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«Ayiti, le cheminement vers un suicide collectif assisté ou un génocide camouflé?»

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En Ayiti, l’obsession du maintien du statu quo par les nantis du système d’exploitation, de déshumanisation, de zombification généralisée, ainsi que le déni systématique des revendications populaires et du droit à la dignité humaine, jouent des pieds et des mains pour perdurer impitoyablement. Le cancer dont souffre le peuple ayitien, aujourd’hui, est loin d’être issu de la dernière pandémie de COVID-19 ; c’est la résultante de plus de deux siècles de politique obscurantiste, d’exclusion, d’incompétence, d’insouciance et de corruption. Une situation qui est conditionnée par le cheminement délibéré du suicide collectif, assisté par la communauté internationale vraisemblablement, ou celui d’un génocide camouflé dont personne ne revendique la paternité.

Depuis que le monde est monde, la politique de domination a toujours été et demeurera l’apanage des mafieux, sous fond d’un jeu d’intérêts, une combinaison d’enjeux économiques et sociaux, par le biais des rivalités sans merci, de classes, entre des protagonistes sociaux et des groupes antagoniques, pour le contrôle et le monopole des richesses (ressources, biens et privilèges) des plus forts, aux dépens des plus faibles. Jamais avant, aucun peuple sur terre ne s’est laissé manipuler au point même de la menace de sa propre existence, sans aucune capacité de composition et/ou de concertation de réaction, visant à sortir des gouffres de l’effondrement. Certes, la pression des masses à travers les rues importe, plus qu’on ne se l’imagine, pour réclamer une certaine justice sociale devant conduire à la redistribution, peut-être pas aussi équitable des richesses, comme c’est l’intention dans le communisme, le socialisme, voire le capitalisme, à travers des programmes d’assistance sociale, mais capable de permettre aux populations de vaquer à leurs occupations pour satisfaire leurs besoins les plus élémentaires ou dans la poursuite du bien-être individuel et collectif.

Les derniers épisodes de revendications soldés par des scènes de violence et de pillage ne constituent que le syndrome d’une société désarticulée, s’acheminant vers son effondrement total où l’État, dépositaire de la puissance publique, garant de la vie, des biens des populations, de la sécurité du territoire, de l’ordre public, est pris en otage par un petit groupe de mafieux, pour plonger tout un peuple dans une catastrophe humaine jamais avant atteinte, le long de notre histoire. Face à l’incapacité flagrante des élites intellectuelles (politiques et économiques) de la République qui, en plus de leur refus radical et systématique de changement véritable, appelé à conduire à la bonne gouvernance, sont plus que jamais soudoyées par la communauté internationale, pour entretenir les conditions générales de l’instabilité politique, de l’extrême pauvreté, de la faillite de l’État haïtien. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le peuple ayitien semble être conduit, bien qu’inconsciemment, vers un suicide collectif assisté ou du moins constitue la cible d’un génocide camouflé, que personne bien malheureusement n’entend revendiquer. Avec ces suites interminables et répétitives de lock-down qui minent le fonctionnement normal du pays, les populations sont à bout de souffle et ne pourront pas tenir trop longtemps. Dans un avenir certain, la crise humanitaire atteindra son point culminant en Ayiti. Et le Blanc, oui le Blanc, pour la énième fois, «se verra obligé d’intervenir en libérateur et en sauveur», face aux méfaits de la misère et des violences des gangs armés, dont il s’est pourtant félicité la fédération. De quoi en être fier d’eux-mêmes ! Bien que, comme l’a si bien fait remarquer l’ancien Envoyé Spécial des États-Unis en Ayiti, Daniel Foote, «la communauté internationale n’est pas sans responsabilité dans ce qui se passe dans le pays actuellement.» Ainsi, «si l’internationale continue d’imposer Ariel Henry et son gouvernement farfelu, la situation va empirer», dixit de l’ambassadeur Foote. Si ces dernières révélations de ce haut fonctionnaire américain, par rapport à la grande hypocrisie de la communauté internationale vis-à-vis de notre pays, charrie une bonne part de vérité, même si la situation de la population va en empirant, il est certain qu’il n’y aura aucune guerre civile ni révolution en Haïti ; du moins, dans les conditions de confusion et de manipulation qui s’imposent actuellement.

L’une des conditions indispensables pour qu’il y ait émeutes ou guerre civile dans un État quelconque, c’est indubitablement la présence d’au moins deux groupes antagoniques, soit pour des raisons ethniques, religieuses, d’intérêts de classes, politiques ou économiques. Or, sommes-nous en présence en Ayiti d’une configuration aussi classique ? Il y a fort à parier qu’on ne peut que répondre par la positive à une aussi pertinente interrogation, à certains égards, dans le cas de notre pays ; cependant, nos acteurs politiques et économiques n’ont pas assez de caractère et de conviction pour en arriver là. Nous pouvons ainsi identifier de nombreuses dichotomies qui déchirent le tissu social, sans aucune velléité d’atténuation ni de rapprochement. En effet, ni l’assassinat de l’ex-président Jovenel Moïse ; ni le théâtre de violence, de viol, de kidnapping, de vandalisme, de pillage, de délinquance et de brigandage politiques et de gangstérisme d’État ; ni les fausses menaces de scission du pays ; aucune de ces situations ne constituent des indices fiables ou des signes avant-coureurs de guerre civile ou d’un début de soulèvement populaire. Cela constitue plutôt les syndromes d’un État conduit vers la faillite. Je le réitère, la vérité est qu’il n’y aura pas de guerre civile, mais plutôt un génocide planifié, aux apparences d’un suicide collectif, si rien n’est fait pour redresser la politique jusque-là appliquée par les acteurs internationaux envers Ayiti.

