HomeCoup d’oeil sur le mondeEt pourquoi viendraient-ils faire le ménage à notre place?

Et pourquoi viendraient-ils faire le ménage à notre place?

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La corruption est généralement dénoncée et réprouvée, partout dans le monde, du moins officiellement.
Toutefois, elle sévit partout, à des degrés divers. Elle corrompt des secteurs de la vie économique,
sociale et politique de presque toutes les sociétés humaines, et ce, depuis des temps immémoriaux. Le
monde est ainsi fait. Et, lorsque la cupidité des uns et la faiblesse des garde-fous institutionnels se
conjuguent, pour garantir une impunité à toute épreuve à celles et à ceux qui s’y adonnent, alors, la
corruption s’installe au grand jour et devient la norme, la référence absolue. Dès lors, il n’y a plus lieu
de tenter de corriger la situation à la pièce. Il faut prendre les grands moyens pour éradiquer ce mal à sa
source. C’est semblable à une infestation de vermines à la maison. Quand on ne voit que quelques
traces de la présence de souris, à l’occasion, sous un évier ou dans le galetas, on peut encore espérer
régler le problème avec quelques pièges installés ici et là. Mais, lorsque les souris se hasardent au
grand jour à se balader parmi nous, il faut vraiment recourir aux grands moyens. Nous sommes alors en
présence d’une métastase, d’une infestation majeure qu’on ne peut plus traiter à coups d’expédients.
La corruption à grande échelle s’est installée en Haïti et s’étale au grand jour, sans honte et sans
états d’âme. Elle a commencé par donner naissance aux petits gangs de truands de quartier. D’autres
(suivez mon regard) ont eu la funeste idée de les regrouper, de les fédérer. De sorte qu’aujourd’hui, ce
n’est plus un petit feu de broussailles qui s’éteindra à la première ondée. C’est un feu de forêt qui
menace d’embraser le pays tout entier. Nous en sommes là, aujourd’hui. On ne se contera pas
d’histoires, quant à la toute-puissance de nos forces de police, et encore moins de notre soi-disant
nouvelle armée. Il n’en est rien, et ce n’est même plus un secret de Polichinelle. Le monde entier peut
en attester, et nos forces de l’ordre se sont évertuées à le démontrer, accumulant gaffes après gaffes, des
erreurs funestes, les unes après les autres, coûtant inutilement la vie à des jeunes et à des moins jeunes
policiers et policières, dont on n’a même pas pu récupérer les cadavres pour leur offrir des funérailles
dignes, à la hauteur du sacrifice ultime qu’ils ont dû consentir. Nous sommes allés encore plus loin,
buvant la coupe de notre humiliation publique jusqu’à la lie, jusqu’à la dernière goutte, en suppliant le
Conseil de Sécurité des Nations Unies et le Conseil Permanent de l’OEA de venir nous occuper, une
autre fois, pour nous sauver de ces démons domestiques qu’ils s’étaient ingéniés à dresser contre nous,
grâce à nous, grâce à la bêtise des uns et à la cupidité des autres. Nous avons fait tout cela, nous avons
consenti à cet avilissement suprême, ravalant notre orgueil national, notre fierté de peuple jadis libre et
indépendant, jusqu’à aller clamer notre impotence, sur tous les podiums qui nous étaient offerts. Et
malgré tout, l’aide réclamée avec insistance par celles et ceux dont la mémoire de notre histoire est
aujourd’hui frappée de sénilité oublieuse ou d’opportunisme abject, ne viendra pas sous la forme
demandée. Tout cela, pour si peu de résultat. Toute cette ignominie, pour se retrouver encore au même
point de départ, sinon pire.
Mais cela dit, cette situation ne pourra pas perdurer, même si la conjoncture internationale ne se
prête pas davantage à cette «intervention musclée» et importante que d’aucuns appellent de tous leurs
vœux. Aujourd’hui, Haïti est une distraction à laquelle les grands de ce monde ne peuvent, ne veulent
prêter une quelconque attention sérieuse. Trop d’enjeux sont ailleurs sur des scènes bien plus grandes,
en Ukraine, voire en Chine. Les malheurs d’Haïti, c’est du menu fretin, «du caca de hareng», comme
dirait l’autre, pour être plus vulgaire et salace à souhait. Trop peu pour eux, merci. En d’autres temps,
peut-être, mais pour le moment, trop de ballons, espions ou non, chinois ou non, se baladent dans leur
firmament, pour se laisser détourner vers nos chimères. C’est plutôt le temps de parader à Kiev, le
temps d’une petite bravade, d’une nique… Alors, nous, on fait quoi maintenant ? On se lamente sur nos
policiers morts, sur nos civils séquestrés à tour de bras et assassinés de temps à autre ? On leur chante
des «fake» funérailles, en attendant de retrouver leur cadavre, si les chiens nous en laissent assez pour
que cela vaille un enterrement ? On fait un peu comme si de rien n’était, en préparant le carnaval, pour
se donner le change. Quel carnaval ? Et les autres se prêtent aussi au jeu. On installe en grande
cérémonie un autre bidule à 3 membres, qui ne servira sans doute pas à grand-chose, à part à donner le

