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Les raisons pour lesquelles le Président Jovenel Moïse devrait démissionner

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Le temps passe, et chaque jour amène son lot de difficultés auxquelles fait face le pays. Jour après jour, s’accumulent des griefs, des manquements et des erreurs graves qui viennent grossir le tas de choses à régler, et qui rendent plus ardus les correctifs à apporter pour améliorer la situation. Devant ce constat qui devient de plus en plus généralisé, on est contraint de se poser les questions suivantes: Doit-on garder coûte que coûte cette administration à la tête du pays, au nom du sacro-saint respect de la Constitution ? Ou bien, ne serait-il pas indiqué d’opérer un changement au sommet, pour tenter de sauver le pays du naufrage qui s’annonce, et ce, n’en déplaise aux tenants du respect des mandats de nos élus?

Le pays a perdu son innocence, depuis fort longtemps. Le cynisme et le matérialisme, sans gêne, règnent en maîtres absolus à travers toutes les couches de la société. Les valeurs ancestrales d’entraide mutuelle, de respect des autres et d’un certain civisme s’étiolent, bousculées par un «fè wè» ostentatoire, illusoire et de courte durée. Tous les observateurs du pays se rendent aujourd’hui à l’évidence: tout va de mal en pis. Le secteur économique est en chute libre. La Commission Économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) vient de le déclarer avec des chiffres dont personne ne peut contester la validité. Le déficit global des finances du pays a dépassé les 26 milliards de gourdes pour l’exercice 2017-2018, et la tendance actuelle annonce une performance pire pour le prochain exercice 2018-2019. L’État est à court d’idées pour régler ce problème et ne propose aucune stratégie pouvant y remédier. À preuve, le gouvernement vient de produire un autre budget, sans queue ni tête, avec des projections à la hausse de revenus improbables, et des cibles de dépenses beaucoup plus évidentes, mais également à la hausse. En d’autres termes, même quand les revenus ne seraient pas au rendez-vous, les dépenses, elles, s’imposeront d’emblée. Le résultat net sera que le gouvernement créera un autre déficit record, surtout en cette année électorale, si jamais on parvient à en tenir. Et même quand l’administration actuelle aurait embrassé quelques suggestions judicieuses de ses doctes conseillers, plus personne ne semble lui faire assez confiance pour lui laisser tenter leur mise en œuvre et voir ensuite les résultats. Ce déficit de crédibilité plombe toutes éventuelles stratégies de solution aux graves problèmes dans lesquels se trouvent plonger les finances publiques du pays.

Du point de vue de la sécurité publique, c’est pareil. Même à la capitale, on ne contrôle plus certaines zones. La Saline, Cité-Soleil, Savane Pistache, Grand-Ravine, Cité L’Éternel, Martissant, font la manchette pour les mauvaises raisons. On tue des gens à La Saline, 71 personnes, s’il faut se fier aux rapports du Réseau National des Droits Humains (RNDDH) ou de la Fondasyon Je Klere (FJKL). Même le Président en parle. Sa reconnaissance tardive de la situation ne la rend encore que plus problématique. On tue des gens au Limbé. Même des policiers en armes tombent sous les balles assassines où sous les coups de machettes ou de haches d’agresseurs non identifiés. On assassine des employés de l’État, réfugiés jusque dans les murs de commissariat à Malpasse. Et l’État ne fait rien. L’État n’y peut rien ou ne veut rien y faire. Donc, du point de vue de la sécurité publique, il n’y a pas d’État aux commandes. Mais il n’y a pas que cela, même si c’est déjà trop. La sécurité publique, au sens large, ce n’est pas seulement la sûreté de l’État. La protection des vies et des biens en fait aussi partie. Et lorsque des incendies emportent dans les flammes des marchés publics ou des stations de radio, sans qu’un service de pompier puisse intervenir efficacement, lorsque les accidents causent des hécatombes sur nos routes sans qu’un service d’urgence ne puisse effectivement porter secours aux éclopés, on est en droit de dire que la sécurité publique au pays est un concept totalement vidé de son sens.