Détrompons-nous, comme l’a si bien fait remarquer le professeur Michel Soukar : «si le phénomène de gangstérisme qui sévit dans le pays, particulièrement dans les zones défavorisées de la capitale, relevait d’un mouvement de guérilla de gauche, où des groupes armés pro-changement prendraient d’assaut, par des actions de harcèlement, des embuscades, tant les structures policières, les organes et les fonctionnaires publiques de haut rang, que les biens des classes dominantes, il serait vite désamorcé, voire éradiqué par la communauté internationale, sous recommandation de son chef suprême, les États-Unis, de sorte qu’à l’heure actuelle on n’en entendrait plus parler. Et les chefs de gangs (BBQ, Kris la, Ti Lapli, Lamò San Jou et consorts), pions politiques de diversion au service du système insensé, corrompu et criminel, ne seraient plus que la réminiscence d’un mauvais rêve».

On tue, non pas seulement quand on ôte la vie, par des bombes nucléaires, comme ce fut le cas de Nagasaki et d’Hiroshima pour mettre fin à la 2e Guerre mondiale, ou l’extermination des juifs dans les camps de concentration par les nazis ; mais on extermine aussi quand on prive à tout un peuple de ce qu’il a de plus précieux, sa dignité, sa fierté et sa souveraineté. On extermine un peuple quand on le salit et détruit son identité et handicape son système éducatif, sa production ; quand on pille délibérément ses ressources. On tue un peuple, quand on le prive de ses facultés vitales et de la capacité de satisfaction de ses besoins les plus élémentaires. Ainsi donc, comment demander à quelqu’un, à qui l’on a coupé les pieds, de marcher ? D’étreindre, à celui que l’on a privé de ses bras ? De parler, celui à qui l’on a coupé la langue ? De voir, celui à qui l’on a bandé ou crevé les yeux ? D’écouter, celui à qui l’on a bouché les oreilles ? De respirer, celui à qui l’on a comblé les fosses nasales ? De comprendre, celui à qui l’on a privé de son cerveau ? D’aimer, celui à qui l’on a enlevé le cœur ? Tel est le drame que vit au quotidien tout un peuple, toute une nation ! Un peuple auquel on exige tout, sans rien lui avoir donné. Un peuple dont le seul péché est d’avoir osé réinventer les notions de liberté et de dignité humaine, en terrassant le triple système colonialiste, esclavagiste et raciste, base fondamentale de l’enrichissement des pays occidentaux. Un peuple qui, aujourd’hui encore, se plait à défier et à réinventer la science, l’art, la religion, la philosophie, la politique, l’économie. Un peuple qui a su réécrire, en lettres d’or, l’histoire et redéfinir les fondements mêmes de l’humanité et le nouvel ordre mondial, bien que ce soit pour son malheur. Un peuple mystérieux, un peuple authentique ; un peuple singulier, humilié, rejeté et meurtri, jusque dans son âme. Un peuple que l’on a privé de sa dignité. Un peuple auquel l’on a imposé la résignation, comme seule stratégie de survie, et la résilience, en guise d’espoir d’un lendemain meilleur. Un peuple qui, malgré ses souffrances se refuse à mourir. Un peuple qui, aujourd’hui encore, continue de braver les puissances colonialistes et impérialistes dans leur désir de domination.

«Ce chromosome, manquant, ou de plus», comme disait l’autre, qui nous empêche de nous unir pour nous construire, comme État-nation, j’en demeure convaincu que, plus que génétique, il est politique et raciste. Quelle indécence que de parler de barbaries et de vandalisme, alors qu’on fait végéter ce peuple depuis plus de deux siècles dans une situation infrahumaine, de pauvreté effroyable, de misère abjecte, de rejet total et de déshumanisation, au profit d’un petit groupe de coquins, d’inconscients et de criminels? Ils ont ainsi imposé, à toute une population, un environnement marqué, entre autres, d’extrême pauvreté et d’insécurité généralisée. De sorte que, ce à quoi l’on assiste aujourd’hui n’est que l’effet-retour de toute la répression, aussi bien politique qu’économique, de toutes les privations au bien-être et à la satisfaction des conditions minimales de vie digne d’un être humain, auxquelles tout un peuple a été contraint depuis si longtemps. Bien malheureusement, le mouvement témoigne d’un grand déficit de leadership et d’organisation pour pouvoir aboutir à un résultat pouvant bénéficier à la majorité de la population. Une réalité qui met en exergue, une nouvelle fois, les disparités entre les acteurs à l’avant-garde de ces nouvelles contestations populaires, et qui empêche d’aboutir au chambardement nécessaire pour changer le statu quo de ce système d’exploitation. Néanmoins, le maintien de ce dernier continuera à provoquer, à des périodes récurrentes, ces soulèvements, d’un peuple en situation de désespoir, en quête de miettes pour sa survie, constitueront encore et toujours l’arme la plus efficace à laquelle ils ont recours. Car, même les animaux ont le droit de vivre ou de mourir en toute dignité. Malheureusement, il semblerait qu’en Ayiti, on ait oublié le bien-fondé d’une notion aussi élémentaire d’évolution et de civilité de la race humaine.

