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Quand tout le monde joue un rôle et fait comme si tout allait bien au pays

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Le gouvernement d’Ariel Henry fonctionne comme si tout était normal, au pays. Le carnaval a eu lieu,
sans désemparer. Les bandits avaient même fait relâche, un peu. Eux, aussi, avaient sans doute besoin
de ce répit. Après tout, le métier de bandit peut se révéler ardu, périlleux même, de temps en temps.
Alors, un peu de vacances en période de carnaval, ce n’est pas de refus, comme l’on dit. Mais, une fois
brûlé Papa Madigra et les chars musicaux rangés, ils ont repris le collier et se sont mis à prendre des
bouchées doubles pour rattraper le temps perdu. Alors, à l’affiche, il y a plus de kidnappings, plus de
meurtres, plus de viols, plus de batailles entre gangs pour conquérir plus de territoire. Les affaires
reprennent. Le train-train quotidien, quoi!
Des hôpitaux ferment leurs portes pour cause d’insécurité, c’est le cas de celui de Médecins
Sans Frontières à Cité-Soleil. C’était devenu trop dangereux pour son personnel de rentrer au travail, en
esquivant les balles échangées tout autour de leur établissement, entre des gangsters bien ravitaillés en
armes et en munitions made in USA. Elles arrivent, rapporte-t-on, par pleins containers en provenance
notamment de la Floride. On dit même que ce sont des membres de notre diaspora qui seraient à la tête
de ce trafic très lucratif. Des chevilles ouvrières, peut-être? Toutefois, les autorités américaines ferment
les yeux, on comprend bien pourquoi. Business is business, les affaires sont les affaires. Pourvu que
cela apporte de la richesse au pays de l’Oncle Sam, peu importe comment, on n’y touchera pas. Nul
n’est dérangé par les autorités pour ces infractions, car, après tout, Haïti est un pays sous embargo pour
l’acquisition des armes à la régulière mais pas en contrebande. Sans doute que ce cas de figure n’était
pas prévu dans le protocole de cet embargo en place depuis fort longtemps.
On fait des manchettes avec chaque kilo de cocaïne rattrapé à l’arrivée aux États-Unis, en
provenance de chez nous ou débusqué par nos forces de l’ordre à l’aéroport Toussaint Louverture, en
partance vers le Klondike américain. On clame alors, preuve à l’appui, comme de raison, qu’Haïti est
une plaque tournante importante pour le trafic de la drogue transnational. Et s’il arrive qu’un de nos
malfrats encravatés se fasse surprendre à en faire le trafic, alors gare à une intervention de la DEA.
Leurs agents vont faire le cinéma dont d’ailleurs les assassins de Jovenel se sont inspirés, sans payer les
droits d’auteur, avec le résultat que cette fois-là, il y a eu vraiment de la casse, et la victime est restée
vraiment sur le carreau, contrairement à ce qui se passe dans les scénarios hollywoodiens.
Nous, on collabore franchement avec les autorités étatsuniennes. On livre, sans rechigner, les
malfrats recherchés réellement outre-mer. Les accords d’extradition que nos autorités signent avec le
grand voisin ne fonctionnent que dans un seul sens. Mais, de notre côté, on n’exige rien en retour. On
ne pipe mot. Tout d’un coup, qu’on se mettrait à nous refiler tous ceux et toutes celles qui auraient des
comptes à rendre à la justice chez nous. On risquerait d’être débordé. On ne saurait plus quoi en faire.
Pourquoi s’imposerait-on un tel embarras? Prenez, par exemple, le cas de Toto Constant. Quelqu’un
pourrait-il me dire ce qu’est devenu cet ancien héros déchu des putschistes? Serait-il encore en prison
ou se la coulerait-il douce, dans un coin perdu et idyllique de notre petit enfer? Pourrait-on, en retour de
notre bonne collaboration avec les autorités américaines, sur le dossier du trafic de drogues, réclamer à
notre tour l’extradition de nos compatriotes ou de citoyens américains, accusés et convaincus de
contrebande d’armes de guerre avec des bandits en Haïti?, je les verrais bien écroués au Pénitencier
avec un 25 ans ferme de peine à écouler, avec travaux forcés en prime. Je pose la question tout en
sachant d’avance la réponse. On trouverait toute sorte de passe-passe pour éviter de nous remettre nos
bandits légaux et surtout, par la même occasion, des criminels américains qui auraient transgressé nos
lois en plus des leurs, et qui, à partir de leur El Dorado étatsunien, s’enrichissent en nous dompant des
armes de plus en plus de gros calibres avec lesquels nos bandits locaux sèment la mort, la destruction et
la désolation à travers le pays.
