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Mes appréhensions pour le pays, en 2019

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Il n’y a pas beaucoup de bonnes nouvelles en perspective, pour l’année 2019 qui commence à peine. À ce sujet, il y a presqu’une unanimité de la part des observateurs de la scène nationale, et ce, à presque tous les points de vue. J’ai bien relu les articles de la presse et écouté les commentateurs dans les émissions d’affaires publiques, ils sont presque tous sur le même registre, à des nuances près.

 

Le commentaire le plus significatif, pour moi, émane d’un personnage généralement très pondéré et qui intervient très rarement, pour donner son point de vue publiquement sur les affaires politiques du pays. Il s’agit de M. Jean Baden Dubois. Essentiellement, lors de son entrevue à la dernière Édition de l’entrevue Lesly Delatour, avec l’économiste Kesner Pharel, le 2 janvier 2019, le gouverneur de la BRH, après avoir un peu patiné, a laissé tomber la langue de bois. «Il n’y aura pas de roue libre, cette année. En matière économique et financière, on ne peut pas régler nos problèmes structurels avec des solutions conjoncturelles. Nous devons changer de cap». C’était essentiellement ses propos. Comprendra qui voudra. Tout le monde aura senti que l’administration actuelle n’est pas épargnée dans ces déclarations, même si M. Baden prend le soin de blâmer la situation catastrophique du pays, sur les décisions des administrations des trente dernières années, et qu’il se dit rassuré par le fait que le Président, le Premier Ministre et le Ministre des Finances actuels, sont tous concernés et conscients que cette situation ne peut pas durer. Ensuite, il établit la corrélation entre les turbulences sociales et politiques avec la dégradation économique et financière. Au-delà des graphiques savantes, il y a de simples faits qui sautent aux yeux du commun des mortels. À partir de juillet 2018, la dégringolade de la gourde s’est accélérée. Pour répéter ses mots, «la gourde a décroché, à la suite des émeutes de juillet,» instiguées en cela par les décisions économiques outrancières et mal calculées de nos politiciens. C’était aussi le cas après l’arrêté du gouvernement en mars dernier, visant la dédollarisation de l’économie. Résultat: les tèt mato ont encore foiré. Oh! ils étaient de bonne foi et visaient la bonne cible. Ils se sont tout simplement gourés royalement, en utilisant approximativement, les manettes de la machine économique, dont ils ne semblent pas savoir grand-chose.

 

Puisque nous parlons de corrélation directe entre économie et paix sociale, il faut se rappeler que cette année 2019 est aussi celle des élections. Il est prévu de renouveler le Parlement : un tiers du Sénat et tous les députés en octobre 2019. Il en sera de même pour les cartels administrant nos municipalités. Et, qui dit élections en Haïti, dit également instabilité politique et turbulence sociale. Par-dessus le marché, cela va nous coûter un bras, entre 50 et 75 millions de dollars US, selon l’option choisie, d’après le Président du CEP encore en poste, M. Léopold Berlanger. Pince-sans-rire, M. Berlanger avait déjà expliqué les options offertes au pays. «Si le budget doit impliquer la modernisation du processus, à savoir : l’identification et l’authentification des votants via leur empreinte, pour éviter des discussions ; l’autre aspect de la modernisation c’est la rapidité des résultats, le soir même des élections au mieux, ou dans 24 à 48 heures après les élections. Il y a donc de l’investissement à faire pour y arriver, en dehors de la mise en œuvre des élections elles-mêmes…» Alors, on sera plutôt dans la fourchette de 75 millions de dollars U.S. Il est à noter que M. Berlanger ne se risque pas à extrapoler ce budget rondelet en gourdes. Tout dépendra de la valeur à laquelle sera rendue notre devise, au moment de la décision et des élections. Évidemment, le dossier de Dermalog n’était pas encore à l’ordre du jour, si tant est qu’il a un lien avec ces élections. En passant, pour un CEP provisoire, il est devenu pas mal permanent depuis tantôt 3 ans qu’il est installé. Mais je digresse un peu.

