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Des changements qui n’en sont rien et qui augurent d’un perpétuel recommencement

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Les pays stables ne changent pas leur constitution à la va-vite. Ils la modulent, ils la modèlent, au fur et
à mesure qu’ils évoluent, pour y inscrire des éléments qui sont mieux adaptés. Par-dessus tout, ils
prennent le temps de réfléchir au processus, car, après tout, il faudra vivre avec le résultat, pendant
assez longtemps et cela coûte cher, à la fois de commettre des erreurs et de tenter de les corriger
ensuite. Par-dessus tout, ils respectent le processus qu’ils se sont donnés pour éviter de retomber dans
les pièges du passé. Ils prennent le soin de respecter à la lettre, autant que faire se peut, les prescrits de
leur constitution en vigueur.
L’histoire constitutionnelle du pays est un reflet de notre turbulence sociale et de nos réactions
politiques intempestives. De 1804 à aujourd’hui, nous avons entrepris cet exercice, complètement ou
partiellement, 25 fois déjà, pour autant que j’aie pu les retracer, car je ne suis pas un historien, et encore
moins un expert de nos constitutions. Et, à chaque fois, nous y avons trouvé, souvent à raison, quelques
imperfections, ici ou là. Nous avons souvent recommencé alors le processus, sans respecter les normes
pour ce faire, sans retenir les leçons de l’échec antérieur. Au bout de quelques années ou de quelques
décennies, tout au long desquelles nous avons résisté furieusement à mettre en opération les organes
constitutionnels, complètement ou partiellement, pour tester leur applicabilité, leur pleine adaptation à
qui nous sommes vraiment, à nos aspirations profondes en tant que société. Ensuite, on s’étonne de voir
que le véhicule auquel on a enlevé le moteur, ne démarre pas, et reste là en dépit de nos efforts
hypocrites et vains.
Lorsqu’on a introduit et adopté la Constitution de 1987, on avait voulu faire œuvre utile et
apporter cette stabilité dans le fonctionnement général de notre société. Nous avions surtout voulu nous
préserver à jamais des tentations de dictature qui ne manqueront pas de frapper aux portes de notre
société. Nous avions, certes, repris quelques bonnes idées, importées d’ailleurs, et qui paraissaient bien
fonctionner, là où elles avaient été mises en place, intégralement. Ainsi, comme aux États-Unis, nous
avions cru de bon ton d’introduire un roulement du tiers du Sénat, élu tous les deux ans pour un mandat
de 6 ans, afin d’assurer un renouvellement progressif de cette classe politique, sans tenir compte des
coûts financiers de telles élections en cascade, ni de la logistique administrative électorale y associée.
De même, comme en France, nous avons cru possible et opportun d’envisager la possibilité d’une
cohabitation éventuellement antagonique, au sommet de l’État, entre un Président, privé d’une majorité
législative, contraint de confier la conduite des affaires du pays à un Premier Ministre, choisi par
l’opposition parlementaire, sans mettre en place tous les garde-fous et le mode d’opérationnalisation de
ce couple contre-intuitif. C’est le risque que l’on court, à vouloir mimer les autres, jusqu’à se revêtir de
leurs attributs constitutionnels qui deviennent, sur nous, comme des accoutrements de mauvais aloi, car
totalement inadaptés à l’étape de notre évolution politique et sociale, à notre conjoncture. Ainsi, nous
avons érigé une structure démocratique chambranlante, sans en étayer les assises institutionnelles. Nous
avons multiplié les partis politiques jusqu’à saturation des machines électorales, sans tenir compte de la
complexité induite par cette prolifération de partis, au moment des élections. Et quels partis politiques!
Il y en a pour tous les goûts, avec des dénominations des plus invraisemblables, un peu à l’image de
leur réflexion politique.
Tout le charivari politique et social auquel nous assistons aujourd’hui tient à une plus qu’une
perception d’imperfection de la Constitution de 1987, et à la volonté de la changer pour la mettre au
goût de ces forces qui veulent y parvenir à tout prix, paraît-il, sans diagnostiquer proprement les
problèmes qui y résident pour mieux éviter de les répéter. Nous recommençons le même processus,
avec les mêmes approches : l’imposition d’un point de vue plus ou moins sectaire, plus ou moins
réaliste, sans écouter les autres qui s’y opposent, sans respecter le mode établi pour inscrire des
changements plus ou moins acceptables à la majorité, sinon à l’ensemble de la société. Et l’on
s’étonnera après, que ces changements constitutionnels ne résistent pas à l’épreuve du temps. Ces
imperfections de l’actuelle Constitution, en dehors des aménagements inadéquats et des distributions de

