HomeActualitéUne certaine expérience de «nation building» serait en cours en Haïti

Une certaine expérience de «nation building» serait en cours en Haïti

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Les regards du monde se sont tournés un peu vers Haïti et sur ce qui s’y passe, ces derniers jours. Quelques journaux étrangers se sont rendu compte qu’il se tramait quelque chose d’important dans ce pays et en ont fait mention dans leurs colonnes, pour attirer l’attention d’un public généralement abonné aux catastrophes outre-atlantiques de ce genre. Ceci est assez particulier car, ces derniers jours, l’actualité mondiale n’est pas en reste de faits saillants. Et pour qu’Haïti retienne quand même l’attention des médias, il doit y faire franchement mauvais.

Ces faits saillants de la semaine écoulée et de celle qui débute sont assez importants. L’Ukraine et la Russie, en guerre, qui signent un accord pour laisser passer le blé afin de ne pas affamer davantage les plus mal pris de la terre, sous les auspices de l’ONU et de la diplomatie turque, ce n’est pas banal du tout. Ce n’est pas une trêve, ni un cessez-le-feu. Juste un laisser-passer pour les bateaux de blé ukrainien et russe mais aussi d’engrais russe, vers l’étranger. Rien de plus. Mais c’est un gros soupir de soulagement à travers le monde que concèdent les belligérants, aux pays en demande pour leurs produits agricoles. À noter qu’il ne faut pas confondre cette situation avec une libre circulation en tous genres, pour se réarmer à qui mieux-mieux.

Les faits saillants dans le vaste monde, c’était aussi la canicule qui fait des ravages en Europe méridionale, tout particulièrement, avec des pointes de chaleur qui entraînent un nombre important de décès, et des forêts qui brûlent, pendant que des dirigeants font la promotion d’une restriction énergétique pour essayer de se refaire un stock de carburant pour l’hiver prochain car le gaz naturel ne coule plus autant à flot dans le pipeline de North Stream. Et, qui sait combien de temps cela pourrait durer ou combien rigoureux sera l’hiver prochain ? Rompre le pain quotidiennement, se tenir au frais lors de grandes canicules, tout comme se réchauffer en hiver pour les pays nordiques deviennent soudainement des préoccupations essentielles qui font la manchette et ne sont plus une routine, un automatisme.

D’autres faits un peu moins saillants mais qui attirent néanmoins l’attention, ce sont les pèlerinages fort différents, des grands de ce monde. Il y a celui du Président Macron qui fait une virée tous azimuts en Afrique, pour tenter d’arrêter la saignée et de colmater la perte d’influence dans ces pays que jadis la France considérait comme sa cour-arrière, sa réserve stratégique et qui tentent de plus en plus de se libérer de son emprise, de sa «prise de tête» avec laquelle elle étouffait plus d’une de ses anciennes colonies. C’est le temps de refaire des alliances encore possibles, pour garantir son réapprovisionnement régulier en tout, mais particulièrement en ressources énergétiques. Brusquement, l’Algérie, le Maroc, le Mali deviennent assez importants pour être traités avec une certaine déférence, en lieu et place d’une certaine suffisance et une condescendance. Ces pays, riches en matières premières, ont récemment goûté un peu à l’intérêt que leur vouent d’autres partenaires, et ne se laissent plus rouler aussi facilement qu’autrefois. Il convient donc de soigner sa posture et de prendre des gants avec eux.

Il y avait aussi le Président Joe Biden qui rendait visite au Prince saoudien, Mohammed ben Salmane (MBS) lui-même, qu’il qualifiait, il n’y a pas si longtemps, de tous les anathèmes, pour le prier de bien vouloir rouvrir ses robinets de pétrole et de gaz un peu plus, afin de calmer la fringale énergétique de ses partenaires européens et surtout pour tenter de damer le pion à son adversaire russe. Pendant ce temps, le chancelier Sergueï Lavrov s’en allait courtiser le Congo, l’Ouganda, l’Éthiopie, après une tournée en Égypte, tandis que le Président russe, Vladimir Poutine, rencontrait, de son côté, ses homologues: le Président iranien, Ebrahim Raisi, et le Président turc, Recep Tayyip Erdogan. Tout le monde bouge son pion et nul ne reste figé dans sa posture inconfortable, par les temps qui courent.

Non moins important était également le voyage du Pape au Canada. Le Saint Père est venu demander pardon, au nom de la Sainte Mère l’Église, pour toutes les abominations commises contre les peuples autochtones avec la complicité de ses congrégations. Sur cette lancée, une fois parti, le Saint Père risque d’être occupé pendant encore longtemps, s’il faut prendre en considération toutes les abominations commises par ses prêtres ou avec leur complicité, au cours des siècles, à travers le vaste monde où elle s’est implantée, confortant les puissants de ce monde dans leurs pires dérives, quand elle ne fut pas, elle-même, à l’origine de pratiques dont des sociétés traînent encore des séquelles graves et portent en elles des stigmates indélébiles. J’estime beaucoup la sincérité de ces gestes de contrition du Pape François. Mais ils vaudraient encore beaucoup plus, s’ils étaient assortis d’actes de réparation à la dimension des torts causés à ces communautés car, tout comme la foi sans les œuvres, le repentir, même sincère, sans les réparations appropriées, demeure une entreprise inachevée.