change, à noyer le poisson. Et pour comble d’astuce, on lui collera une présidence rotative, s’il vous
plaît. C’est mieux ainsi, paraît-il, pour jouer à la chaise musicale, sans risquer que l’un d’entre eux ne
se prenne trop au sérieux et ne nourrisse de secrètes ambitions. Auquel cas, on aura prévu le coup.
Allez hop, ça saute! On change le président… ou la présidente, selon le cas…
Un de nos professeurs au lycée, ne cessait de nous répéter ces vers de Me Boileau. «Ce qui se
conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément». Très judicieux, en effet.
Alors, vous comprendrez pourquoi j’ai tendance un peu à me méfier, lorsque pour définir un soi-disant
Accord, l’on doive, chacun à sa manière et un peu à sa guise, l’affubler d’un chapelet d’épithètes,
enfilés l’un après l’autre, comme autant d’appâts, comme si un seul ne suffisait pas pour en exprimer
l’idée maîtresse. Un accord «pour la réalisation des élections honnêtes», cela devrait suffire pour
signifier qu’elles seront à la fois «inclusives, libres, justes, crédibles», voire démocratiques. Il faut
donc croire qu’elles ne seront pas si honnêtes que cela, qu’il y a anguille sous roche, puisqu’on se sent
obligé de lui ajouter, couche après couche, adjectif après adjectif, toute sorte d’adjuvent, pour tenter de
clarifier une idée toute simple mais qui paraît pourtant compliquée au cube. C’est pour atteindre cet
objectif de tenir des élections, à la fois inclusives, libres, justes, crédibles, voire démocratiques que
nous supplions aujourd’hui le monde entier de venir à notre secours, pour retenir nos démons, le temps
pour la pléthore de candidats, de battre semelle et de faire campagne, vite fait. Et puis, après? Après,
l’on s’arrangera, comme on l’a toujours fait. À la grâce de Dieu! Ou selon la volonté de Zòt!
La misère est un terreau fertile pour faire prospérer le fléau de la corruption, tout comme le bois
pourri pour faire pousser des champignons. Le manque absolu de moyens, de ressources, se combine
alors pour produire et alimenter une prolifération tous azimuts de ce cancer. Et, Haïti en est un exemple
absolu. Des policiers qui ne gagnent pas assez pour survivre dans la dignité; des juges qui sont en bute
à une précarité absolue; des enfants de rue, abandonnés à eux-mêmes, exploités, miséreux, à qui on fait
miroiter la possibilité d’une vie meilleure, grâce au crime. Et, l’on s’étonnera après, que ce cocktail
fermente assez pour nous donner ces résultats: des juges qui vendent la justice au plus offrant; des
policiers qui ne veulent pas mourir à la tâche ingrate de protéger et de servir, quand on ne leur jette que
des miettes; des enfants rendus adolescents, pour qui l’horizon est barré depuis l’enfance et qui, rendus
à la force de l’âge, ne voient rien de mieux devant eux, même pas une espérance de lendemain un tant
soit peu meilleur. Nos quartiers, presque tous, sont entourés de ghettos, de favelas bourrées de gens qui
vivotent dans la crasse, dans des taudis dont les toits ne parviennent à tromper ni les rayons de soleil, ni
les gouttes de pluie. Et l’on s’étonne après, qu’ils ne se sentent pas tellement concernés, lorsque
l’insécurité, qu’ils vivent au quotidien, finit par frapper aux portes de ce qu’ils considèrent comme des
villas de luxe, même lorsque celles-ci sont à peine pourvues d’un minimum de commodité moderne,
pour vrai. C’est un sauve-qui-peut pour tout ce monde, et la perche qu’on leur tend s’appelle
CORRUPTION. Et vous croyez qu’ils vont passer leur tour ? Méditez plutôt sur cette mélopée. «Sent
Àn ô, lamizè pa dous ô, m rele ô, Sent Àn ô, m pral chèche lavi yon lòt kote ô.»
Ceux à qui nous réclamons de l’aide à tue-tête et avec insistance, ont compris aussi la
profondeur de nos difficultés et la lourdeur de la tâche à laquelle ils devraient s’atteler, pour espérer
donner un résultat probant. Alors, jamais ils ne se résoudront à venir faire maison nette pour nous. Ils
ne mettront pas leurs mains dans le sang de nos compatriotes pour nous, car c’est ce que nous leur
demandons, en fin de compte. C’est ce que veut dire: «une intervention musclée», n’est-ce pas ? Leur
population leur en tiendrait rigueur et pourrait s’en souvenir à leurs prochaines élections ou réélections.
Et, même si l’ONU et l’OEA le leur répètent encore et encore, ils savent bien que les conséquences, s’il
y en avait, ils seraient bien seuls à y faire face, lorsque viendra ce temps. Alors, pourquoi viendraient-
ils faire pour nous, ce que nous refusons d’envisager de faire pour nous-mêmes ? Nous sommes prêts à
prendre des décrets pour toute sorte de situations. Nous sommes même prêts à envisager d’adopter une
nouvelle constitution, à la sauvette, et en bafouant toutes les règles en la matière, au risque de la voir
désavouée, au prochain tournant. Mais nous ne sommes pas foutus de prendre la décision qu’il faut
pour protéger la population, pour nous protéger personnellement, pour protéger les autorités de l’État,

