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Déclin du civisme en Haïti

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Depuis plusieurs décennies, les citoyens et les acteurs sociaux politiques mènent un combat
difficile mais, toujours pas sur ce qui est essentiel. Ils empruntent un chemin qui conduit dans
la défaite totale des générations. En tentant de définir toutes bévues de la société sur le thème
de la démocratie, des valeurs, il en résulte que le sens du civisme tombe en déclin. Les
dirigeants deviennent de plus en plus insouciants; les lois sont réduites à de simples écritures
sur du papier. Les crimes restent impunis; l’interdit est devenu la norme; le citoyen se perd
dans une bataille d’autodestruction, et la vie en commun perd son vrai sens.
Les attitudes et les comportements changent avec les générations, le territoire
également. Or, tout devrait-être inséré dans le respect de la Constitution, dans le respect des
valeurs, sinon on met la loi de côté. D’ailleurs, une constitution, quant à elle a consacré les
vérités générales du droit naturel, qui appartiennent à toutes les sociétés sans exception, doit
s’attacher à instituer l’administration de la chose publique, d’une façon qui répond, autant que
possible, au caractère particulier, aux idées, aux habitudes, aux besoins moraux du peuple
pour lequel on la fait (1)
La Constitution haïtienne de 1987, amendée le 9 mai 2011, dans son l’article 16,
propose la définition suivante: «le citoyen est celui qui atteint l’âge de dix-huit ans, jouit et
exerce les droits civils et politiques» (2). L’article 52.1 parle des responsabilités du citoyen.
D’un côté, le citoyen a un ensemble de droits. On peut citer par exemple le droit à la vie et à
la santé, le droit à la liberté individuelle, le droit à la liberté d’expression, le droit à la liberté
de conscience, le droit à la liberté de réunion et d’association, le droit à l’éducation et à
l’enseignement, etc. Il a, de l’autre côté, tout un ensemble de devoirs civiques. En effet, ces
derniers sont prescrits dans les thèmes suivants: «Respecter la Constitution et l’emblème
national, respecter les lois, voter aux élections sans contraintes, payer ses taxes, servir de juré,
défendre le pays en cas de guerre, s’instruire et se perfectionner, respecter et protéger
l’environnement, respecter scrupuleusement les deniers et biens de l’État, respecter les biens
d’autrui, œuvrer pour le maintien de la paix, fournir assistance aux personnes en danger et
respecter les droits et la liberté d’autrui» (3).
Donc, est citoyen celui ou celle ayant l’âge de dix-huit ans et qui s’acquitte de ses
droits et de ses devoirs. Si, pour une raison ou une autre, la personne ne jouit, n’exerce pas ces
droits civils et politiques; si elle ne remplit pas ses responsabilités, comme c’est le cas pour
Haïti, nous parlons du «déclin du sens civique». C’est un danger pour un pays qui choisit de
décliner son sens civique, car l’avenir de la nation dépend de l’engagement des citoyens.
Voilà pourquoi aujourd’hui, dans l’idée de comprendre le phénomène on est intéressé à
comprendre les facteurs qui mécanisent le déclin intergénérationnel du civisme en Haïti. Ce
n’est pas un exercice trop facile parce que le déclin intergénérationnel du civisme peut avoir
plusieurs facteurs qui l’expliquent. Nous allons considérer certains écrits et quelques constats,
tout en allumant notre projecteur sur certaines institutions comme la famille, l’église, l’école,
l’État, afin de mieux cerner la problématique.
D’entrée de jeux, nous supposons que la faiblesse de nos institutions (et/ou) des
traditions, lesquelles devraient transmettre les valeurs, crée dans la société le déclin du
civisme. À mesure que la société continue à multiplier ces nombreux actes de négligence de
ses responsabilités, les citoyens continuent à banaliser le civisme. Nous avons présentement
un déficit de moralité en Haïti; personne n’écoute personne. Les jeunes sont devenus, pour la
grande majorité, insouciant et irrespectueux. Si la jeunesse c’est l’avenir, ce relâchement
moral, depuis quelque temps, tue le devenir du pays. Dans ce même ordre d’idées, des
pratiques, en termes de devoir du citoyen, qui étaient mises en valeur, par exemple le culte du
drapeau, a commencé à perdre du terrain, à partir des années 90 (4).