Malgré tout cela, en dépit de toute cette orgie de nouvelles importantes, Haïti, dans la colonne des horreurs de la semaine, a quand même trouvé sa juste place. Le Journal de Montréal titre en manchette, le lundi 25 juillet: Plus de 471 personnes ont été tuées, blessées ou portées disparues lors des violences à Cité-Soleil… du 8 au 17 juillet. Encore que le pays ne soit même pas en guerre. Puisque ce sont des informations de sources onusiennes, elles doivent être crédibles et à prendre au sérieux, n’est-ce pas ? Mêmes les bombardements russes, dits intensifs, en Ukraine, n’ont pas fait autant de victimes en si peu de temps. Parallèlement, Canada day.FR annonce la découverte de 17 cadavres d’Haïtiens en mer. Leur bateau aurait fait naufrage au large des Bahamas mais 25 survivants ont pu être rescapés, c’est arrivé la semaine dernière. Pour une fois, le Premier Ministre Ariel Henry en a été tellement touché qu’il a daigné mentionner la nouvelle et faire part de ses sympathies aux parents des victimes non encore identifiées. Il ne s’est pas encore prononcé sur le rapatriement des corps ni sur leurs funérailles, comme si cela n’était pas de son ressort, comme si cela relevait de la responsabilité des autorités bahaméennes. Et le flot continue. Nicole Groll, porte-parole de la Garde-Côtière du District 7, rapporte que 150, oui, 150 autres boat people haïtiens sont interceptés à Boca Chita Key, en Floride, le jeudi 21 juillet. 4 jours plus tard, le lundi 25 juillet, ils sont prestement rapatriés, sans autre forme de procédure. Et ce n’est pas tout. Cette fois-ci, le jeudi 21 juillet, neuf membres du Conseil de Sécurité des Nations-Unies prennent la relève pour dénoncer collectivement les violences faites aux femmes et aux garçons en Haïti. Il s’agit du Brésil, de l’Irlande, de la Norvège, de la France, du Royaume-Uni, du Mexique, du Kenya, de l’Albanie et des Émirats-Arabes-Unis. Cette dénonciation indexe le gouvernement haïtien et l’invite à prendre action contre cette situation. Pourtant, le Conseil de Sécurité des Nations Unies, par l’intermédiaire du BINUH, est essentiellement et organiquement partie prenante de la situation. Il est co-responsable de ce qui se passe au pays, pour avoir appuyé le gouvernement en place et cautionné son maintien au pouvoir, malgré les dérives qu’il dénonce, hypocritement.

Malgré tout, cette exposition internationale négative effleure à peine la surface du palmarès des histoires d’horreur qui ont cours au pays. La totale insensibilité de ce gouvernement envers ces problèmes n’a d’égale que la grande imposture de la Communauté Internationale qui, aujourd’hui, dénonce, blâme et condamne une situation qu’elle a aidée à créer et qu’elle dit vouloir corriger, tout en maintenant, aujourd’hui encore, des positions qui n’y contribueront nullement. Dans les rapports de forces, pour infléchir le plateau dans un sens ou dans l’autre, il faut mettre son poids dans la balance, dans un sens ou dans l’autre, surtout lorsqu’on détient le pouvoir de décision. La situation en Haïti est ce qu’elle est, en raison de l’appui tacite ou diffus de la Communauté Internationale au maintien de ce gouvernement au pouvoir. C’est cette Communauté Internationale qui fut largement responsable, par son intransigeance, de l’élection de Jovenel Moïse, tout comme ce fut le cas pour l’élection, auparavant de Michel Martelly. C’est cette même Communauté Internationale qui a cautionné l’absence d’élections à tous les niveaux, durant toute la présidence de Jovenel Moïse, jusqu’à son assassinat, et qui s’émeut aujourd’hui de l’absence d’élus pour renouveler le leadership haïtien. C’est cette même Communauté Internationale qui avait pourtant aisément imposé ses points de vue au Président Aristide, en janvier 2004, par l’intermédiaire de son émissaire canadien, en la personne du ministre canadien, Denis Coderre, pour finir par l’exil forcé en Afrique le 29 février 2004, de ce président qui avait été dûment élu. Aujourd’hui, il lui répugne de dicter à sa créature qu’elle a imposée à la Primature, quelle que concession que ce soit, pour aboutir à cet accord entre les élites politiques haïtiennes, pour sortir le pays de cette crise interminable.

Sous les regards du monde entier, notre pays va continuer à s’enfoncer dans cette spirale infernale, jusqu’à provoquer une catastrophe régionale. Ce n’est qu’à ce moment que la Communauté Internationale comprendra la profondeur de nos misères. Pour le moment, elle est encore au stade d’expérimentation de concepts de déconstruction de nations, en vue de leur éventuel reformatage social, économique, politique et culturel. Elle continuera avec son expérimentation, tant qu’elle pourra isoler les effets de ses expériences dans le creuset de son laboratoire, tant qu’elle pourra mitiger les effets et les contenir dans les paramètres locaux. Elle pourra ensuite exporter à sa guise ces concepts qui auront fait leur preuve sur le terrain haïtien, ailleurs, vers d’autres espaces à déstructurer et à reformater, tant que cela ne parvient à ses rives, tant que la déstructuration opérée ailleurs n’aura que peu d’impact chez elle ou ne lui est que profitable, au total, un peu comme en Lybie, un peu comme en Irak. Et, pourquoi pas en Haïti, également?

Une certaine expérimentation de «nation building» en Haïti se poursuit allègrement et sans relâche, depuis déjà longtemps. Et nous n’en sommes malheureusement qu’à la phase de déconstruction globale initiale. Jusqu’à présent, cette expérimentation n’a entamé qu’en périphérie, en surface, notre identité de peuple. Mais notre résistance n’est pas inébranlable et est actuellement soumise à rude épreuve. Le reformatage suivra, éventuellement, si jamais nous survivons, en tant qu’entité viable, au traitement de choc que nous subissons actuellement, ou bien si jamais nous ne reprenons pas le dessus pour affirmer tout simplement notre contrôle sur notre destin de peuple, finalement. Tout pourrait se jouer là, maintenant.

Pierre-Michel Augustin

le 26 juillet 2022 

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