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Quand l’exemple vient de El Salvador… (Le Sauveur)?

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S’il y a un pays dans les Amériques qui a beaucoup souffert de la violence des gangs armés, c’est bien la République du Salvador. C’est un petit pays d’Amérique Centrale qui, à bien des égards, est comparable au nôtre. Les superficies de territoire sont comparables : 21 041 km2 pour El Salvador, versus 27 785 km2 pour Haïti. Comme en Haïti, le Salvador est infesté de gangs armés qui rendent la vie impossible aux paisibles citoyens. Le nombre de membres de gangs actifs au Salvador est estimé à 70 000 personnes. En Haïti, la Commission Nationale pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion (CNDDR) estimait à 76, le nombre de gangs armés opérant sur le territoire national, en mai 2019, sans une estimation quant au nombre de leurs membres. Mais ces données sont devenues obsolètes, depuis lors. En 2021, on estimait déjà le nombre de gangs armés actifs sur le territoire haïtien à environ 177. Rien qu’à Port-au-Prince, il en existait environ une trentaine dont les 9 principaux, regroupés sous le vocable de G-9 an fanmi e alye, sous le commandement d’un ancien policier, Jimmy Chérisier, alias Barbecue, révoqué de la PNH sous le coup de plusieurs accusations criminelles graves, mais il chapeauterait également une vingtaine de plus petites organisations criminelles, éparpillées dans la capitale. La violence qui règne, au Salvador comme en Haïti, a fait que ces deux pays sont catalogués comme des destinations à éviter, sauf pour situation d’absolue nécessité, par les services des Affaires Étrangères du Canada, de la France et des États-Unis. Et pour cause, car le taux actuel de criminalité au Salvador est de 87,5 et est considéré comme très élevé, tandis que celui d’Haïti, à 79,99, est considéré comme haut, selon un tableau réalisé et publié par Numbeo.

Je sais qu’il est toujours délicat d’établir des comparaisons entre des phénomènes sociaux se déroulant dans des sociétés différentes, même si certaines similarités peuvent être mises en évidence. Néanmoins, il est parfois intéressant de comparer les réponses qui y sont apportées et les résultats obtenus par la suite, afin de juger de la pertinence de leur application dans l’une et dans l’autre société. Ce qui est applicable au Salvador pourrait ne pas l’être du tout en Haïti, et vice versa. Toutefois, il demeure important de comparer les démarches entreprises dans l’une et dans l’autre société et d’évaluer ensuite les résultats obtenus, afin de déterminer leur efficacité respective.

Tout d’abord, au Salvador, le gouvernement du Président Nayib Bukele a fait voter, par le Parlement acquis à sa cause, une loi d’urgence pour une période de 30 jours, le 28 mars dernier, après une poussée de criminalité cumulant à 62 meurtres en 24 heures. Des restrictions importantes ont été apportées aux libertés civiles. Des dispositions strictes ont été adoptées dans les centres de détention, et des pouvoirs élargis ont été consentis aux forces de police et à l’armée, pour prendre le contrôle de la situation de sécurité publique, lourdement menacée. Les résultats ne se sont pas fait attendre. En 24 heures, plus de 600 membres de gangs ont été arrêtés. En moins de deux semaines, la police a procédé à l’arrestation de 9126 présumés bandits. Sur un total estimé de 70 000 membres de gangs, plus de 25 000 sont actuellement en prison et feront face à de longues condamnations pénitentiaires, de l’ordre de 9 à 45 ans de prison. Dans la foulée, l’état d’urgence décrété ne fait pas que des heureux car il brime considérablement certaines libertés civiles pendant la durée de son application (30 jours). Par exemple, «il restreint la liberté de réunion, l’inviolabilité de la correspondance et des communications, et autorise les arrestations sans mandat». Cette disposition attire au gouvernement de El Salvador les foudres de certains gouvernements étrangers, américain notamment. L’organisation de défense des droits humains: «Human Rights Watch», suit avec inquiétude la situation critique du niveau de criminalité. Néanmoins, elle estime qu’«il est urgent que le gouvernement protège la population avec des mesures durables qui respectent les droits de l’homme. La politique de sécurité doit toujours s’inscrire dans le cadre de l’État de droit», mentionne-t-elle. Toutefois, pour le moment du moins, la population semble se ranger fermement du côté du gouvernement et appuie largement les mesures en cours. Celles-ci semblent donner les résultats escomptés et cassent, de façon significative, l’escalade constatée dans la violence et la criminalité galopante dont la population faisait les frais, en général.

