur la tête de ces petits pays et de leur dirigeants.

Décidément, ces sevrages de l’actualité haïtienne ne me font pas trop de bien.  Regardez la conséquence.  Je me perds aujourd’hui dans les contours de considérations nébuleuses de variation infinie sur le thème de la démocratie.  Imaginez, un moment, notre dernière élection présidentielle, dument contestée par un large secteur de la population et de l’opposition politique.  Mais rien n’y fit.   Somme toute, c’était un peu bancal mais parfaitement acceptable pour tous les bien-pensants de notre monde démocratique.   Et il ne faudrait surtout pas remettre en question la durée du mandat de ce président élu démocratiquement.  Mais cela peut changer, d’une élection à une autre.  Les règles étaient différentes en 2010 et en 2004.  Cela dépend.  De quoi au juste, encore ?   Tout est une question d’interprétation des règles dites démocratiques et surtout à qui on veut les appliquer.

Pierre-Michel Augustin

le 29 janvier 2019

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