 

Pour revenir à nos moutons, comme dirait maître Patelin, ces perspectives difficiles sont également confirmées par l’actuel ministre des Finances. Lui aussi, il prévoit une année rude pour le pays en 2019, après avoir pourtant soumis au Parlement, un budget à la hausse, à 172,8 milliards de gourdes, par rapport à quelque 142 milliards de gourdes de l’exercice 2017-2018. Il sait d’avance que ses objectifs de revenus ne pourront pas être atteints, mais il table quand même là-dessus et prie fort pour qu’un miracle survienne, en dépit des évidences qui s’accumulent sur son bureau, en dépit des remontrances indirectes et publiques de M. Jean Baden Dubois qui appelle à une discipline gouvernementale pour ne pas dépenser de l’argent que nous n’avons pas et aussi pour freiner l’appétit glouton de nos élus au bord de mer.

 

On peut faire dire bien des choses à des chiffres, comme des kilomètres de routes construites à 100 000 $ le kilomètre linéaire, comme une augmentation de la production agricole locale, comme une performance époustouflante de la DGI dans la collecte des taxes et impôts, et j’en passe. Toutefois, la réalité toute simple a une façon de s’imposer aux doctes exposés en PowerPoint et en graphiques, avec des courbes multicolores. Elle se résume au pouvoir d’achat. Lorsqu’on n’arrive plus à acheter la petite marmite de riz, parce que cette denrée est hors de prix, lorsque le dollar se transige à 78 gourdes à l’achat, alors qu’on importe en dollars, tout ce qu’on consomme, même le commun des mortels se rend compte que cela ne tourne pas tout à fait rond, et que la roue de la vie devient de plus en plus carrée. On aura beau dire, on aura beau faire, personne ne pourra berner le simple consommateur, à ce niveau.

 

Vous l’avez sans doute remarqué, le Président ne parle plus de l’électricité 24 sur 24 depuis quelque temps, ni de son armée non plus, soit dit en passant. C’est que l’échéance pour la réalisation de cette promesse-phare n’est plus que dans six mois. Les turbines ne sont pas encore commandées, encore moins installées. Les lignes de transport de ce grand réseau non plus. Et ce ne sont pas les malheureux 150 millions de dollars prêtés par Taïwan qui vont faire une différence. Je ne voudrais pas jouer au prophète de malheur, mais, cette somme aussi risque bel et bien de passer dans la colonne des pertes et gaspillage, un peu comme le Fonds PetroCaribe que la population sera appelée à rembourser au Venezuela, au cours des 25 à 30 prochaines années.

 

Néanmoins, certaines choses semblent avoir changé pour le mieux. Par exemple, l’immixtion du Président dans la micro-gestion de dossiers même non prioritaires, comme le carnaval, semble être révolue. Il en a tellement dans son assiette, qu’il ne peut plus aller piger dans celle de certains de ses ministres ou secrétaires d’État. Bon point pour lui, par la force des choses. Également, le pompier en chef du gouvernement ne semble plus être le Président. Cette assignation est aujourd’hui dévolue au Premier Ministre, Jean Henri Céant, qui se démène comme un beau diable dans un bénitier. Il a hérité du dossier de dialogue national, en dépit de cette passe présidentielle également faite au maire démissionnaire des Cayes, M. Gabriel Fortuné. Il a aussi sur son bureau le dossier de PetroCaribe à piloter avec soin. L’image qui me vient à l’idée, concernant ce dossier, c’est celle du cigare allumé par les deux bouts. Il ne faudrait pas qu’il mène ce dossier à son terme avec trop de brio, mal pourrait lui en prendre. Un tel succès signifierait la mise en accusation de ceux par l’intermédiaire desquels il détient son poste et son pouvoir actuel. Ce serait comme se tirer dans le pied, et c’est hors de question. D’un autre côté, il ne faudrait pas qu’il s’aliène la sympathie de cette mince frange de la population et de tous ces gens de la haute société et de la communauté internationale, qui lui prêtent une aura de médiateur, ayant ses entrées partout, dans la bonne société et auprès des petites gens. Il n’en faudrait pas plus pour que ses commanditaires politiques actuels lui laissent porter le chapeau, sans état d’âme. Et cela aussi, c’est hors de question. En d’autres mots, il ne doit ni échouer, ni remplir le mandat d’aller au fond des choses avec ce dossier, car il risque bien d’y laisser sa peau politique, dans un sens comme dans l’autre. Lui aussi, sans doute qu’il croit au miracle et en espère un, au cours de l’année, qui résoudra pour lui cette énigme.

