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Mes inquiétudes et mes espoirs…

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Juste au moment où je m’inquiétais du silence radio prolongé des signataires de l’Accord de Marriott, je viens d’entendre parler des premiers résultats, après de longues discussions, pour déterminer qui occupera la présidence provisoire et qui occuperont les postes ministériels à pourvoir, dans l’intérim de deux ou trois ans de la transition à venir. Je m’inquiétais un peu, craignant que les perturbations, provoquées par le passage en trombe, à Port-au-Prince, de Mme Kelly Craft, l’Ambassadrice des États-Unis auprès de l’Organisation des Nations Unies, ne viennent tout remettre en question. Lors du passage des grands paquebots, les frêles esquifs, pris dans leur sillage, sont souvent sujets à de grandes commotions. Donc, tout était à craindre, après les consultations expresses de l’Ambassadrice, avec tout le gratin politico-économico-social de la République. La Passerelle, se serait-elle effondrée sous le poids de cette nouvelle intervention? Le consensus fragile et difficilement obtenu par les participants au «Congrès de Marriott », se serait-il effrité et évaporé sous la pression de cette météore qui a traversé notre ciel politique si sombre? C’était à craindre, en effet.

Il en était d’autant plus que, du côté de la présidence, des initiatives pointaient à l’horizon, et se multipliaient, certaines moins heureuses que d’autres. Par exemple, les présidents du Parlement, Carl Murat Cantave au Sénat et Gary Bodeau à la Chambre des Députés, de même que le Président de la Cour de Cassation, Me René Sylvestre, eux qui n’avaient même pas daigné se présenter au MUPANAH, le 18 novembre dernier, à l’insigne invitation du Président de la République, pour commémorer la Bataille historique de Vertières et la victoire finale de nos ancêtres sur les troupes de Napoléon Bonaparte, ne s’étaient pas fait prier longtemps, après le passage de l’Ambassadrice, pour se réunir avec Son Excellence, Jovenel Moïse, pour discuter des affaires du pays et des décisions urgentes à prendre pour la sauvegarde de la Nation. L’invitation du 18 novembre, c’était avant le passage de Mme Craft et avant sa rencontre avec le Président de la République. Il y avait des devoirs à la maison à mettre au propre, comme l’avait souligné, à grands traits, Mme Craft. Et, brusquement, des nominations récentes dans les rangs supérieurs de l’administration publique, s’ébranlent dans leur fief respectif, comme autant de chevaux qui piaffaient d’impatience depuis trop longtemps, à la ligne de départ d’un grand derby. Si Léon Jean-Marie Guillaume, récemment bombardé au CONATEL, trouve peu d’embûches sur son chemin et tente de relancer la machine ou si Wilfrid Trénard, récemment parachuté à la direction générale du Ministère de la Planification et de la Coopération externe, tente également de trouver sa marque sans rencontrer trop de difficulté, on ne peut en dire autant d’un troisième mousquetaire, Wilson Fièvre, qui a hérité de la direction générale de l’IHSI. Ce dernier a frappé un mur devant la répudiation de ses employés qui sont carrément tombés en grève, pour signifier leur opposition à cette nomination. C’est que M. Fièvre aurait une petite tache sur sa carte de visite, indexé qu’il serait dans l’Affaire Dermalog. Par ailleurs, pour faciliter son retour en force, le Gouvernement aurait mandaté des émissaires pour inviter certains chefs de gang à prendre un peu de vacances, laissant ainsi un peu de répit à la population. Certains de ces messagers au long cours n’auraient pas reçu l’accolade fraternelle à laquelle ils s’attendraient. L’un d’entre eux, criblé de balles, se retrouverait, paraît-il, dans un de ces hôpitaux de service à l’étranger, pour recevoir les soins que requiert son état. Pas chanceux, celui-là. Pourtant, il apportait un message bien lesté de fric, semble-t-il. Mais ces gens sont tatillons un peu et très susceptibles, il ne faudrait pas les prendre à rebrousse-poil car qui s’y frottent pourraient bien s’y piquer. Et c’est exactement ce qui serait arrivé à l’un d’entre eux. En tout cas, l’ancien ministre Fritz Jean-Louis, l’aurait appris à ses dépens et reposerait actuellement à l’hôpital, en République Dominicaine, après avoir été criblé de balles à Port-au-Prince. On n’a pas, toute, la même chance dans nos démarches. Certaines sont peut-être un peu plus hasardeuses que d’autres, tout dépend de l’interlocuteur avec qui on doit transiger. Et on a beau lui donner le sobriquet de Ti Lapli, il faudrait quand même se méfier de ses humeurs orageuses. C’est ce que veut la rumeur.