En Haïti, la situation de criminalité, constatée ces derniers jours, est assez similaire à celle dénoncée au Salvador et qui a incité le gouvernement de ce pays à décréter l’état d’urgence. Dans son rapport publié le 30 mars dernier, la Cellule d’Observation de la Criminalité (COC) du Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH) déclare avoir recensé 225 kidnappings pour le premier trimestre de 2022 contre 142 pour celui de 2021. C’est une augmentation de 58,45%, en comparaison aux chiffres compilés pour la même période, l’an dernier. Néanmoins, en Haïti, cette mesure d’urgence n’est pas envisagée. Et, même quand ce serait le cas, les résultats qui en découleraient ne seraient pas nécessairement aussi favorables. Souvenons-nous, l’an dernier, la police avait tenté un coup de force à Cité-de-l’Éternel, au Bicentenaire. Le résultat fut un fiasco total de la part des forces de police qui ont abandonné, sur le terrain, les cadavres de policiers abattus par les bandits, en plus de la carcasse du simili blindé qui leur servait de véhicule. Il a été évoqué, à défaut d’être documenté pleinement, que la mèche avait été vendue par les politiques d’alors et aussi par des hauts gradés de la police qui entretiendraient des liens de connivence, sinon de complicité, avec les gangs, en retour de faveurs divers. De sorte que ceux-ci, pleinement informés à l’avance de l’imminence de l’opération policière et même de ses plans précis, étaient parfaitement préparés pour repousser l’assaut dont l’effet de surprise n’était plus de mise. Aujourd’hui, on assiste à une certaine velléité de la PNH, de prendre un tant soit peu le contrôle de la situation, au moyen de certaines actions ponctuelles et de réactions plus ou moins énergiques. Cela a permis d’assister à la capture de quelques brigands, pris sur le fait, et même à la mort de certains d’entre eux qui se sont hasardés dans des échanges de tirs avec des patrouilles qui se font un peu plus visibles. Mais s’agit-il de l’application d’un plan quelconque de la Police, d’une stratégie visant à effectivement contrecarrer et à mettre les bandits en échec ou d’une simple réaction passagère, inarticulée, répondant au hasard de circonstances fortuites, mettant en présence des forces de police déployées de façon aléatoire et qui, à l’occasion, risquent de tomber face à face avec quelques petits bandits, à la marge, tentant un quelconque coup d’audace?

En tout cas, cela n’a pas semblé refroidir les ardeurs de certains gangs, bien mieux organisés, qui continuent à rançonner la population, à kidnapper des citoyens et à opérer des braquages un peu partout sur le territoire, mais tout particulièrement dans la grande région métropolitaine. La population, aux abois, adresse des appels à l’aide aux autorités en place. Des manifestations publiques s’organisent pour réclamer des actions de leur part, pour briser le règne de la terreur qui s’abat, pas si indiscriminément que cela, sur certains secteurs de la population. Les membres de la basoche ne réclament pas la sécurisation du Palais de Justice au Bicentenaire. Ils savent que ce serait en pure perte. Ils en demandent alors la relocalisation dans un quartier plus ou moins sûr, comme si cela existait vraiment, comme si cela leur épargnerait vraiment d’être victimes, à leur tour, d’une violence pas si aveugle que cela, après tout. Une autre initiative de la société civile s’est penchée de façon plus structurée sur la question, en organisant un symposium sur la situation de la sécurité publique, pour proposer quelques idées aux membres de ce gouvernement, définitivement en panne à ce niveau, sur cette question comme sur bien d’autres, d’ailleurs. Alors, aux grands maux, les grands remèdes, et pas seulement quelques gros mots, éructés çà et là sur quelques podiums, à chaque grand élan d’éloquence. Pour Jean Robert Charles, le Président de la Conférence des Recteurs et des Présidents d’Universités en Haïti (CORPUHA), il faut envisager de réinstaurer la PEINE CAPITALE pour combattre le grand banditisme qui menace toute la société haïtienne, rien de moins. Et pour cela, il faudrait revisiter la Constitution, pour l’y inscrire, car, aujourd’hui, il y a péril en la demeure haïtienne.

