HomePerspective & PolitiqueIl n’y a pas de parade efficace contre le sabotage organisé et...

Il n’y a pas de parade efficace contre le sabotage organisé et systématique d’une Constitution

Published on

Archives

Bientôt, avec les chaleurs estivales, bien après que la purge exercée par le mouvement Bwa Kale se sera
estompée, souhaitons-le, nous reprendrons nos sempiternelles discussions circulaires sur la Constitution.
Espérons qu’entre temps nous aurons atténué, sinon réglé, l’épineux problème d’insécurité, par nos
propres moyens. Nous recommencerons alors nos âpres coups de gueule contre cette Charte si mal-aimée,
si dénigrée, depuis même son adoption. Pour autant que je vous propose cette réflexion sur ce document,
je n’en suis pas un expert, juste un citoyen, un esprit libre qui essaie de comprendre ce qu’on lui reproche
à ce point pour vouloir la jeter aux poubelles et en rédiger une autre, toute nouvelle, qui pourrait avoir le
même sort, à échéance.
La Constitution de 1987 a été adoptée après une période de gestation d’environ un an, après la
chute de la dictature des Duvalier, le 7 février 1986. C’était alors une étape rendue nécessaire par la
volonté de changer radicalement de régime politique. Le pays voulait rompre avec une dictature à vie et à
transmission du pouvoir par succession héréditaire. Il voulait désormais s’orienter vers un régime
politique dit démocratique, avec une pluralité de partis politiques compétitionnant, sans entrave et à
chance égale, devant un électorat libre de choisir, à sa guise, celles et ceux à qui il confiera le destin du
pays. En retour, celles et ceux sur lesquels il aura jeté son dévolu, devront se conformer à la lettre et à
l’esprit de la Constitution qu’ils ou elles ont juré de respecter, tout au long du mandat qui leur est accordé.
Il n’était donc pas question, à cette époque, compte tenu des circonstances, d’apporter un amendement à
un document qui, fondamentalement, ne s’appliquait plus aux réalités politiques ni aux desiderata de la
population. Il fallait, en conséquence, une nouvelle Charte, d’où l’avènement de la Constitution de 1987.
D’emblée, je dois confesser que ce document mériterait un peu d’amour, d’être un peu plus
soigné, dans sa facture générale. Quelques relectures, strictement de correction, ne lui auraient pas fait
beaucoup de tort. Au contraire. Pour la plupart, il est vrai, ce ne sont que des coquilles qui n’affectent pas
la bonne compréhension du texte ni ne voilent les intentions explicites ou implicites des
constitutionnalistes qui l’ont rédigé. Néanmoins, dans un document aussi important, aucune anomalie de
cette sorte ne devait être acceptable, pas même une vétille, d’autant plus que les ressources en la matière
étaient alors disponibles sur place. De même, il eut été bien avisé de valider, au préalable, la faisabilité de
certaines de ses dispositions dont l’opérationnalisation paraît effectivement assez difficile, voire contre-
intuitive, particulièrement pour une société en transfert de régime politique, ne disposant pas de beaucoup
de ressources, passant d’un régime dictatorial à un régime présidentiel, couplé d’une atténuation
ministérielle. La barre était haute et le passage était d’autant plus difficile à réaliser sans encombre,
qu’une partie significative de l’élite politique, toute tendance confondue, restait encore accrochée aux
vieux réflexes des gouvernements autocratiques. L’avantage que confère le nouveau système adopté, c’est
que n’importe qui ou presque peut devenir président. Il lui suffira d’être bien entouré de bons techniciens
et d’avoir une orientation politique claire, des choix précis, librement acceptés par la population dans sa
majorité absolue. Car, dans les faits, ce n’est pas lui, qui fera la gestion du pouvoir mais il ou elle veillera
à ce que des administrateurs, des ministres livrent la marchandise convenablement. Le ou la titulaire de la
Primature aura donc un rôle important à jouer et aura intérêt à bien savoir ce qu’il ou elle fait, sans quoi,
c’est la galère assurée pour le pays, et il ou elle sera le prochain fusible à griller, si rien «n’atterrit»
comme prévu.
J’ai relu la Constitution de 1987, incluant le Préambule, les amendements, les dispositions
transitoires et les dispositions finales et il me semble qu’il y a à peine 5 ou 6 articles de l’actuelle
Constitution qui font encore débat dans la société, à savoir: les articles 13 et 15 du Titre II, traitant de la
nationalité, tout particulièrement de la naturalisation, des conditionnalités et des restrictions y attachées;
l’article 36.6, de la Section H, traitant de la propriété, tout particulièrement de la prospection et de
l’exploitation minière; les articles 137 et 137.1 de la Section B, traitant des attributions du Président de la
République, en relation avec la nomination et à la démission du Premier Ministre. Évidemment, toutes
éventuelles modifications significatives de la Constitution, en lien avec les articles traitant de la