Pour sa part, le ministre de l’Éducation nationale et de la Formation Professionnelle, lui aussi, gigote un peu pour bien montrer qu’il est dans le coup et qu’il maîtrise, tout-à-fait, la situation. Il s’est fendu d’un démenti, après avoir coulé une information relative à la reprise des activités scolaires: soit à la première semaine de décembre, soit après les fêtes. Du coup, il accrédite le fait qu’il n’a aucun contrôle sur le calendrier scolaire et le bon fonctionnement des établissements à sa charge directe ou indirecte. Enfin, on ne peut pas trop lui en vouloir, à ce ministre chevauchant deux ministères totalement différents: le Ministère de l’Intérieur et des collectivités territoriales, d’un côté, et celui de l’Éducation nationale, de l’autre. Il est rare d’être très performant en étant, à la fois, au four et au moulin, surtout quand les résultats n’étaient déjà pas mirobolants, lorsqu’on n’avait rien qu’un seul mandat à réussir. Mais on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. Alors, ce n’est pas surprenant d’avoir les résultats affligeants que nous affichons régulièrement, dans n’importe lequel de ces deux ministères qui lui ont été imprudemment confiés.

En même temps, pour faire diversion et créer un écran de fumée qui attire l’attention pendant que l’Exécutif agit en sous-main, ailleurs, le Commissaire du gouvernement mène une charge à fond de train contre ces «membres du Système» qui dépècent le pays et privent ses filles et ses fils d’un avenir radieux, depuis trop longtemps. À l’évidence, dans le dossier SOGENER, l’État commet gaffe après gaffe et déni de justice par-dessus maladresse évidente. C’est à se demander s’il ne s’agirait pas d’une action délibérée, afin de garantir l’échec de la poursuite de l’État, dans le procès à venir contre ce partenaire.

Mais tout cela, c’était du côté du gouvernement qui se démène comme un diable dans le bénitier, pour reprendre la main, pour démontrer qu’il agit, qu’il a le contrôle, enfin, qu’il mérite de se voir confier une autre chance pour redresser la situation. Même quand les résultats ne sont pas à l’horizon et surtout pas à la porte, il conviendrait, néanmoins, que l’opposition qui voudrait le bouter dehors, nous démontre un peu de son savoir-faire. Tout d’abord, quid de l’Accord de Marriott et de ses suites? Quel serait le Président provisoire pressenti qui puisse inspirer un peu de confiance et distiller un filet d’espoir à cette population qui n’en peut plus d’attendre et de souffrir? Quel est le plan de sauvetage national pour parer au plus pressé? J’avais l’impression d’un «calbindage» politique qui me faisait craindre le pire. Ma tante, qui avait toujours un proverbe pour chaque circonstance, ne manquerait pas de dire, en l’occurrence: «tout ce qui traîne finit par se salir». Et elle aurait bien raison. À la radio, un porte-parole, l’ex-député Jean-Robert Bossé, vient atténuer mes craintes. La Passerelle aura permis aux factions politiques de l’opposition, signataires de l’Accord de Marriott de faire un autre pas. Un accord serait intervenu quant au profil de la personnalité à désigner comme président provisoire et des recommandations seront faites bientôt. D’ici le mercredi 27 novembre, nous devrions être fixés sur ce point, à tout le moins. Une feuille de route aurait été définie pour le fonctionnement du gouvernement provisoire. On serait maintenant rendu à l’étape des discussions avec les potentiels ministres et premiers ministres. À l’entendre, le gros du travail aurait été fait. Les discussions avec les potentiels ministrables seraient plus faciles à conduire qu’avec le potentiel Président provisoire, étant donné son statut de Juge à la Cour de Cassation qui le placerait dans une situation délicate et pas très accessible. Si tel est le cas, je m’accrocherai encore au brin d’espoir qui m’empêche de sombrer dans un pessimisme sans bornes, pour ce pays.