pouvoirs inadaptées à nos us intrinsèques et sociétaux, ces imperfections, dis-je, relèvent largement des
retards délibérés et entretenus par le marronnage systématique de notre élite politique. 36 ans après son
adoption, des pans entiers des mécanismes et des institutions qui y étaient prévus et qui devaient faire
fonctionner adéquatement l’appareillage constitutionnel, ne sont pas encore mis en place. 36 ans après
l’adoption de la Constitution de 1987, le Conseil Électoral Permanent n’est toujours pas mis en place.
Depuis lors, nous voguons d’un Conseil Électoral Provisoire à un autre, et toutes les instances
subordonnées ou adjacentes, devant permettre la tenue régulière, et sans retard, des élections à tous les
postes électifs du pays, sont en permanent renouvellement, et souvent dans une improvisation totale. Le
Conseil Constitutionnel, tel que prévu à la Charte fondamentale, n’a jamais vu le jour. Et la Haute Cour
de Justice ne peut être convoquée sans l’existence du Parlement et d’un Président de la Cour de
Cassation. Bref, on s’est arrangé pour que les instances régulatrices du système et garantes du bon
fonctionnement de l’appareillage constitutionnel n’existent pas ou ne puissent pas opérer normalement.
Dans ces circonstances, comment incriminer un document dont les organes ont été sciemment et
délibérément sabotés par celles et ceux qui doivent veiller précisément à leur mise en application et à
leur bon fonctionnement ?
Le comble dans tout cela, c’est que certains de nos experts en Constitution se prêtent indûment
et inconsidérément à ce jeu cruel qui nous condamne à ce perpétuel recommencement. Comment
comprendre qu’un expert en constitution nous incite à une certaine «improvisation» pour engager une
modification aussi fondamentale, quand il est de notoriété publique que cette démarche est strictement
encadrée par des dispositions clairement stipulées dans les articles 282 à 284 de la Constitution de 1987
amendée ? La violation de ces prescriptions, dès le départ, est un vice qui condamne toute la démarche
qui en résultera. Celle-ci pourrait être annulée à son tour. Une autre cohorte d’opposants, à cette
constitution fondamentalement illégale, viendra ensuite l’attaquer, dans quelques années, et ainsi de
suite, comme nous l’avons déjà fait dans le passé en 1932, en 1935, en 1946, en 1950, en 1957, en
1964, en 1971, en 1983 sous le prétexte d’amendements qui n’ont rien réglé sur le long terme, sur le
structurel, pour un meilleur aménagement de l’édifice politique et social du pays.
Nous tournons en rond, comme une sarabande de poules sans tête, reconstituant le même
édifice, avec les mêmes biais, avec, pour nous conduire, les mêmes genres d’experts, incapables de se
projeter sur le long terme, sur l’avenir, au bénéfice de la stabilité sociale, seule garante incontournable
de la paix politique, de la sécurité sociale et du développement économique du pays. Il en a été ainsi
depuis assez longtemps. Aujourd’hui encore, le pays s’en va à vau-l’eau, et ses filles et ses fils en sont
les premiers fossoyeurs, à l’œuvre, à chaque fois, sous la dictée des autres.
Pierre-Michel Augustin
Le 23 janvier 2023

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