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Haïti : perspectives 2020

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Pour commencer l’année du bon pied et dans les bonnes manières, souhaitons-nous une HEUREUSE ANNÉE 2020.  Que nous restions tous en santé, pour affronter les rigueurs des douze prochains mois à venir que d’aucuns nous prédisent autant, sinon plus, catastrophiques que ceux qui viennent de s’achever.  On a beau faire la sourde oreille et refuser de donner un crédit sur-apprécié aux mauvais augures, il faut quand même leur prêter attention car, certains d’entre eux sont des institutions plutôt conservatrices, et d’autres, des acteurs privilégiés, installés en première loge pour observer l’évolution de notre société et en prédire les convulsions à venir.

Je visionnais, sur YouTube, la série d’entrevues, à caractère économique et financier, réalisées la semaine dernière, par l’économiste Kesner Pharel.   D’abord, avec le Ministre a. i. de l’Économie et des Finances, M. Joseph Jouthe, ensuite avec le Gouverneur de la Banque de la République d’Haïti, M. Jean Baden Dubois et, enfin, avec l’économiste Pierre-Marie Boisson, M. Pharel s’est penché avec cet aréopage de personnalités de grande envergure, sur la situation économique du pays.  Le constat est sans ambiguïté et très sombre.  L’économie du pays est dans une impasse grave.  L’année 2019 s’est signalée comme l’une des pires périodes financières du pays.  On a beau utiliser quelques artifices pour maquiller nos déconvenues, il n’y a pas à sortir de là, avec 20 % d’inflation, un autre décote de plus de 30% de la gourde, un autre déficit record que l’on peine encore à établir précisément, c’est une débandade absolue.   Mais cela, c’était en 2019.  Nous avons déjà sept jours au compteur pour l’année 2020.  Il est donc plus que temps de penser à regarder ce que cette année nous réserve.  Eh bien,  rien de bon, s’il faut en croire le ministre de l’Économie et des Finances.

  1. Jouthe dit qu’il a bien un cadre budgétaire qui n’a pas encore été publié et qu’il n’a pas daigné faire sanctionner par le Parlement, pendant qu’il en était encore temps. Il dit s’en tenir rigoureusement à ce cadre budgétaire et, toujours à son avis, si tout devait se réaliser selon ses prévisions les plus optimistes, le pays fermerait les livres, le 30 septembre 2020, avec une croissance famélique qui n’excéderait pas 0,2%. Il dit aussi qu’il ne pourra pas compter sur une aide budgétaire des pays étrangers et des bailleurs de fonds internationaux qui étaient pourtant prêts à nous dédouaner pour environ 240 millions de dollars sur une période de trois ans, en février 2019, aux conditions expresses que cette aide soit sanctionnée par le Parlement et administrée par un gouvernement dûment ratifié par la législature.  Mais on ne pourra pas compter sur cette manne, à moins que, dans un geste inusité, la Communauté internationale ne veuille faire une exception quant à l’application de ses propres règles de fonctionnement normal, en matière d’octroi de l’aide internationale, et accepte les gouvernements de facto comme étant des interlocuteurs légitimes, dans le cas des pays à démocratie défaillante mais dirigés par des présidents dociles et accommodants par rapport à leurs orientations géopolitiques.  Le Gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), non plus, ne voit aucune amélioration providentielle à l’horizon économique du pays.  Dans son entrevue, il s’est cantonné dans les paramètres monétaires pour évoquer des mesures propres à maintenir la gourde à son niveau actuel, soit environ 95 gourdes pour 1 dollar américain.  D’ailleurs, il plastronne un peu devant son succès mitigé dans ce domaine.  La plupart des observateurs avisés, y compris d’ailleurs son interviewer, l’économiste Kesner Pharel, avaient anticipé une décote de la gourde qui lui ferait sauter le plafond des 100 gourdes pour 1 dollar américain, à la fin de décembre 2019.  Les mesures d’augmentation des taux d’intérêt pour les prêts à la consommation et d’augmentation de réserve obligatoire imposées aux banques commerciales, se sont traduites en restriction significative du flux monétaire au pays.  Si ces mesures ont contribué à maintenir le taux de change passablement stable, ces derniers mois, les freins imposés aux activités économiques et aux investissements dans le secteur public n’en ont pas moins impacté l’économie générale du pays et le marché de l’emploi.  Ce remède de cheval sera encore appliqué par le tandem économique et monétaire, représenté par ces deux personnages.  Ces deux chefs de file, dans ce domaine, semblent s’entendre comme larrons en foire, pour administrer cette potion au pays.  Pourtant, le leitmotiv de ce Président, le slogan qui avait contribué à le propulser au Palais National, c’était :  de l’argent dans les poches de tout le monde; à manger dans les assiettes de tout le monde.  Je prends la liberté de paraphraser un peu.  Mais, essentiellement, c’était cela.  Et pour y parvenir, il allait mettre à contribution nos atouts naturels :  « dlo a, tè a, solèy la ».