Je soulevais ce point pour les fins de la discussion, sachant bien que le gouvernement d’Ariel
Henry dort au gaz, sur ce dossier comme sur tous les autres. Les hôpitaux ferment, les écoles aussi. Et
puis, et puis, anyen! La guerre est déclarée au Bel-Air, on s’entre-tue à qui-mieux-mieux, et la

population, aux abois, se réfugie au Champ-de-Mars, abandonnant leur maison. Personne au
gouvernement ne prend la parole pour évoquer, ne serait-ce qu’un début de solution au problème ainsi
créé. En tout cas, personnellement je n’ai entendu personne en autorité aborder la question. Il est vrai
que le gouvernement d’Ariel Henry, il faut le leur reconnaître, avait fait une démarche officielle auprès
des Nations Unies, auprès des autorités américaines, auprès des autorités canadiennes, auprès de l’OEA
pour leur demander de venir régler le problème à notre place. Envoyez-nous des troupes pour des
interventions robustes, et faites-nous un ménage complet, s’il vous plaît. Entre-temps, nous gérons le
pays. Les écoles sont fermées; les bandits lèvent des impôts et des droits de passage, et la police, la
police, euh! Je ne sais pas vraiment ce qu’elle fait ou ne fait pas. En tout cas, elle n’est pas intervenue
dans le quartier de Bel-Air que les bandits mettent à feu et à sang. Elle n’est pas intervenue non plus à
Cité-Soleil où les tirs en cascade s’échangent à cœur de jour. À l’occasion, elle riposte et blesse
mortellement quelques malandrins. Mais c’est tout, et cela ne peut tenir lieu de stratégie pour le
rétablissement de la paix sociale.
Au cours de la semaine dernière, c’était la Journée Mondiale des Femmes. Il y a eu, semble-t-il
des célébrations, à la cloche de bois, il est vrai, mais quand même… On a fait comme si tout était
normal au pays. Mais personne ne s’y est laissé tromper. Personne, à part, bien sûr, celles et ceux qui
peuvent compter sur un cortège impressionnant de personnes armées jusqu’aux dents, l’œil aux aguets
et le doigt sur la gâchette. L’Institut Français d’Haïti donne aussi dans le faire comme si. Elle publie
une programmation en trois temps pour bien célébrer nos Femmes. Elles le méritent bien, en effet.
Mais, combien de Madan Sarah, pensez-vous, prendront part aux agapes? Certes, pour celles et ceux
qui ne pourront pas courir le risque de faire le déplacement, on avait prévu le coup. Il suffira de cliquer
sur un lien pour une participation ou une assistance virtuelle aux évènements, pour souligner cette date.
Mais, qui dit internet, implique la disponibilité de l’électricité et du Wi-Fi. Je n’en dirai pas plus, vous
comprenez la suite. Et les ministres disent quoi, entre temps? Ils gèrent… Quoi, au juste? Allez savoir!
Le peuple, dans tout cela, donne aussi le change. Il se lamente et, à l’occasion, s’emporte.
Alors, comme un torrent en furie, il brise tout sur son passage, sans plan ni dessein de changer quoi que
ce soit de sa condition. Et, sitôt sa colère abattue, il retourne dans ses ornières de misères et refait les
mêmes gestes qui l’ont asservi et qui l’y ont conduit. Il participe aux bamboches dont il fera les frais,
aux carnavals dont il sortira grisé mais encore plus mal en point. Ses enfants n’auront pas droit à une
meilleure instruction, à une meilleure vie. Il ne questionne ni le pourquoi ni le comment de sa situation.
Il s’en lamente, il s’en révolte mais il ne change rien pour que demain soit meilleur, pour lui et pour les
siens.
Le dernier coup pour tuer le coucou, celui-là, je ne m’y attendais franchement pas. Les derniers
acteurs de notre tragédie viennent aussi de monter sur la scène pour jouer aussi leur rôle, sans plus. La
toute récente Présidente du non moins récent HCT se lamentait récemment lors d’une entrevue. À l’en
croire, le HCT ne disposerait pas encore d’un personnel, pas de matériel, pas d’un budget, même pas de
papier pour rédiger des notes et entreprendre les chantiers pour lesquels le Gouvernement et la
Communauté internationale, en grande pompe, avaient applaudi son installation. On leur aurait fait
faire un petit tour en bateau et les trois Hauts Commissaires de la Transition auraient donné tête baissée
dans ce miroir aux alouettes. Vous m’en direz tant, Madame! Et vous croyez vraiment que le bon
peuple va avaler goulûment cette couleuvre, sans comprendre, que vous aussi, vous avez acceptez de
jouer votre rôle, d’exécuter une partition? Les dissonances qui s’y trouvent ne sont pas accidentelles,
elles sont voulues, délibérées. Et ne nous dites pas que vous et vos collègues, vous le ne saviez pas, car
ce serait faire insulte à notre intelligence. Vous avez voulu jouer le jeu, sciemment, en toute
connaissance de cause, et personne ne croira en vos propos ingénus.