Mais cette sortie du porte-parole me laisse encore sur ma faim. Après tout, il y a urgence au pays. Ce pays se meurt. C’est criant et pathétique. La Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA) établit un niveau d’insécurité alimentaire grave qui frappe actuellement plus de 3 millions de nos compatriotes (3,67 millions, plus exactement). Et si rien n’est fait, dans un autre six mois, ils seront plus de 4 millions à se retrouver dans cette situation plus que précaire (4,10 millions, plus exactement). La dégradation sociale s’accélère et on en voit des signes palpables, en grandes manchettes dans nos actualités. Par exemple, au Cap-Haïtien, le 18 novembre dernier, lors d’une manifestation contre le gouvernement, un adolescent a été grièvement blessé par une balle tirée par un gardien de sécurité devant une boutique. Cela a déchaîné la fureur de la foule qui a incendié le commerce. Bilan: trois personnes qui s’y étaient réfugiées sont brûlées vives. C’est sans doute à ce retournement de bâton auquel plusieurs font allusion, lorsqu’on parle de «renvoyer la croix d’où elle vient». Et elle risque de frapper, un peu à l’aveuglette, tous ceux et toutes celles qui pourraient se trouver sur son parcours. Y en a marre de compter des cadavres et des victimes, toujours dans le même camp. Il suffit d’écouter les lignes ouvertes, un tant soit peu, pour se rendre compte du déclic qui est en train de s’opérer dans la tête des gens. L’horreur s’étale au grand jour et personne ne s’en émeut plus, ou si peu. Imaginez, par exemple! 15 femmes incarcérées avec des hommes dans la même prison, ont subi des viols collectifs perpétrés par les prisonniers mâles, dans un établissement pénitentiaire sous contrôle de l’État. Une adolescente également incarcérée a subi le même sort. D’abord, cela ne se fait pas. C’est contre toutes les règles les plus élémentaires de protection des prisonniers. Les femmes, les enfants et les hommes sont des clientèles à incarcérer séparément. Et faire fi de cette règle, c’est faire courir un risque indu par les clientèles plus vulnérables, aux mains de prédateurs ou de criminels, sous le contrôle de l’État. Où était donc l’État, lors de la commission de ces crimes? Où étaient les responsables de l’établissement? Qui doit en prendre le blâme? Pourquoi est-ce arrivé? Évidemment, personne n’était aux commandes. Personne n’est à blâmer. Personne n’est redevable de rien. Aucun ministre ne sera blâmé voire même, révoqué. Par-dessus tout, aucun d’entre eux ne sera assez digne, pour spontanément remettre sa démission devant un tel constat d’échec grave qui lui serait imputable. Et c’est ce gouvernement que certains tiennent à maintenir au pouvoir, coûte que coûte, au nom de la stabilité d’un État qui étale sa faillite au grand jour, de plus en plus. Son Président a déjà fait tant de merveilles, au timon du pays, qu’on ne saurait se priver de son leadership éclairé, ne fut-ce que d’un seul jour.

Tel un passereau, égaré en pleine mer et qui trouve refuge sur une malheureuse branche flottant à la dérive, tel un naufragé accroché à quelques calebasses vides, je me prends à espérer, contre tout espoir apparent, que cette saga aura, bientôt, une fin heureuse. Je m’accroche donc à quelques signes et je souhaite que cette opposition rapiécée, ressente comme moi, l’urgence de hâter le pas et de convenir de changements acceptables qui puissent modifier le quotidien de toute la population. 2020 ne pourra pas se dérouler comme l’a été 2019. Cela se passera ou le pays entier cassera. Et alors, nous comprendrons tous, collectivement, à quelle horreur, à quelle extrémité, un peuple fatigué, humilié et bafoué, peut se rendre, lorsqu’il est acculé à ses derniers retranchements, dans la misère abjecte et dans l’injustice absolue.

Pierre-Michel Augustin

le 26 novembre 2019

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