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La pagaille donne rarement les résultats attendus

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Dans une lutte, cela prend au moins deux adversaires.  La victoire de l’un entraîne invariablement la défaite de l’autre.  C’est logique et inévitable.  Les manifestations répétées de l’opposition peuvent affaiblir considérablement le gouvernement, néanmoins, il n’en demeure pas moins que celui-ci reste aux commandes, avec le ferme appui de ses principaux commanditaires locaux et étrangers.  Les raisons des insuccès de l’opposition, jusqu’à ce jour, relèvent de plusieurs facteurs dont certains sont de sa propre faute.

Il est clair que le gouvernement actuel n’a aucune capacité d’agir sur les leviers économiques et sociaux, susceptibles d’améliorer les conditions de vie de la population.  Pire encore, ses initiatives ont eu exactement les effets inverses.  Par méconnaissance des rouages administratifs ou par simple incompétence, il a amené le pays dans un cul-de-sac économique et politique, malgré des embellies naturelles et des circonstances politiques conjoncturelles qui lui sont favorables.  En effet, depuis l’ouragan Matthew en octobre 2016, les cyclones ont épargné le pays.  Certes, il y a eu un tremblement de terre dans le Nord-Ouest, mais il fut, somme toute, de faible envergure.  On a eu plus de peur que de mal.   Ce fut juste un coup de semonce de Dame Nature pour nous rappeler qu’elle ne nous a pas oubliés mais qu’elle prend son temps,  tout en nous accordant assez de délai pour mieux nous préparer.  En dépit du fait que nous avons pu épargner des dépenses d’urgence pour pallier ces sinistres qui nous arrivent plus souvent qu’autrement, le gouvernement s’est arrangé pour additionner deux déficits successifs, l’un plus élevé que l’autre, au cours des deux premières années de son mandat, soit 13,1 milliards de gourdes en 2016-2017 et environ 25 milliards de gourdes en 2017-2018, sans rien de notable pour justifier ce passif colossal.  Malgré maintes déclarations vertueuses de gestion financière stricte de Cash Management, les finances du pays sont allées de mal en pis.  Et rien ne dit que la tendance ne se maintiendra pas en 2018-2019.  Bien au contraire, car tous les indicateurs pour cet exercice sont au rouge vif, presqu’au cramoisi.  Plus rien ne semble aller.  Cette situation a servi de petit bois pour allumer la colère de la rue.  Néanmoins, elle n’a pas pu être exploitée à son plein potentiel, jusqu’au renversement de ce gouvernement, tout bien considéré, parfaitement inepte.  Pourquoi ?  La réponse me paraît assez simple.  Trop de ténors de l’opposition ont embouché le clairon sur des notes différentes, de sorte que le peuple se perd devant tant de divergences, et les supporteurs de ce gouvernement, qui pourraient être tentés de changer d’allégeance, se méfient et hésitent devant tant de dispersion.

Outre la dispersion et la discordance des voix de l’opposition, il y a également la formulation non stratégique d’une solution de remplacement de la part des tenants de l’opposition.  La situation actuelle est insurrectionnelle mais non révolutionnaire.  On ne peut pas interchanger les réponses qui s’appliquent à l’une ou à l’autre situation.  Dans la situation insurrectionnelle que nous vivons actuellement, il conviendrait d’appliquer les prescrits de la Constitution prévus à cet effet.  Cela risque mieux de passer la rampe et d’être accepté par la population et par les instances internationales qui tiennent encore Haïti sous leur observation biaisée.  On n’y échappera pas et l’on fait fausse route à essayer de tenter le grand coup, en proposant des solutions qui ne sont surtout pas garantes de meilleurs lendemains mais qui sonnent tellement bien à l’oreille du militant pur et dur.  La Constitution haïtienne amendée prévoit le remplacement du Président déchu de ses pouvoirs.  Et je cite l’article 149 qui traite de la matière.