L’économiste Pierre-Marie Boisson paraissait moins optimiste que les deux illustres personnages qui l’avaient précédé sur le plateau de Télé Métropole, en ce début d’année.  Il voit bien les artifices du Ministre et du Gouverneur.  Par exemple, des arriérés importants de l’exercice 2018-2019, généralement en salaires impayés mais aussi en comptes impayés à des fournisseurs de biens et de services à l’État, sont reconnus par le Ministre de l’Économie et des Finances mais n’apparaissent nulle part dans ses équations financières.  Pour M. Baden Dubois, la Banque Centrale fait de la comptabilité de caisse.  En d’autres termes, les dépenses courues à payer par l’État, cela ne concerne pas la Banque de l’État qui ne s’en préoccupe que lorsque le chèque à payer parvient à la banque.  Quant au Ministre Jouthe, Il n’arrivait pas encore à chiffrer le montant exact de ces arriérés à payer par l’État, au moment de l’entrevue, en dépit de la documentation abondante qu’il avait pris soin d’apporter.   Mais cela excèderait le 23 milliards de gourdes.  Néanmoins, il affirme être en règle avec tous les fonctionnaires de l’État.  Tout le monde a été payé, même, qu’en bon prince, il assure avoir versé les bonis à Noël, à tous les fonctionnaires de l’État.  À la bonne heure!  Mais il ajoute, presque du même souffle, sans désemparer, qu’il reconnaît devoir au moins le mois de décembre à ces fonctionnaires mais que ceux-ci sont assez compréhensifs pour ne pas tirer sur la corde.  L’interviewer, Kesner Pharel, n’était pas dupe de cette contradiction évidente mais il ne l’a pas soulignée, tout comme il n’a pas mis en exergue cette fâcheuse posture d’impréparation manifeste et flagrante du Ministre.  Toujours est-il qu’il est troublant, à tout le moins, de visionner cette entrevue planifiée avec un Ministre des Finances qui ne semblait pas être au courant du dossier qui le concerne le plus : les finances exactes du pays et qui versait dans une approximation inquiétante, quand ce n’est pas une assurance inébranlable qui frise une désinvolture non moins préoccupante pour le commun des citoyens.  En effet, il assurait, avec véhémence, qu’il s’astreignait au respect strict d’une politique en vigueur, seulement depuis son arrivée au ministère : celle de ne dépenser que l’argent déjà encaissé par l’État.  En d’autres termes, il pratique religieusement ce qu’on appelle du « Cash Management », dans le jargon financier.  Ce n’est pas le premier Ministre des Finances de ce gouvernement, à faire cette même profession de foi, pour finalement tordre la main du Gouverneur de la Banque pour avancer au Gouvernement, des fonds qu’il n’a pas encore encaissés, en d’autres termes, à sortir la planche à billets et à imprimer quelques milliards de gourdes excédentaires, afin de satisfaire des besoins pressants de caisse de ces gouvernements.  C’est ainsi qu’on en est arrivé à une dévaluation galopante de la gourde.  Vous comprendrez que je ne suis pas du tout rassuré par les fermes résolutions du Ministre Jouthe, en la circonstance.

Lorsque j’eus fini de m’abreuver de ces entrevues économiques et financières, il m’est venu l’idée de jeter un coup d’œil sur les données plus précises de nos observateurs internationaux.  Le pot aux roses du Ministre Jouthe et les déclarations du Gouverneur de la Banque Centrale ne concordaient pas toujours tout à fait avec les constats et les projections des institutions internationales.  Par exemple, la Banque Mondiale, avec une mise à jour au 23 octobre 2019, établit que plus de 6 millions de nos compatriotes vivent avec moins de 2,41 dollars américains par jour et que le Produit Intérieur Brut (PIB) s’est contracté de 0,5% l’année dernière.  Selon le Fonds Monétaire International, la contraction du PIB serait encore plus importante, de l’ordre de 1,2 %.  Qui dit vrai ?  Reste à savoir, mais pour l’essentiel, notre économie se contracte et les prévisions pour 2020 ne sont pas belles du tout.  Notre économie est officiellement entrée en récession.  Mais il ne faut pas le clamer sur les toits.  C’est un grand secret de Polichinelle.