nationalité, impacteront en cascade d’autres articles de l’actuelle Constitution qui s’y étaient conformés
en en tenant compte. Par exemple, la participation effective de la diaspora à d’éventuelles élections ne
pourra pas se faire sans éliminer, d’emblée, l’obligation de résidence au pays. Mieux encore, pour élire un
quota de membres de la diaspora siégeant dans les instances électives, comme on en discute actuellement,
cela nécessitera un amendement de la Constitution aux articles correspondants à ces critères limitant la
participation aux seuls Haïtiennes et Haïtiens d’origine, résidant au pays et n’ayant jamais adopté par voie
de naturalisation, une nationalité autre. Mais, tout cela, à mon point de vue, ne nécessite pas l’adoption
d’une autre Constitution. Un amendement, certes, mais aussi des ajouts et des correctifs pourraient suffire
amplement, pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un changement de régime politique pour en adopter un
autre, de type présidentiel, à l’américaine, élaguant au passage le poste de Premier Ministre qui semble
faire problème à une cohorte importante de notre élite politique encore attachée à des prérogatives
présidentielles aujourd’hui révolues.
Ce poste de Premier Ministre paraît définitivement être un «alien» dans le paysage sociopolitique
haïtien. Cet animal est carrément un intrus suspect, récemment introduit dans notre faune politique, et il
n’y a pas encore trouvé une niche opportune et confortable. Plusieurs voudraient l’en éconduire. Tous les
présidents haïtiens, qui ont accédé au pouvoir sous l’égide de cette Constitution, ont connu des difficultés
de cohabitation ou de fonctionnement avec les titulaires de ce poste, à part le Président provisoire, le
Magistrat, Boniface Alexandre. Tous, indistinctement, du Président Jean-Bertrand Aristide jusqu’au
Président Jovenel Moïse, en passant par les Présidents René Préval, premier et deuxième mandats, Joseph
Martelly, Jocelerme Privert, tous ont connu leur part de difficulté avec des titulaires de ce poste. Parfois,
la difficulté provenait du Parlement qui faisait sa propre lecture des prérogatives que lui accordait la
Constitution, en relation avec la nomination du titulaire, et des attentes anormales auxquelles cette
institution pensait avoir droit, en retour de son choix. D’autre fois, c’est le Président lui-même qui prenait
ombrage du pouvoir et des latitudes que s’octroyait le personnage. Et, pour être tout à fait juste, il faut
dire que certains d’entre ces premiers ministres se prêtaient à ce jeu et se servaient de ce nouveau poste
comme d’une rampe de lancement pour mettre en orbite, leur propre candidature à la Première
Magistrature, aux prochaines élections. Toutefois, du moins, à mon point de vue, le problème n’aura
jamais été directement lié au poste lui-même, tel que conçu par la Constitution de 1987, mais surtout à la
manière dont ses différents titulaires étaient généralement perçus, à tort ou à raison, tant par le Président,
que par le Parlement et, des fois, même par certains d’entre ces personnages. Pour arbitrer ce genre de
différend, l’amendement apporté à la Constitution en 2010 avait introduit un Conseil constitutionnel de 9
membres qui n’a jamais été mis sur pied effectivement. Certains jugeaient plus commode de continuer
ainsi, avec le flou de l’improvisation politique, même au niveau fondamental de la Constitution, avec tous
les risques de paralysie politique que cela comporte.
En ce qui concerne la reconnaissance et l’intégration effective de la diaspora aux affaires du pays,
un amendement sectoriel de la Constitution actuelle et/ou des dispositions légales ajustées à cette
reconnaissance et non nécessairement constitutionnelles, applicables aux dispositions précises que l’on
souhaite modifier, devraient permettre de régler le problème. Une fois l’acceptation ou le principe
fondamental de la multinationalité et de la participation effective des ressortissants haïtiens à l’étranger,
enchâssé dans la Constitution par voie d’amendement, si nécessaire, il importera de faire adopter des lois
d’application de ce principe et d’établir la logistique administrative permettant à ces derniers d’exercer
effectivement ce nouveau droit qui leur est reconnu. Je sais que c’est plus facile à dire ainsi que de
réaliser ce chantier. Mais tout réside dans la volonté réelle d’y souscrire. Toutefois, compte tenu du poids
de la diaspora dans l’économie locale, nos décideurs auraient plus qu’intérêt à le faire aboutir
effectivement, au lieu d’entreprendre un pèlerinage politique de grande envergure (nouvelle constitution)
qui pourrait bien se terminer en queue de poisson et indisposer nos compatriotes vivant à l’étranger.
En ce qui concerne les dispositions constitutionnelles relatives à la prospection et au
développement des mines et des ressources souterraines, la Constitution de 1987 en a déjà disposé et
confie au Parlement, le soin de légiférer adéquatement en la matière. Donc, il n’y a nul besoin de forcer