Le fait est que tout le monde au pays joue un rôle. Le Gouvernement joue à gouverner, mais au
fait, il ne gouverne rien. Il joue le temps et mise sur l’usure du temps. Il égrène le calendrier comme un
sablier qui voit les jours s’écouler l’un après l’autre, sans rien tenter pour «gérer» quoi que ce soit. Et
cela marche.

L’opposition joue également un rôle: celui de l’opposition. Mais elle s’y prend bien mal, ne
sachant pas vraiment comment composer avec le rôle qui est le sien. Elle ne crée pas, elle ne construit
pas le rapport de force qui pourrait faire bouger son adversaire et elle se contente de quelques coups
d’éclat médiatiques, sans effet réel sur la suite des choses. Les sempiternels appels à la mobilisation, à
la longue, créent une lassitude devant si peu de résultat. Tout comme le gouvernement, elle n’a pas de
plan A ni de plan B, pas d’échéancier pour changer la situation à son avantage. Il est constamment en
situation de réaction tardive et désorganisée, en «plon gaye» qui ne peut pas avoir d’effet sensible sur
la trame des choses à changer au pays.
Et puis, il y a les gangs de bandits. Eux aussi jouent un rôle: celui de bandits à tout faire. Mais,
eux aussi, ils le jouent bien mal, leur rôle. En effet, depuis quand des bandits deviennent des tacticiens,
des stratèges au long cours et des logisticiens capables de monter des attaques coordonnées, d’assiéger
une capitale entière, en contrôlant de façon systématique ses voies d’accès? Depuis quand les bandits
deviennent des techniciens en armements sophistiqués et nécessitent l’envoi de bateaux équipés de
matériels de communication de pointe et le déploiement d’avions et de drones pour analyser le
déplacement de leurs troupes ? Cela ne relève pas de l’apanage de vulgaires bandits de grand chemin
mais d’un travail de sape et de déstructuration planifié et coordonné avec des intelligences qui visent un
objectif bien défini. Et, progressivement, on semble s’y acheminer.
Mais, trêve de jérémiades. Peut-on encore y échapper et corriger le tir, me demanderiez-vous?
Oui, je le pense, même si je conçois bien que cela ne sera pas facile. Il faut d’abord vouloir le faire, au
sommet, et cela implique un changement de gouvernement. L’équipe actuelle et les sous-fifres de tous
acabits qui s’y adjoignent, ne pensent pas ni ne voudront pas le faire. Il faudra donc les mettre de côté,
d’une façon ou d’une autre. Ensuite, il faut résolument s’attaquer au problème des gangs. Cela implique
de prendre les moyens légaux et armés pour le faire, résolument. Dans un pays où la population est
violentée de la sorte, il faut se doter des moyens légaux et juridiques pour mettre les bandits hors d’état
de nuire. Ce moyen légal s’appelle l’État d’urgence. Il dote le gouvernement et les forces de l’ordre
constituées, de moyens et des mesures pour s’attaquer au problème, de toute la latitude légale
nécessaire pour y faire face, sans risquer d’encourir des représailles judiciaires ni des condamnations
extranationales. Viendra ensuite le temps de négocier, de discuter et de s’entendre avec les éléments
encore récupérables de cette engeance de bandits et de criminels, mais pas avant d’avoir fait un ménage
significatif dans leurs rangs et d’établir, de façon non équivoque, notre volonté de changer les choses,
selon des règles claires. Le banditisme, sous toutes ses formes, ne doit pas être acceptable ni acceptée
dans une société humaine civilisée, et nous devons être prêts à en payer le prix nécessaire pour que cela
soit imposé, par la force, s’il le faut. Autrement, nous risquons de continuer à fonctionner en marge de
toutes les règles de vie en société normale, et à tenter de donner le change, en faisant comme si tout
allait bien chez nous, mais en vain, car tout le monde le sait, aujourd’hui, chez nous, le chaos règne en
maître absolu.
Pierre-Michel Augustin
le 14 mars 2023

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