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Éducation: quand l’État haïtien promet trop…

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Dans le domaine de l’éducation, quand on voit les promesses de l’État, on peut aisément déclarer que nous avons «yon Leta dèyè won, k ap pete kare». Peut-être que vous pensez que je vais pointer du doigt un quelconque gouvernement, un politicien haïtien ou un dirigeant au pouvoir qui s’amuse à cracher des promesses vides au peuple? Eh bien, non! Je veux parler de notre État «papa bon cœur» qui, dans la Constitution de 1987, amendée en 2012, ne cache pas sa grande générosité, dans l’article 32.1, en déclarant que «l’éducation est une charge de l’État et des collectivités territoriales qui doivent mettre l’école gratuitement à la portée de tous, veiller au niveau de formation des enseignants des secteurs public et non public». Si la Constitution est notre seule boussole, alors comment comprendre que l’instruction publique, jusqu’à présent, soit encore un luxe en Haïti?

Selon l’avocat de carrière, Me Inseul Salomon, qui a travaillé de longues années dans les lois haïtiennes, le chapitre 32 de la Constitution de 1987, amendée en 2012, représente surtout un vœu, un idéal. Offrir l’instruction publique gratuitement est un défi même pour des pays développés et riches du monde. Pour continuer, Me Salomon doute du côté pratique des articles de ce chapitre, tenant compte des réalités haïtiennes. La véracité et la profondeur de son analyse, invitent à la réflexion. Alors, quand Haïti, le pays le plus pauvre du continent américain, se propose un tel projet, on comprend toutes les interrogations qui en découlent.

Copier-coller ?

Généralement, ce sont nos grands juristes, hommes et femmes de lois qui, en signe de reconnaissance de leurs études aux États-Unis, en France et au Canada ou par paresse intellectuelle, vont jusqu’à «copier-coller» les lois de ces pays, pour modifier nos lois sous forme d’amendements. De plus, ils rédigent aveuglément, sous les commandes guidées de nos politiciens, des décrets-lois «tèt chat». Leurs innovations dans ces lois et décrets ne seraient-elles pas aussi les sources des promesses légères de nos politiciens? Ces changeurs de lois ne se sont pas rendu compte de l’incapacité de l’État haïtien de construire assez d’écoles pour garantir l’éducation primaire, obligatoire à tous les enfants haïtiens. Cette incapacité, dans le temps, a été historiquement liée aux pénuries financières du pays. De façon surprenante et irresponsable, nos législateurs avaient monté la barre. En effet, dans les amendements de la Constitution de 1987 (version 2012), l’éducation fondamentale (jusqu’à la neuvième année) devient obligatoire.

Tout est possible

Dans les discours du politicien haïtien, tout est possible. L’exemple du programme de scolarisation de 1,5 million d’enfants, de l’ex-président Michel J. Martelly, en est une bonne illustration. L’échec retentissant de ce programme fut reconnu par l’auteur lui-même, en accusant de corruption certains directeurs d’écoles. En dépit des analyses techniques qui montraient l’impossibilité pour l’État haïtien d’exécuter avec succès un programme aussi audacieux, dans les conditions et conjonctures politiques d’Haïti, nos politiciens «têtes de bois», trop sûrs d’eux-mêmes, foncent. On compte près de 2,6 millions d’élèves enregistrés au MENFP, donc même avec un budget au minimum de 100 dollars américains par élève, pour couvrir les frais des écoles et fournitures classiques d’une année scolaire, on aurait des dépenses partielles 260 millions de dollars américains ou près de 21 milliards de gourdes (80 gourdes pour 1 USD). Donc, le rêve d’offrir l’éducation, gratuitement à tous en Haïti, n’est autre chose que de la science-fiction hollywoodienne. Ce n’est pas la peine de penser aux coûts, si le MENFP voulait doter chaque élève d’un ordinateur portable (par exemple: un Chromebook au prix moyen de 250$ USD) pour les cours à distance pendant la pandémie de COVID-19. Rien que pour les écoles publiques, offrir des matériels technologiques, l’accès à l’internet, à l’eau potable, à un plat chaud journalier pour chaque élève, sont des vœux socialistes, idéalistes mais impraticables en Haïti. Nous vivons dans un État moribond, financièrement désossé. La résignation ou le désespoir pousse nos compatriotes à se contenter vainement des bonnes intentions de nos dirigeants politiques, masquées par des promesses. Et quand rien ne marche, les partis de l’opposition sont financés par l’État pour recevoir tous les blâmes. Un Win-Win scénario où les politiciens gagnent toujours, n’est-ce pas?

Éducation des masses et corruption massive?

Un autre exemple de la complexité, en termes de coûts pour une scolarisation des masses, est celui des kits scolaires. Dans la vision de nos dirigeants politiques, on traite les masses en indigents et comme des mendiants. Le gouvernement peut définir, comme bon lui semble, ce qu’il comprend par fournitures classiques et matériels didactiques. Un sac à dos, quelques crayons, une paire de gommes, une règle. Et Voilà, avec quelques médias présents, le président et sa première dame distribuent fièrement de mains en mains, dans une école publique, choisie pour faire le show. Ils ignorent les exigences de l’article 32.3 qui garantit que «les fournitures classiques et les matériels didactiques seront mis gratuitement par l’État à la disposition des élèves, au niveau de l’enseignement fondamental».

Si l’État haïtien n’a jamais été en mesure d’assurer la scolarisation massive, les problèmes de corruption et de fraudes massives dans l’administration publique rendent la tâche impossible. Deux ans après les fraudes de surfacturation des kits scolaires, la nation attend encore que la justice sanctionne les coupables. On se souvient que le baron du MENFP avait saisi environ 70 millions de gourdes destinées aux paiements de certains «employés et professeurs zombis». Bizarrement, après la découverte du Ministre, et surtout pour une fraude d’une telle magnitude, aucun zombi n’a encore été capturé ou puni. Alors, comment peut-on expliquer, qu’un peuple aussi révolutionnaire et rebelle puisse laisser aux fraudeurs la charge de l’instruction publique dont l’avenir de leurs enfants et le développement du pays dépendent tant?

Rodelyn Almazor

Société & culture

Ecrivain, Poète

[email protected]

Journal Haïti Progrès

P.S.

1. Yon Leta dèyè won, k ap pete kare – traduction : Un État qui promet la lune et les étoiles. Un État qui promet ce qu’il n’a pas les moyens de réaliser.

2. Tèt chat – traduction: Inadéquat, inapproprié, maladroit.

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