une porte déverrouillée, sinon déjà ouverte sur la question. Néanmoins, c’est un sujet qui revient
constamment sur le tapis, toutes les fois qu’on entend parler d’un amendement ou d’un changement de
Constitution. La raison en est fort simple. Un individu, installé à la tête du pays préalablement doté d’une
constitution qui lui confierait tous les pouvoirs, pourrait plus facilement brader les ressources minières du
pays, si tant est qu’il en soit encore suffisamment pourvu. Il pourrait faire voter des lois iniques qui lui
permettraient de signer des contrats de type léonin qui lieraient le pays pour des temps indéfinis et dont
on pourrait difficilement s’en extirper, si jamais on décidait de le faire après coup, nous rendant compte
de ce piège. Alors, des camps se forment pour ou contre cette éventualité et s’arcboutent sur leurs
positions, sans possibilité de médiation entre eux.
Les détracteurs de la Constitution de 1987 prétextent généralement les difficultés d’application
des dispositions qui y sont prévues. Par exemple, la difficulté de concordance du temps électoral avec le
temps constitutionnel, pour ne citer que ce problème. Il est encore difficile de trancher les différends
politiques qui surgissent à toutes les élections, inévitablement, et pour cause, car les instances d’arbitrage
et de réalisation des scrutins sont pour la plupart inopérantes ou inexistantes. Ces difficultés existent
effectivement. Mais elles le sont à cause du marronnage politique des détenteurs du pouvoir qui
entreprennent, contre la Constitution, un travail de sape continuellement, dans l’idée de forcer la société à
convenir de la réécrire, avec l’espoir d’y inscrire des pouvoirs plus généreux qui confirmeront, sans
ambages, la préséance absolue et sans aucun contrepouvoir effectif, de la Présidence, donc de l’Exécutif,
par rapport aux deux autres piliers prévus dans notre architecture constitutionnelle: le Législatif et le
Judiciaire. À trois reprises, trois présidents différents ont déclaré la caducité du Parlement: René Préval
en janvier 1999, Michel Martelly en janvier 2015 et Jovenel Moïse en janvier 2020. Dans les trois cas, le
Président en poste avait préféré utiliser ce stratagème, plutôt que de composer avec ses adversaires
politiques au Parlement. Ils ont pu ensuite gouverner plus ou moins à leur guise, sans trop s’embarrasser
surtout du contrepouvoir législatif. Jovenel Moïse est allé encore plus loin. Il s’était arrangé pour se
défaire à la fois de pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire, en les rendant tous les deux inopérants, par
manque du quorum nécessaire pour siéger et statuer dans les domaines sous leur juridiction. Et, depuis le
7 juillet 2021, nous sommes techniquement revenus à un système présidentiel, officieusement. Le Premier
Ministre de facto, Ariel Henry, détient tous les pouvoirs et est devenu de facto un dictateur. Il prend tous
les décrets qu’il veut, sans les soumettre à aucune autre instance de contrôle. Et lorsque la population lui
résiste, il prend tous les moyens pour les lui imposer. Il nomme et révoque les fonctionnaires de l’État, à
sa guise. Il reçoit les lettres de créance des ambassadeurs et dicte la politique internationale du pays. Tout
cela relève des prérogatives du Président, pas du Premier Ministre. Encore faut-il que les ambassadeurs
nommés par le Président soient reconnus et validés par le Parlement, selon la Constitution encore en
vigueur. Mais le Premier Ministre de facto n’en a cure.
Pour se donner bonne presse internationale, il s’attribue, sur mesure, un HCT qui n’a, dans les
faits et selon même ses documents constitutifs, aucun pouvoir de contrôle à l’égard de la Primature et du
Gouvernement, une instance-bidon qui sert de décoration à ce paysage politique, tout comme ces plantes
en plastique qui ornent certains petits bureaux de pacotille. C’est cette instance qui prendrait la charge de
réécrire une constitution sur mesure pour nous. Quel que soit le document constitutionnel qui en sortira, il
ne pourra être pleinement efficace que dans la mesure où la population y consent et accepte de s’y
conformer. Il faudra aussi que nos acteurs politiques y adhèrent totalement. La Constitution de 1987 a été
plus ou moins sabotée par la plupart sinon par tous les acteurs politiques des 26 dernières années. Aucun
n’a voulu mettre en place toutes les instances qui devaient la rendre pleinement opérationnelle. 26 ans
plus tard, nous en sommes encore à la reconstitution d’un Conseil Électoral Provisoire, et on s’apprêterait
même à contrevenir aux prescriptions précisées dans la Constitution pour la mettre sur pied. Nous
bafouons toutes les règles, tous les processus, et nous nous étonnons après qu’ils ne donnent pas de bons
résultats.
Je suis plutôt pessimiste quant à la perspective de réécriture de la Constitution du pays. Certes, il
est fort possible qu’Ariel Henry parvienne à ses fins. D’autres avant lui s’y étaient pris de la même façon