« En cas de vacance présidentielle, soit par démission, destitution, décès ou en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dument constatée, le Conseil des Ministres, sous la présidence du Premier Ministre, exerce le pouvoir exécutif, jusqu’à l’élection d’un autre Président .  Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République, pour le temps qui reste à courir, a lieu dans les 60 jours au moins et 120 jours au plus, après la vacance, conformément à la Constitution et à la loi électorale. »

Je sais que cette proposition de sortie de crise n’est pas idéale, toutefois c’est ce que prévoit la Constitution comme façon de passer à travers cette situation.  Alors, on n’y échappera pas, à moins de tomber dans une situation franchement révolutionnaire, auquel cas, toutes les provisions constitutionnelles deviennent caduques et seul l’état des forces en présence dictera les modalités de changement de régime.  Mais nous n’en sommes pas là.  Du moins, pas encore.  Et il ne serait pas souhaitable non plus qu’on se rende à cette extrémité car nul ne sait sur quelle nouvelle catastrophe on pourrait finalement déboucher.  En effet, la situation haïtienne peut aboutir à presque n’importe quelle conclusion.  Un peuple qui a faim n’écoutera pas forcément la voix de la raison et de la modération.  Une fois lancé, comme une boule de billard, il risque de tout renverser sur son passage, y compris certains alliés qu’il aurait mépris pour des adversaires conjoncturels.  Et puis l’histoire contemporaine est parsemée d’exemples de coups tordus qui ont fait boomerang.   Parlez-en aux Égyptiens qui se retrouvent aujourd’hui solidement écrasés sous les bottes du général Al Sissi.  Il est vrai qu’aujourd’hui nous ne courons plus le même type de danger militaro-dictatorial, notre armée ayant été opportunément mise hors-jeu pour longtemps par l’ex- Président Aristide.  N’empêche qu’après le bref intermède Privert / Jean-Charles, nous sommes retombés rapidement dans l’ornière Tèt Kale bis, avec l’aide conjuguée et pro-active des Pays Amis d’Haïti.  Donc, si c’est arrivé une fois, je ne vois pas pourquoi, ce ne pourrait pas survenir une autre fois.  Car, rien n’a vraiment changé au pays.  Les conditions infrahumaines de misère nous laissent vulnérables à toutes sortes de tentations.  La dernière sortie intempestive de plusieurs de nos artistes pour la tenue du carnaval 2019, malgré la situation actuelle, devrait donner à réfléchir à tous les bien-pensants qui ne tiennent pas assez compte de cette réalité criante.  Après tout, il faut bien vivre, à défaut de vivre bien, n’est-ce pas ?

Certains, les purs et durs qui ne jurent que par le changement total et rapide, me taxeront d’étapiste.  Certes, je suis un peu comme la fourmi laborieuse qui grignote et travaille sans cesse, jusqu’à bâtir une fourmilière hors de proportion par rapport à sa taille.  Nul ne sait vraiment combien de temps elle y a mis, combien d’individus s’y sont attelés dans l’anonymat absolu, un peu comme dans notre geste de 1804.  Dans ce cas précis, l’histoire a retenu quelques fragments sociaux, quelques noms ici et là : Lamartinière, Lamour Dérance, Laplume, Capois-la-Mort, Dessalines, Toussaint, Pétion, Gabart, Christophe, Sanite Bélair et j’en passe.  Mais, combien d’autres inconnus qui ne se révèleront jamais et dont la postérité n’apprendra même pas les noms ont contribué à rédiger cette belle page d’histoire, sans forfanterie aucune ?  La lutte pour le changement et pour l’émancipation d’une société d’hommes et de femmes, est une course à relais et le flambeau passe d’une main tendue à celle de l’autre qui est en avant, plus apte à franchir les prochains obstacles, les prochaines étapes, jusqu’à la passation du flambeau à un autre ou à une autre dont on ne connaît pas encore l’identité exacte mais qui se révèlera le plus apte, à tel moment de la durée, pour franchir quelques mètres de plus pour nous rapprocher de nos objectifs, en tant que société d’hommes et de femmes libres et devant gravir, à la dure, les étapes pour parvenir à son plein épanouissement.