Ce qu’il importe de retenir, c’est que la situation économique du pays est catastrophique.  Pire encore, étant donné le lien direct entre l’instabilité politique et nos déboires économiques, il est fort à craindre que 2020 ne soit une autre année infernale car rien n’est réglé sur le front politique.  C’est une expectative qui risque de durer longtemps, étant donné l’équilibre des forces politiques qui se neutralisent sur le terrain.  Dans une semaine environ, le Président constatera la caducité du Parlement.  La Chambre des Députés sera renvoyée dans son intégralité.  Quant au Sénat, la situation n’est pas encore claire.  Selon certains analystes, les deux tiers du Sénat verront leur mandat périmé au deuxième lundi de janvier.  Un Sénat à 10 membres sur 30 étant totalement dysfonctionnel, ce serait alors toute la législature qui ne pourrait plus sanctionner un gouvernement déjà de facto, démissionnaire et intérimaire.  Le pays et le gouvernement seraient alors livrés aux décisions par décrets présidentiels, sans aucun contre-pouvoir pour assurer un certain équilibre.  Il ne resterait alors plus que la rue, comme contre-pouvoir.  Dans une démocratie, ce n’est jamais un très bon signe.  Cela ne facilitera pas la légitimation d’un gouvernement, et ses rapports avec les bailleurs de fonds internationaux en souffriraient certainement, à moins d’une exception spéciale pour Haïti.  Alors, autant dire adieu aux appuis budgétaires sur lesquels les gouvernements d’Haïti comptent pour boucler nos finances.  Néanmoins, le Sénateur Youri Latortue maintient que tel ne serait le cas.  Seulement un tiers du Sénat devrait aller en élection, cette année.  Auquel cas, un Sénat de 20 membres pourrait encore techniquement jouer son rôle de contrôle de l’Exécutif, même temporairement amputé du tiers de ses membres.  Nous ne savons pas encore quelle sera le dernier mot sur cette situation ambiguë au niveau du Sénat.  Pour le moment, seule restera la diaspora qui transfuse déjà près de 3 milliards de dollars annuellement au pays, comme bailleur inconditionnel du pays et de sa population, indifféremment de la situation politique du pays et de l’illégitimité éventuelle de son gouvernement.  L’an dernier, cette enveloppe a même connu une augmentation substantielle de 7%, paraît-il, malgré les troubles dans le pays, malgré les difficultés de nos ressortissants dans les pays d’adoption, eux-mêmes en ralentissement économique.  C’est une tendance mondiale assez lourde.  L’économiste Pierre-Marie Boisson anticipe le maintien, à court et à moyen termes, de cette bouée qui nous garde encore à flot, même si nous faisons tout pour décourager cette poule aux œufs d’or qui pourrait faire encore tellement mieux, tant au niveau du tourisme que dans les investissements pour la création d’emplois, dans l’hôtellerie, dans l’agriculture et dans le secteur des services, en général.

De l’avis général, la morosité politique et économique s’est installée à demeure au pays.  Les troubles politiques et sociaux, qui se sont estompés, pourraient reprendre à n’importe quel moment, car les facteurs sous-jacents à cette situation n’ont pas été abordés.  Rien de définitif n’a été fait pour les régler.  En conséquence, le miracle du décollage d’Haïti, risque d’attendre encore quelque temps.  Les perspectives économiques et politiques pour Haïti en 2020 restent donc tapies dans une brume épaisse.  Nul ne sait encore ce qui arrivera à la fin de ce mois de janvier.  Alors, pour toute l’année 2020, il faudra être patient et s’armer de courage, pour composer avec les aléas socio-politiques qui ne manqueront pas de survenir, sans tenir compte des risques environnementaux et naturels sur lesquels on a peu de prise et pour lesquels le Ministre Joseph Jouthe, qui porte également le chapeau de Ministre de l’Environnement, a encore moins de précision et de plans de mitigation à offrir.

Pierre-Michel Augustin

le 7 janvier 2020.

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