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«Pour que cessent les blasphèmes et les sacrilèges»

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Ce fut un dimanche, le 1er janvier 1804, que les Pères de la nation proclamèrent l’indépendance de ce nouveau pays. À la suite de la victoire décisive remportée le 18 novembre 1803, à la Bataille de Vertières, menée si héroïquement par nos premiers Grenadiers, couvrant ainsi de gloire à tout jamais notre histoire si singulière de peuple, les héros de cette épopée à nulle autre pareille, prirent le temps de se concerter pour proclamer officiellement l’indépendance d’Haïti, à la face du monde, le 1er janvier 1804. Les plumes maudites et racistes ont qualifié nos héros de tous les noms, certains plus morbides que d’autres: de va-nu-pieds, de ramassis d’esclaves, de sauvages, oubliant que même l’animal traqué, peut sortir ses griffes. Ainsi, par cet acte si transcendantal de légitime défense, la colonie départementale de Saint-Domingue, cette vache laitière pour les grandes puissances européennes de l’époque, à tour de rôle, parmi lesquelles: l’Espagne, l’Angleterre et la France, est partie en «granmoun» pour s’ériger en État libre et indépendant, au terme d’une longue guerre de libération à laquelle certains historiens accoleront l’étiquette de sanglante et de meurtrière, pour n’avoir pas subi dans leur chair et au tréfonds de leur âme, les horreurs et les atrocités de l’esclavage. Ainsi, par les prouesses les plus spectaculaires que l’histoire universelle de l’humanité n’ait jamais connues, ni avant ni après, l’ancienne colonie française était devenue le premier État noir des Temps modernes et le deuxième État indépendant des Amériques (après les États-Unis, notre très aimable frère ennemi).

Au fait, le 1er janvier 1804 n’est que la résultante de quatre siècles d’exploitation à outrance et outrageuse, de racisme et d’oppression. Sous les coups de canons et de baïonnettes des Esclaves révoltés, capitulèrent, le 18 novembre 1803, les vestiges d’une armée française, mise en déroute par les tout premiers défenseurs de droits humains. Libre d’exploitation, de ségrégation et d’imposition, la partie ouest de l’île reconquiert alors son nom originel, à savoir Ayiti, en hommage aux premiers habitants de l’île, exterminés de sang-froid par les colons.

On aura beau entendre parler, scander, mugir et brandir, çà et là, la notion de révolution, comme par exemple la révolution française, la révolution américaine et la révolution bolchévique et j’en passe, cependant, la révolution «ayitienne» demeure la seule vraie révolution de toute l’histoire de l’humanité, avec pour revendication: la dignité et l’émancipation humaines. À côté des révolutions industrielles et, aujourd’hui, de celle des technologies de l’information et de la communication, la révolution «ayitienne» est la seule à procéder à un changement de paradigmes de l’ordre mondial jusqu’alors établi, à la facture très lourde et très forte. Par voie de conséquence, Ayiti est «le pays le plus africain» de l’Amérique et le symbole de la résistance du «Noir» contre le système esclavagiste, pour paraphraser un extrait de l’article «Haïti (Ayiti) est notre sœur, la première nation africaine du monde,» paru dans le blog de Renaud Ossavi, Mondo, dans la rubrique Mots et Murmures, le 26 février 2015, où l’auteur, sans langue de bois, fait un plaidoyer pour l’authenticité du rôle déterminant qu’a joué «Ayiti» dans la configuration du monde, tel que connu aujourd’hui.

Ainsi, malgré le travail de mémoire que nous ne nous donnons pas la peine de faire auprès des générations montantes et futures, – puisqu’il n’y a pas de génération spontanée – notre histoire a atteint les rives lointaines d’autres continents. Nos silences historiques nous ont basculés de plein fouet dans les précipices de l’amnésie collective. Mais tout est pour un temps. N’oublions jamais nos origines. Ni non plus notre histoire si glorieuse et remplie de gestes que seuls des «surhumains», pour emprunter ce concept très fréquent dans les écrits de Friedrich Wilhelm Nietzsche, peuvent accomplir. De grâce, faisons trêves de sacrilège de notre si sacrée et glorieuse histoire. Et surtout, ne l’oublions jamais, «Ayiti» est le premier pays au monde, issu d’une révolte d’esclaves, le premier à combattre, avec ferveur, le racisme, le premier à freiner l’exploitation de l’homme par l’homme. Et aussi le seul territoire francophone, indépendant des Caraïbes.

Comme j’aime à le dire: il n’y a pas de génération spontanée. C’est un processus qui nous a menés là où nous sommes, aujourd’hui. Ainsi donc, il revient à un autre processus d’en renverser le cours. Pour ce faire, il nous faut la résurgence d’une génération d’hommes et de femmes «ayitiennes», conscientes de la gravité de la crise de l’heure, animées de l’esprit de bienveillance et de bonne volonté, dotées du don de sacrifice inconditionnel de soi, en vue du salut de cette terre de liberté par excellence.

Tout comme le sang de Toussaint Louverture crie justice, celui de Dessalines se consterne sous le poids de la trahison de ses pairs. De même, Henri Christophe demeure à tout jamais, parmi les dirigeants «ayitiens», celui qui fut le plus grand constructeur, à côté de l’œuvre sublime de construction de la patrie commune.

Je ne saurais conclure cette page spéciale de réflexion consacrée à l’indépendance «ayitienne», sans rendre un hommage méritoire au célèbre écrivain uruguayen, Edouard Galeano, amant impénitent de la Révolution ayitienne et je cite: «Il faut le répéter jusqu’à ce que les sourds l’attendent: Ayiti est le pays fondateur de l’indépendance de l’Amérique et le premier au monde qui a banni l’esclavage. Il mérite bien plus que la notoriété due aux disgrâces.»

En effet, la Révolution «ayitienne» ne s’est point circonscrite à nos cieux, elle s’est étendue bien au-delà de nos frontières, à travers des aides militaires et d’idées révolutionnaires de nos généraux, concédées à Miranda, Simon Bolivar, Jose Marti, au niveau de l’Amérique centrale et du sud, pour ainsi initier le panaméricanisme. À l’échelle globale, d’autres cas de coopération, avec d’autres peuples du monde en quête d’émancipation, sont aussi d’inspiration «ayitienne». En un mot, le 1er janvier, jour de la célébration de l’indépendance ayitienne, devrait être baptisée Journée internationale de la libération des peuples et des droits humains. Il nous revient donc à nous autres, «Ayitiens», de prouver, au monde entier, combien nous sommes encore dignes d’une telle prouesse.

 

01/01/2020

Jean Camille Etienne

(Kmi-Lingus)

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