On ne nous fera pas de cadeau.  Pour la plupart, nos voisins, nos amis d’aujourd’hui ou d’hier convoiteront un jour nos ressources, le peu que nous avons, pour satisfaire leurs propres besoins sinon pour combler leur appétit de goinfres insatiables.  Ceux qui ont pris le pari de miser avec le temps et de courir le marathon plutôt que de s’engager dans un sprint à finir, ceux-là sont encore dans le coup, aujourd’hui.  Ils ne l’ont pas eu facile, mais ils avancent.  Ils peinent en chemin, en raison de tous les obstacles qu’on s’emploie à leur mettre en travers de leur route, mais ils avancent.  Petit train va loin et à chaque jour suffit sa peine.  Dans l’ordre et avec méthode, ils escaladent les murs que d’aucuns pensaient infranchissables.  Leur petite taille relative n’est pas un handicap insurmontable devant les géants auxquels ils sont confrontés.  Parlez-en au Vietnam qui vient de prêter obligeamment ses bons offices à Washington qui lui avait pourtant infligé une guerre totale, il y a un demi-siècle, donc hier encore ou, plus près de nous, parlez-en à Cuba avec ses palmarès sociaux qui font pâlir d’envie bien des pays autrement mieux dotés.  Le changement viendra à force de labeur et de persévérance, comme il est survenu dans ces pays proches ou lointains qui ont dû surmonter des épreuves différentes, peut-être par leur nature, mais qui auraient pu chavirer le cours de leur destinée.

Lorsque je considère l’action mobilisatrice de l’opposition, que dis-je, des oppositions haïtiennes, je suis porté quand même à saluer leur détermination dans la lutte qu’elles engagent, la conviction qui les anime et qui les guide dans leur quotidien, malgré les défections en cours de route, malgré la fatigue de certains guerriers, malgré les coups bas de certains opportunistes qui se cachent dans leurs rangs pour mieux saboter leur action en cours de route, au moment critique.  Dans une lutte à finir, il faut savoir mesurer sa force, compter ses supports et s’en assurer sans relâche, chaque jour, pour éviter que ceux-ci ne se dérobent sous nos pieds, au moment où l’on compte le plus sur eux.  Cela ne pourra pas se faire sans des ententes entre toutes ces factions de l’opposition.  Seules et éparses, elles ne feront jamais le poids face à l’adversaire.  Mais unies et solidaires, elles ont de bien meilleures chances de remporter la victoire, en bout de piste et de haute lutte.  Pour parvenir à cette entente et pour qu’elle ne soit pas une autre trêve fragile, comme tant d’autres qui jalonnent notre histoire depuis la nuit des temps, depuis l’époque des colonies, il faudra convenir, entre alliés, d’un socle minimal de projet de société et de mesures à prendre, une fois au pouvoir, pour garantir la viabilité de cette entente, pour cimenter, en un seul bloc, les différentes facettes qui composent cette mosaïque d’opposition et rendre son action imparable.  Ainsi, lorsqu’un émissaire d’un pays étranger viendrait offrir ses bons offices pour nous imposer ses solutions d’outre-mer à une crise à laquelle son pays a aussi contribué, nous pourrions lui opposer un front uni et une réponse commune, sans fausse note, ni bémol.  Nous pourrions lui dire merci de ses bons services mais voici ce que nous voulons, d’une seule voix.  Il ne pourrait pas alors être tenté de faire une surenchère et voir qui sera le premier à succomber au chant des sirènes.  Mais pour que cela survienne, il nous faut transcender notre propension à tout vouloir faire tout seul, à arriver le premier.  Rappelons-nous, il s’agit d’une course à relais.  Seules les équipes dont les membres sont soudés entre eux et solidaires l’un envers l’autre, parviendront à remporter la mise.  Autrement, c’est la défaite assurée, à tout coup.

Par-dessus tout, évitons de proférer des menaces que nous savons ne pas pouvoir mettre à exécution, ou de lancer des défis que nous n’avons pas les moyens d’empêcher l’adversaire de relever.  Ce faisant, nous ne pouvons que perdre un peu de la crédibilité que nous peinons à accumuler. Cela rejaillit un peu sur toute l’opposition que l’on met facilement dans le même panier.  Et, lorsque je lis des appels à la mobilisation populaire, comme celle annoncée pour le 7 mars prochain et que je remarque l’absence de nombreux signataires, et non des moindres, que je m’attendrais à voir au bas de la page, je me désole infiniment, sachant que l’effet ne pourra qu’être diminué d’autant, sachant qu’à chaque coup raté, l’adversaire devient plus fort et apprend chaque jour de nos erreurs.  Si nous n’y prenons garde, le cumul de nos erreurs finira peut-être par nous ranger parmi les hoquets de l’histoire qui auraient pu faire la différence mais qui n’y sont pas parvenus, faute de méthode, faute de discipline, faute de stratégie, faute de vision tout court.

Pierre-Michel Augustin

le 5 mars 2019

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