et y sont parvenus. Mais ces ouvrages n’ont pas tenu la route indéfiniment ni très longtemps d’ailleurs,
non pas parce qu’ils étaient imparfaits, car aucune constitution, même les plus durables, ne l’est. Elles
s’usent plus vite parce qu’opposées à une résistance organisée qui les saboteront de toutes parts et de
toutes les façons possibles. Et contre cela, ce n’est pas le HCT ni Ariel Henry, ni même la Communauté
Internationale qui trouvera une parade efficace.
Pierre-Michel Augustin
le 23 mai 2023

Popular articles

Instabilite

De l'instabilité sociopolitique dégradante aux ingérences des puissances impérialistes occidentales en Haïti, le peuple...

Mythe ou vérité ? Le peuple haïtien, pour son propre malheur, choisirait-il des bandits comme leaders?

 Les analystes politiques prennent le vilain plaisir de culpabiliser les victimes en guise de...

Un Conseil Présidentiel de 7 membres, à la tête du pays, est-ce pour bientôt?

C’est une démarche boiteuse au mieux, bizarre certainement, mais il fallait bien entreprendre quelque...

La CARICOM recrute 7 nouveaux acteurs haïtiens pour pour une  débauche présidentielle  inédite

Cette organisation qui n’a jamais supporté Haïti dans sa lutte contre ses ennemis internes...

Latest News

Newsreel

News coming from the nations leaders last week offered some hope that things will...

Frankétienne : Un nom qui sonne comme une insolence

Né le 12 Avril 1936 à Ravine Sèche dans le département de l’Artibonite, Jean-Pierre...

La reddition de compte, ultimement, est personnelle : avis en est donné aux concernés

Je sais que la politique est une lutte idéologique qui s’exprime de toute sorte...