Du point de vue judiciaire, le laisser-aller est à son paroxysme. Un honorable juge inculpe un Commissaire de police en fonction au Palais national, sur une grave accusation de crime transnational. L’intéressé refuse d’obtempérer à l’ordre de la Cour et le Palais National où il est en fonction, n’y fait rien. Pire encore, flanqué d’une escorte policière de sa garnison du Palais national, il se serait rendu tranquillement dans son fief à Marigot, dans le Sud-Est, avant d’être évacué en toute discrétion vers un pays étranger, pour ne pas avoir à répondre au mandat d’amener émis par l’honorable juge à son endroit. Dans un pays normal, ce n’est pas seulement un cas d’obstruction à la justice, c’est un déni de justice tout court. On intimide les juges à qui mieux-mieux, jusque dans leur domicile, jusque dans leur chambre à coucher. Tel ami d’un ex-président profère clairement des menaces à l’intégrité physique dudit juge sur les ondes de certains médias, et l’État ne fait rien. La Police ne fait rien. La MINIJUSTH ne fait rien, ne dit rien. Silence radio. Dans cet État, la justice n’a plus cours. L’état de droit n’est plus qu’une illusion.

Du point de vue de la production nationale, l’an dernier, on aurait importé pour environ 5 milliards de dollars de biens à consommer dans le pays, contre environ 900 millions de dollars d’exportation de nos produits. Si l’on tient compte de la décote accélérée de notre gourde face au dollar, qui se transigera bientôt à 80 gourdes pour un dollar américain, il nous faudra encore plus de dollars cette année pour juste maintenir le même niveau d’importation, et nos exportations nous rapporteront encore moins que l’an dernier, simplement en tenant compte de la dévaluation de notre devise.

Il ne faut pas croire que le bon peuple restera les bras croisés, devant cette descente aux enfers, car il en ressent les impacts quotidiennement, dans sa chair, dans son ventre, dans sa vie. Déjà, il entreprend de squatter la République Dominicaine qui ne se laisse pas faire et qui prend des mesures de rétorsion radicales et, la plupart du temps, racistes à l’endroit de nos compatriotes qui s’y sont réfugiés. On s’est passé le mot, dans presque tous les pays avoisinants. Nous sommes devenus des persona non grata, presque partout dans les Amériques, en partant du Canada, en passant par les États-Unis, par l’archipel des Antilles, jusqu’au Chili. Tout le monde se prémunit contre la vague de réfugiés économiques haïtiens, qui s’apprêterait à déferler sur leur territoire prochainement, quand ceux-ci n’y sont pas déjà.

Face à tout cela, l’État ne fait rien. L’État n’a pas d’idée, ou quand il en a une, elle ne vaut pas grand-chose et n’a aucun impact sur nos problèmes. Rien pour améliorer la production nationale. Rien pour améliorer la sécurité nationale, sinon plus de balles, plus de gros calibres, plus de gaz lacrymogène. Rien pour atténuer la décote de la monnaie nationale. Rien pour juguler la criminalité rampante. Même les promesses mirobolantes ne passent plus la rampe. Tout le monde s’est finalement rendu compte, que l’électricité 24 sur 24, c’était une grosse blague, et plus sots encore étaient ceux qui y ont cru. La Caravane du Changement, on en entend parler de moins en moins. Idem pour cette armée dont le budget de fonctionnement serait de 450 millions de malheureuses gourdes. Vous imaginez le spectacle ! Même les soldats de l’Armée des va-nu-pieds de la guerre de l’indépendance feraient figure de militaires chromés, comparés à ceux de notre FAD’H refondée que nous sommes supposés avoir aujourd’hui.

Face à ce volcan qui menace d’exploser à n’importe quel moment, le gouvernement verse dans des gesticulations administratives coûteuses, dispendieuses même, quand elles ne sont pas strictement inutiles. Pour s’attirer des votes, on relancerait des programmes qui n’ont rien donné comme résultats probants, avec les Ti-manman cheri et autres gadgets politiques soi-disant d’apaisement de ce genre. Pendant ce temps, le gouvernement semble ignorer qu’Haïti est encore sous mandat des Nations-Unies, et que cette instance nous observe. Le Secrétaire général des Nations-Unies, M. Antonio Guterres et les membres de son assemblée générale, ne sont pas dupes et voient le spectre d’un État failli se profiler devant leurs yeux. C’est exactement le contraire de ce qu’ils voulaient éviter qui est en train de s’accomplir, en dépit de leur présence, ô combien désastreuse. Dans son dernier rapport, M. Guterres a pris la peine de signaler aux membres de son assemblée, que les indicateurs politiques, sociaux et macro-économiques, tendent vers une dégradation significative de la situation en Haïti. Et cela, ce ne sont pas des paroles en l’air qui ne portent à aucune conséquence. Lorsque viendra le temps de voter des dispositions à prendre envers Haïti à l’ONU, les pays amis n’accepteront pas de contribuer à éponger une facture, sans vouloir s’assurer que des mesures soient prises pour limiter les dégâts et les coûts y afférents pour eux. Et ce n’est pas Taïwan, reléguée au rang de pays non-membres, dont la voix n’aura aucun poids, qui viendra tirer le gouvernement et Haïti, de cet autre mauvais pas.

Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres encore, je pense que le Président Jovenel Moïse devrait songer à remettre sa démission au Parlement, pour forcer un changement radical d’orientation de l’État. Rassurez-vous, je ne suis pas naïf au point d’y croire, à moins qu’il y soit forcé par les circonstances. Mais, effectivement, comme le clame l’opposition, on ne pourra pas engager un changement profond au pays, sans un geste d’éclat qui garantit au peuple et à la communauté internationale, que les perspectives sont en train de changer radicalement et, fort probablement vers le mieux. Par exemple, le gouvernement actuel ne pourra pas faire croire au peuple, que désormais, il reflètera les coûts des carburants régulièrement, en commençant maintenant par les prix à la baisse d’aujourd’hui, pour une augmentation des prix à la pompe, le cas échéant, au moment où ils le seront dans les faits, sur le marché mondial où il s’approvisionne. Ce gouvernement ne pourra pas convaincre ceux qui ont contribué à son accession au pouvoir, de payer leurs dus en taxes et impôts au Trésor public car, ceux-ci s’attendent encore à tirer tous les bénéfices indus de leurs appuis financiers antérieurs. Il en sera de même pour tous les autres secteurs de la vie économique du pays pour lesquels cette situation de deux poids et deux mesures est une injustice contre laquelle ils se rebellent tacitement ou frondeusement. Je ne pense pas que le gouvernement actuel, principalement le Président Jovenel Moïse, pourra pacifier les zones de non-droit qui naissent, un peu plus chaque jour, à travers le pays tout entier, parce que les gens ont finalement compris que seul le langage de la force est écouté par cette administration et tout particulièrement par le Président Jovenel Moïse. Finalement et ultimement, lorsqu’il faudra s’adresser à la communauté internationale pour nous donner du lest, une bouffée financière et un accompagnement soutenu pour un autre trois à cinq ans, celle-ci ne nous accordera aucun crédit, si les mêmes acteurs qui lui ont conté tant de sornettes, par le passé et encore aujourd’hui, reviennent à la charge, une autre fois. Nous ne serons dignes d’une certaine attention, que si nous nous présentons, cette fois-ci, rassemblés en un seul faisceau, pour expliquer, en termes clairs, que nous nous sommes entendus enfin sur un chemin à prendre ensemble, sur des moyens fiables, largement acceptés par tous les secteurs de la vie du pays, sans tricherie ni forfaiture à craindre. Non, je ne pense pas que l’opposition, dans son état actuel d’émiettement, soit plus crédible aux yeux du monde ou même du pays, pour garantir la mise en œuvre de propositions de changements importants. Mais son ouverture déclarée pour se concerter, même avec les forces politiques du pouvoir actuel, est un bon signe et qui me porte à supporter cette démarche. D’ailleurs, même des non-opposants au gouvernement, comme le député Tardieu, comme l’ex-colonel Rébu, et tant d’autres personnalités politiques de divers horizons, semblent tranquillement s’acheminer vers l’adoption de cette proposition. Pour le moment, c’est l’initiative la plus porteuse qui s’offre à nous, pour sortir du marasme.

2019 verra une nouvelle Haïti poindre à l’horizon, ou le naufrage fracassant du pays, et pour longtemps encore, avec des conséquences désastreuses pour nous, certes, mais aussi pour tous nos voisins plus ou moins immédiats. C’est peut-être ce qui définit un point de bascule, un autre carrefour de l’Histoire pour Haïti, et qu’il ne faudrait pas rater, comme à tant d’autres occasions.

Éric Jean-Marie Faustin

le 1er janvier 2019

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