 

On avait tenté de mettre en boîte le Directeur de la Police nationale, M. Michel-Ange Gédéon, au cours de l’année 2018. À plusieurs reprises, le Président et l’ex-Premier Ministre Lafontant, avaient manifestement entrepris de mettre le D G. sous coupe réglée. On a essayé de réduire son autorité avec un arrêté ministériel qui l’avait enjoint de ne prendre aucune décision administrative significative, sans l’aval au préalable de ses supérieurs civils. On avait constaté tout de suite les résultats: insubordination caractérisée de certains commissaires de police de la zone métropolitaine, organisations d’opérations majeures de police, sans l’en avertir, qui se sont soldées par des échecs retentissants, panne de communication entre l’Exécutif et la Police lors des émeutes de juillet. Depuis quelque temps, la situation semble se stabiliser, dans les rapports entre surtout le Président de la République et le Directeur général, Michel-Ange Gédéon. On s’est bien rendu compte que celui-ci n’entend pas se laisser marcher sur les pieds sans rien faire. Quand on a voulu le mettre au pied du mur en exhibant des armes de guerre et une sécurité du Palais dotée d’uniforme non conventionnels, il n’y est pas allé par quatre chemins. Il a dénoncé haut et fort des dérives du Palais National. Il en a fait de même en commission parlementaire, lorsqu’on a voulu l’utiliser pour incriminer un député de l’opposition. Il a identifié, avec la retenue qu’il fallait, les véhicules et leurs ministères d’attache, au grand dam des politiciens qui comptaient sur cet écran de fumée pour jeter le discrédit sur l’opposition. Dans la guerre de relations publiques, il a bien montré qu’il était capable de tirer ses épingles du jeu, sans trop laisser de plumes. Même qu’il a poussé le bouchon un peu loin, lorsqu’il s’est paradé au Parlement dans un uniforme et avec des chiens détecteurs qui laissaient clairement présager de ses suspicions à l’endroit de certains de ses convocateurs. Ses principaux subalternes insubordonnés ont appris à leurs dépens, qu’il ne se laisserait pas manger la laine sur le dos. Certains ont connu des revers de fortune accidentels et fortuits. Par exemple, le D.D.O, le Commissaire Berson Soljour, est aujourd’hui relégué dans une oubliette quelque part, il est officiellement mis en disponibilité après avoir joué au matamore au Parquet de Port-au-Prince. Le Commissaire divisionnaire Vladimir Paraison, responsable de la sécurité du Palais National, serait aujourd’hui en cavale, avec un mandat d’amener émis contre lui par l’Honorable juge Lumérant. La paix et la régularisation des rapports entre le pouvoir politique et le haut État-major de la Police sont un autre bon point pour le pays. Il faut espérer que cela va durer toute l’année 2019, surtout s’il y a élection.

 

Nul ne sait encore sur quoi le dossier des armes illégales introduites au pays au port de St-Marc, va déboucher. Il reste qu’entre temps, l’ex-D.G. de la police, le Commissaire Godson Aurélus, croupit encore dans une cellule. On aurait beau voulu étouffer l’affaire mais ses tentacules internationaux l’interdisent. Il y va de la sécurité régionale. Certaines de ces armes, après avoir transité par Haïti, se trouveraient, paraît-il, en République Dominicaine, à la Jamaïque et où sais-je encore, impliquées dans la commission d’actes criminels. Toutefois, les enjeux locaux sont évidemment importants et il ne semble pas que l’on soit trop pressé d’aller au fond de ce dossier. Les prises pourraient être trop importantes et les secousses politiques non négligeables.

 

En dehors de ces rares points positifs, j’appréhende une autre année difficile pour le pays, sur plusieurs aspects. Les élections paraissent problématiques avec l’OPL et Pitit Dessalines qui annonceraient déjà qu’ils ne sont pas favorables à une élection dans les conditions actuelles, et surtout avec les personnalités politiques et le personnel de ce CEP provisoire. Sans élection, le Parlement serait caduc d’office, en janvier 2020 car, privé de la Chambre des députés et de 12 sénateurs sur 30. Le quorum de 16, déjà difficile à obtenir serait encore plus inatteignable avec 18 membres disponibles. Je dis 18 au lieu de 20, car il y en a un qui purge une peine afflictive de 9 ans de prison aux États-Unis et un autre qui serait encore en convalescence, après s’être effondré en pleine séance. En définitive, on a beau battre la mesure, Haïti est loin de prendre le rythme de la démocratie représentative tant souhaitée, avec élection régulière, tous les deux ans ou presque, pour le renouvellement de notre personnel politique. On semble confortable dans une crise politique permanente et dans des perpétuelles institutions provisoires.

Éric Jean-Marie Faustin

Le 8 janvier 2019

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