Il n’y a pas que cela, car ce sont toutes les valeurs nationales qui s’effritent, selon les
constats. Donc, un ensemble de pareils problèmes visibles, comme la gestion négligée des
ordures, la pose de graffitis partout et ailleurs, l’entraide disparue, etc. traduisent un certain
déclin du sens civique. Et, lorsqu’on fait appel au moins à ces trois valeurs, traditionnellement
attachées à la citoyenneté: Civilité – Civisme – Solidarité, nous voyons, qu’en Haïti, elles sont
en déclin. Or, ce sont de telles valeurs qui donnent à la citoyenneté tout son sens réel.
Elles sont atteintes par la crise qui égare actuellement la société haïtienne. Pour le
professeur Lesly Manigat, «C’est comme si les principes avaient cessé d’exister. La dignité
personnelle, l’honneur du nom, l’intégrité, le patriotisme, le dévouement du bien commun,
l’obligation de travailler pour acquérir des biens, le respect d’autrui, la solidarité affectueuse
de l’unité familiale, la légitimité du mérite, la parole donnée, la recherche prioritaire du beau,
du vrai et du bien, la coopération dans le malheur, le prix du secret, etc. Ce sont des valeurs
démonétisées. En réalité, les valeurs de l’ancienne société ont été retirées pratiquement de la
circulation, alors que les valeurs de substitutions n’ont pas encore cours. Ce vide permet à
n’importe qui de faire n’importe quoi, impunément ou presque» (5).
Par conséquent, la société est censée sur une pente qui affecte toutes ces structures, en
particulier, le sens du civisme qui tombe en déclin dans toute son intégralité. Pourtant, il y a
des valeurs haïtiennes qui ont marqué l’histoire; celles que l’on trouve depuis avant
l’indépendance où régnaient le courage et la détermination, dans un esprit d’engagement pour
l’unité qui allait conduire à l’indépendance. Effectivement, l’illustre exemple n’est-il pas la
cérémonie du Bois-Caïman? Et même de l’indépendance se dégageaient encore le patriotisme,
le nationalisme, la fierté, l’esprit d’appartenance dont l’exemple des mesures prises par
Dessalines pour consolider l’indépendance (6).
Toutefois, nous devons noter que le non-enseignement des cours de civisme dans nos
écoles, de l’éducation à la citoyenneté ne sont pas les vraies causes du déclin. Les contextes
socio-historiques actuels constituent le premier plan du problème. Walky Louis tente de
proposer une réponse en déclarant que: «la crise haïtienne est non seulement une crise sociale
et sociétale, mais aussi une crise économique et politique» (7). Le premier cas surtout
concerne notre recherche. Selon lui: «l’ensemble des appartenances, des affiliations, des
relations qui unissent les gens ou les groupes sociaux entre eux sont presque inexistantes. Le
lien social pouvant permettre de cimenter la force de la société haïtienne, de lier par exemple
les membres de différents groupes sociaux entre eux, ou les membres d’une communauté,
cette force, dans le temps et dans l’espace, est difficile à retrouver. Lorsque le lien social
devient de faible intensité ou de piètre qualité, c’est ce qu’on appelle la problématique sous
l’angle de la «crise» du lien social, puisque la qualité et l’intensité du lien social agissent
comme des déterminants de la qualité et de l’intensité de nos rapports sociaux»
Cette crise sociétale est traduite par une crise d’ambivalence, un problème de
confiance, de peur de l’autre. C’est une crise du «vivre ensemble». C’est une question qui n’est
pas sans intérêt, à l’heure actuelle où le multiculturalisme et les échanges entre les groupes ou
catégories sociales sembleraient nécessaires.
S’il est vrai qu’une chose importante, comme le vivre ensemble, n’arrive pas à trouver
sa place dans la société haïtienne, on devrait parler plutôt de l’exclusion qui émerge dans la
structure même de la société. Le texte «Le pays en dehors» (8), de Gérard Barthelemy, est la
preuve tangible que c’est la marginalisation ou encore l’exclusion qui fait la loi dans la
structuration des rapports sociaux en Haïti. Sur ce, si la société est malade, les institutions
dites de contrôle devraient en prendre charge, à savoir: solutionner le déclin du sens civique
dans la communauté de par leurs rôles.