les institutions du pays et de mettre les ressources qu’il faut pour y parvenir. C’est une question de vie
ou de mort de personnes, du pays tout court, et nous continuons à tenter de donner le change, en
programmant le carnaval dans nos rues sales, comme si c’était encore un temps de liesse populaire. Le
bon peuple ira danser sur des tas d’immondices que la voirie n’a pas ramassés depuis des lunes, à côté
des cadavres laissés sur le pavé par quelques truands défoncés, armés jadis, ou encore aujourd’hui
entretenus, par quelques barons évidents, à qui personne ne demande des comptes, pendant que nous
continuons à nous autoflageller sur tous les podiums, pour convaincre Zòt de notre incompétence et
leur demander: «Please send help, quick». Certes, on nous enverra des «band aids» et des blindés
pèpè. Mieux, on monitorera à distance notre désarroi, du haut des airs, et de loin, en haute mer, pour
mesurer un peu le degré de notre déliquescence, sans plus, pour barrer la route à une éventuelle vague
de réfugiés. Make veye, n a wè.
Ne nous étonnons pas si personne ne se bouscule tout de suite au chevet du grand malade de la
Caraïbe qu’est devenu notre pays. On attend son trépas pour en faire le constat et chaparder ses
dépouilles, ce qu’il en restera. Le cuivre, pour l’un, l’autre prendra le lithium, et du peuple en désarroi,
on en fera un tri. Les meilleurs pour lui, les «smart», tout bardés de diplômes pour d’autres, cela pourra
toujours servir, on manque tellement de main-d’œuvre à bon marché, ailleurs. On en fera du recyclage,
c’est déjà la grande mode. Encore faudra-t-il qu’ils soient réutilisables et convertibles, prêts à l’ouvrage
et corvéables à souhait. Des candidats parfaits pour des «low wage jobs, unqualified jobs», comme
nous menaçait, Me Verna, au lycée Toussaint, à quelques-uns d’entre nous qui paressaient un peu trop à
son goût.
Pour ma part, je pense qu’il y a encore quelque chose à faire par nous-même, pour changer le
cours de notre histoire. Pour commencer, il faut virer, à grands coups de bottes, cette bande de
politicailleurs incompétents que sont la plupart de ceux qui nous dirigent aujourd’hui, avant
d’entreprendre de faire le grand ménage. Car il ne servira à rien d’utiliser une vadrouille sale et
décrépie pour nettoyer le plancher de nos déboires d’État failli, que dis-je, «effondré». Ensuite, il
faudra prendre le taureau par les cornes, avec tous les risques que cela sous-entend, pour terrasser «les
vermines» de tous genres qui rongent le pays, un peu comme on l’a fait à Belvil, l’autre jour, mais à la
grandeur du pays et avec plus de détermination. Comme le disait Mario Andrésol, un peu en daki,
l’autre jour, tout en se défendant bien d’inciter à la violence, il faudra que les gens des quartiers se
défendent eux-mêmes, là tout le monde se connaît l’un l’autre. Cela ne sert à rien de prendre des gants
de soie pour traiter avec des bandits. Si la manière forte est le seul langage qui leur soit accessible,
alors tant pis pour les œufs, on fera des omelettes. Et puis, grenn pa bat, se kolonn ki bat, comme le
veut le dicton, la sagesse populaire. On doit quand même pouvoir compter sur un bien plus grand
nombre de bonnes gens que de bandits dans ce pays, pour mettre ces derniers hors d’état de nuisance.
Commençons par cela, et pour le reste, on verra. On traversera la rivière à gué ou l’on sera emporté par
le courant. Mais ne comptons pas sur un pont providentiel pour la traverser celle-là, car il n’y en aura
pas. Un pont, cela se construit et cela prend du temps, des ressources et des vrais amis, non pas de ceux
qui sont des faux-culs, des amis de pacotille. Malheureusement, nous ne semblons pas disposer
beaucoup de ceux-là, pour le moment. Et ceux qui pourraient l’être encore, des vrais, s’entend, malgré
tous nos coups bas passés à leur égard, sont eux-mêmes exsangues et en ont plein les bras, aujourd’hui.
Alors, à nous de faire place nette, sans trop attendre des secours qui ne viendront pas. Après tout,
pourquoi viendraient-ils morfler à notre place ?
Pierre-Michel Augustin
Le 17 février 2023
Creator: Ralph Tedy Erol | Credit: REUTERS

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