Et ça, plus qu’une opinion ou une appréciation, c’est un constat !

Une des solutions aux problèmes de gouvernance et d’instabilité politique que traverse Ayiti, depuis l’assassinat de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, est de commencer à définir et à s’accorder sur un ensemble de critères solides qui font qu’une personne soit identifiée en tant qu’Ayitien. Attention, je ne me réfère pas aux notions de nationalité et de citoyen, mais plutôt à l’identité. C’est quoi l’identité ayitienne ? Aimez-vous véritablement et sincèrement Ayiti ? Qu’avez-vous fait pour contribuer à sortir le pays des ornières de la misère et du sous-développement où il se trouve aujourd’hui ? Qu’avez-vous fait pour participer au développement de votre pays ? Êtes-vous disposé à vous engager dans le processus de sa refondation ? Est-il important, voire urgent pour vous, le sacrifice de tous et de chaque ayitien, de se transformer en un agent de changement en profondeur du pays auquel nous aspirons tous ? Êtes-vous prêts à pardonner ? À nous réconcilier, sans impunité ? À faire appliquer la loi ? À laisser de côté vos intérêts mesquins, personnels ou de classe ? À combattre la corruption pour de bon ? À reconstruire nos institutions ? À bâtir un État de droit ? Nous aurions pu poser autant de questions liées aux véritables critères d’appartenance et d’identification d’une personne en tant qu’Ayitien, cependant nous nous en tenons à celles-là. Et la dernière à se demander est la suivante : par rapport à mon attitude vis-à-vis de tous ces paramètres évoqués, quant à la construction d’une identité ayitienne, suis-je moi-même digne de m’identifier comme Ayitien ?

Au fait, tout n’est que culture. La culture est en tout, la culture est partout, y compris au plus profond de nous. Ainsi, si le conducteur qui roule sous l’effet des averses peut se permettre de poursuivre sa route, sans perdre ses repères, malgré le mouvement et le bruit incessants de son essuie-glace, à plus forte raison on ne doit pas se laisser perturber par le vacarme de ceux qui s’efforcent à tout prix de nous empêcher d’avancer. Alors, restons concentrés et engagés dans la lutte pour le bien-être individuel et collectif. Car, malgré les circonstances et les impondérables de la vie, c’est le seul moyen de connaître le vrai prix des sacrifices menant au succès. N’oublions surtout pas que le développement global commence à partir de la perception individuelle de chacun.

Par l’éducation et la culture, nous devons créer de la valeur telle que le sentiment d’identité et d’appartenance. Si nous ne nous sentons pas identifiés à notre communauté, il n’y a aucun moyen que nous soyons librement motivés à lui redonner. Je pense vraiment que c’est là l’un des plus gros problèmes d’Ayiti. Trop de gens qui vivent dans le pays n’ont pas le sentiment de lui appartenir, au point qu’ils ne se soucient même pas de l’esprit de partage et de redonner à la communauté ce qu’ils ont reçu ou hérité. Surtout, ne l’oublions jamais, ceux-là qui jusqu’à date nous ont dirigés, ils n’ont point été des extraterrestres, mais des Ayitiens, comme nous. En les élisant, le message que nous lançons haut et fort à la société et au monde entier n’est autre que : «voici le modèle de citoyens et de citoyennes que nous produisons dans ce pays. À telle enseigne, ils sont les plus doués et les plus aptes à nous représenter.» Au cas où vous ne l’aviez pas su, prenez-en maintenant conscience, car l’heure a sonné pour que le message change. Et ce n’est ni les compétences, ni les gens, ni la nécessité qui fait défaut, mais la volonté politique.

Je conclurai sur une note positive avec ces paroles célèbres du Che : «Si vous voulez libérer une patrie, mettez dans votre main dix balles : neuf pour les traîtres de l’intérieur et une pour l’ennemi. Car sans les traîtres de l’intérieur, l’ennemi de l’extérieur n’oserait pas entrer dans votre pays.» Car, il ne peut y avoir de pardon et de réconciliation sans que les coupables ne reconnaissent et ne se repentent de tous les crimes qu’ils ont commis contre le pays et contre le peuple ayitien. Plus qu’une posture haineuse, il s’agit d’une réclamation de justice et de réparation.

Jean Camille Étienne,

Architecte. MSC. en Politique et Gestion de l’Environnement

28/09/2022

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