Parmi les institutions, M. WoolKens Honoré nous donne un aperçu sur le fait que le
père et la mère, étant l’épine dorsale de l’institution familiale, ont à 80% démissionné;
certaines Églises s’occupent de l’argent ; l’École est une question de quantité. Selon

l’annuaire statistique de 2005, dans les écoles fondamentales (1 er et 2 e cycles), le taux de
normaliens est seulement de 13,64%, avec 4,84% d’universitaires; il semblerait que 85% des
professeurs haïtiens diplômés, bénéficiaires des bourses d’études étrangères, ne retournent pas
en Haïti (9). Michel Soukar (10) nous dit que «les crises sociales, politiques et économiques,
qui sévissent dans le pays depuis 1986, ne sont que la manifestation d’une crise profonde:
celle des valeurs civiques, morales et religieuses. Toutes les institutions de contrôle social ont
failli. La famille est disloquée; l’école, désarticulée, et l’Eglise, discréditée». Il poursuit en
disant qu’«aujourd’hui, nous perdons même le sens de la communauté» (11). Mises à part les
institutions, on parle de faillite des élites intellectuelles, politiques, économiques.
Toutefois, le civisme, en tant que valeur, devrait être l’apanage de chaque citoyen,
puisque ce sens, qui «caractérise un bon citoyen, est la vertu civique avec laquelle les grands
hommes des anciens jours rendaient service à la patrie» (12). Cependant, du fait qu’il soit
acquis, selon l’UNESCO (13), des facteurs sociaux en résultent à des degrés; lorsqu’on se
réfère aux générations qui ont de fort civisme et à d’autres qui sont en crises. Aujourd’hui, on
parle de l’incivisme. Pourtant le développement de la communauté ne peut être importé, il se
crée avec les citoyens, y compris leur sens civique pour les citoyens. Sinon il n’y en aura pas.
C’est l’une des raisons pour lesquelles on entend parler toujours des pays sous-
développés, des bidonvilles, des quartiers et communes défavorisés. Considérant le Sénégal,
son manque de civisme était tellement visible autant que sa pauvreté, qu’il a fallu deux ans à
un président au pouvoir, en l’occurrence Macky Sall, de réitérer à l’esprit de ses compatriotes,
de rompre surtout avec la pratique de l’indiscipline pour embrasser la vertu, la discipline et le
civisme, car c’est une des causes de leur sous-développement. Selon lui, la Chine aujourd’hui,
une puissance économique mondiale, est un modèle à suivre. Pour ainsi dire, le
développement attendu est fils du civisme, à travers la «discipline individuelle et collective de
tous les citoyens» (14).
Il nous importe de voir la situation d’Haïti qui est caractérisée actuellement par
l’insalubrité, la déforestation, la violation des droits de propriété, etc.; par les dérives fiscales,
à savoir: la fraude fiscale, l’évasion fiscale; par les dérives constitutionnelles, à savoir:
l’irrespect de la loi ; par les dérives éducatives, à savoir: les inégalités de chance scolaire, le
programme inadapté… Il est temps de faire naître le sens du civisme ou, au moins, de
fabriquer des hommes et des femmes consciencieux, capables de questionner le système
socio-économique et politique actuel, afin de prendre en main et à cœur l’avenir d’Haïti.
Engagez-vous chers citoyens!
Garenert Joseph et Rachel Déborah Nosier
Cité par D. DELORME in réflexions diverses sur Haïti, page 15 et 16, VINCENT Sténio, « En posant les jalons
… », tome premier, introduction, imprimerie de l’Etat, Port-au-Prince, 1939, P122
2 « Constitution de la république d’Haïti de 1987 amendée le 9 mai 2011 », les éditions Fardin, août 2012, p13
3 Ibid., p28
4 ROCHEFORT Joubert, « Le drapeau haïtien de moins en moins respecté par les haïtiens /118219/ », publié le
25 juin 2013/ http://Le nouvelliste.com/ Mise en ligne le 19 mai 2017.
5 MANIGAT Leslie François, « Crise haïtienne contemporaine », Collection CHUDAC, Imprimerie media texte
Port-au-Prince, 2009, P264
6 MAXIMÉ Jean Miguelite, « Les valeurs dans la société haïtienne : Entre crise et inexistence », imprimerie
Henri Deschamps, Port-au Prince, Haïti, Juin 2011, P23-32.
7 Cité par Louis Walky in « La société haïtienne est- elle la crise en elle-
même » www.touthaiti.com/index.php.1870 publié le 1 février 2013/ Mise en ligne le 19 mai 2017.

8 BARTHELEMY Gérard, « le pays en dehors. Essai sur l’univers rural haïtien », Port-au Prince, édition henry
Deschamps, 1989, P 86- 89.
9 MAXIMÉ Jean Miguelite, op.cit. P 89
10 SOUKAR Michel, « Haïti : histoire, politique, société », Imprimerie Fleur yo/ Tabarre, 21 e , 2009, p211
11Loc.cit.
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