Cependant, ce ne serait pas aussi simple que semble le penser le Président de la CORPUHA. Haïti étant signataire de conventions internationales qui le lui interdisent, notamment, la Convention de Chicago, elle aurait bien de la difficulté à s’en extirper, sans beaucoup de tracasseries internationales, pensent certains experts dans le domaine. On s’imagine des fonds d’aide gelés, des sanctions diverses, appliquées à un pays déjà exsangue. Pas facile du tout de prendre ce taureau par les cornes, comme le fait aujourd’hui El Salvador. Néanmoins, la solution pourrait être beaucoup plus simple que la modification constitutionnelle envisagée. L’État d’urgence, s’il était décrété pour un mois, renouvelable au besoin, accorderait aux forces de l’ordre plus de latitude dans la traque et la lutte impitoyable à mener contre les membres des gangs et leurs complices de tous ordres. De l’avis de certains experts, le Colonel Himmler Rébu, pour un, les forces de l’ordre disposeraient actuellement de suffisamment de moyens pour mener une lutte conséquente aux bandits, si elles s’y attelaient résolument, d’une part, et si, d’autre part, elles pouvaient être sûres de compter sur l’appui indéfectible de la population et des autorités politiques en place. Pendant cet état d’urgence, quelle que soit la personne prise en flagrant délit d’un crime grave, comme la tentative de vols à main armée, de kidnapping, de détournement de véhicule ou de meurtres crapuleux, elle devrait être poursuivie sans relâche avec toute la force nécessaire, y compris la force létale, si elle refuse d’obtempérer à un ordre exprès, en provenance d’une autorité policière clairement identifiée. Et tous les complices de ces individus ou qui leur prêteraient volontairement une quelconque assistance, devraient être passibles de lourdes et sévères condamnations, quels que soient leur statut, leur rang, leur notoriété et leurs occupations. Investis de ces pouvoirs accrus et dotés de moyens logistiques, techniques et financiers additionnels que semblent vouloir mettre à la disposition de la PNH, les gouvernements du Canada, des États-Unis et de la France, pour combattre ce fléau, on devrait pouvoir lui assigner des résultats quantitatifs (nombre de bandits maîtrisés et de secteurs pacifiés, d’une façon ou d’une autre, prioritairement, dans les quartiers stratégiques et périphériques de la capitale) et ce, dans un délai établi. À défaut de cette aide étrangère annoncée ou si celle-ci était assortie de conditions par trop paralysantes, un peu comme l’avait fait le Président Privert, il faudrait user d’intelligence pour tout simplement s’en passer et recourir à nos propres moyens, quitte à utiliser contre eux, ceux dont les bandits et leurs complices se sont accaparés. Au demeurant, un bandit armé, qui refuse d’obtempérer à un ordre clair de la police de déposer son arme, constitue une menace évidente pour cet agent de l’ordre et, ultimement, pour la société entière. Il convient donc à l’État, et plus spécifiquement aux agents de l’ordre, préposés à cet effet, d’assurer la protection du public, par tous les moyens raisonnables à leur disposition, y compris, en dernier recours, par l’utilisation de la force létale, si absolument nécessaire, selon leur jugement professionnel.

L’exemple du Salvador tend à nous démontrer que, lorsqu’un bandit, lorsqu’un criminel, même invétéré, se trouve devant une force qui lui est supérieure et qui est appuyée par l’État et par la population dans sa grande majorité, il a plutôt tendance à déposer les armes et à obéir à la Loi. Il rentre dans les rangs, plutôt que de finir entre six planches, si c’est bien cela, les choix qui s’offrent à lui. Aucun politique, aucun professionnel, pas même un parent ne voudra lui prêter assistance, non plus, s’il est sûr d’encourir l’opprobre publique, en plus d’un emprisonnement durablement inconfortable. Si les fruits de ses rapines lui seront confisqués en plus par l’État, par la force publique, pour s’en servir contre lui et à ses dépens, à quoi bon alors s’adonner à ce travers dangereux. À coup sûr, c’est le calcul que fera la grande majorité de ces malfrats qui comptent généralement sur la passivité de nos forces de l’ordre, sur le laxisme de notre système judiciaire et sur la complicité ou l’incompétence crasse de nos dirigeants, pour prospérer et persister dans le crime. Oh, il y aura bien quelques écervelés, quelques téméraires à vouloir tenter le tout pour le tout, en risquant d’éparpiller sur la chaussée, le peu de matière grise qu’ils mettaient à mauvais usage, en escroquant, en rançonnant et en martyrisant les honnêtes citoyens autour d’eux. Eh bien, mal leur en prendra cette fois-ci, lorsqu’ils auront frappé leur Waterloo, et ce sera tant pis pour ceux-là qui auront bravé, à leurs risques et périls, la ferme résolution, de l’État et de la société, de résoudre le problème d’insécurité publique, comme c’est leur devoir de s’y appliquer.

Il viendra ensuite le temps d’essayer de savoir pourquoi on en était rendu là, le temps de recoller les morceaux, ceux-là qui sont encore récupérables, pour continuer à construire un pays vivable pour nous tous. Mais le temps de la réhabilitation ne précède jamais celui du traitement d’abord et celui de la guérison ensuite. Cette plaie sociale qui nous afflige devra être dûment traitée, avec les moyens à notre disposition. Après, lorsque nous en serons guéris, lorsque nos grands malades auront réappris, à la dure, à vivre en société, sans s’en prendre à leurs semblables, sans remettre en cause la sécurité de ceux-ci, leur bien-être physique et sans vouloir s’approprier les biens que ceux-ci ont gagnés à la sueur de leur front, au prix de labeurs souvent mal rémunérés, alors l’État pourra revenir à plus de mansuétude, à plus de civilité, au respect intégral de tous les droits inaliénables auxquels nous avons tous souscrit mais dont nous sommes aujourd’hui tous privés, en raison de la criminalité des uns, de la complicité des autres, de la passivité et de la complaisance de nous tous. L’État doit prendre sur lui de sonner la fin de cette situation, car autrement, c’est la population qui le fera alors, sans balises, sans normes et sans garde-fou. De trois maux, il faut maintenant choisir le moindre, même s’il nous en coûte, de le faire. Sans quoi, je vous laisse le soin d’imaginer le reste.

Pierre-Michel Augustin

le 12 avril 2022

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