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Les changements de cap et leurs conséquences potentielles

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Ces derniers temps, les mauvaises nouvelles se bousculent aux portes du gouvernement de Jovenel Moïse et du Dr Claude Joseph. Les observateurs peuvent se rendre compte du réalignement progressif et de plus en plus généralisé qui s’opère sur la scène internationale et, qui mieux est, de la part de pays importants ou d’instances influentes sur l’évolution de la scène politique en Haïti. Aussi assiste-t-on à des contorsions spectaculaires de certains acteurs politiques locaux pour se mettre en phase avec la nouvelle donne internationale qui se dessine. Ils veulent être en bonne position pour surfer sur la déferlante qui s’en vient et dont les bourrasques annonciatrices se font de plus en plus évidentes et pressantes, pour saisir «La Chance qui passe», comme dirait feu le professeur Georges Anglade.

Jusqu’à la fin du mois d’avril, l’idée du projet de réaliser un soi-disant référendum constitutionnel semblait tenir la route, tant bien que mal. Sur un électorat d’environ 7 millions de personnes, il n’y aurait qu’environ 4 millions réputés enregistrés (et encore !) selon un nouveau registre national, lui-même contesté et décrié. Mais le processus était encore en marche-avant et on fonçait tête baissée vers la ligne d’arrivée, le 27 juin prochain. On avait beau protester et vitupérer sur toutes les gammes en Haïti, mais rien n’y faisait. Le Président en avait ainsi décidé, alors le Référendum aurait lieu, tel que le voulait Son Excellence.

Peu à peu, les fissures se sont mises au grand jour. L‘Union Européenne a pris ses distances de ce projet. Les USA également. Le CORE Group aussi. Et, depuis lors, le gouvernement commence à apporter des bémols à son phrasé référendaire. Désormais, il ne lui serait plus impossible de surseoir à son projet de référendum, ni d’ailleurs aux prochaines élections cédulées pour la fin de cette année, dixit le P.M. ad intérim, Le gouvernement jongle avec tout. Ce sont des repositionnements importants et il conviendrait d’en comprendre pleinement les raisons qui les soutiennent et d’anticiper la suite des choses, pour l’avenir.

En ce qui concerne la prise de position officielle de l’Union Européenne sur les dossiers référendaire et électoral du pays, cela faisait déjà quelques temps que l’on pouvait la voir venir. Des signaux étaient envoyés, de façon diplomatique, certes, mais on pouvait lire entre les lignes que l’Union Européenne était inconfortable avec la procédure retenue par le gouvernement, pour réaliser ces projets. Bien sûr, elle souhaitait des réformes à notre Constitution et, par-dessus tout, elle souhaitait voir sauter certains verrous qui y sont enchâssés et qui ne livrent pas un accès total à la propriété du sol et du sous-sol du pays à ses ressortissants et à leurs entreprises. Mais, sans un appui populaire, sans une onction de légitimité constitutionnelle, il était clair pour l’Union Européenne, en général, que ce projet de Constitution bâclée ne serait pas viable, à moyen ou long terme. Alors, elle a lâché du lest et a fait faux bond à son poulain.

Pour les États-Unis, le virage a pris plus de temps à s’articuler. D’ailleurs, il n’est pas encore tout à fait clair. Cela dépend encore de la personne qui s’exprime sur le dossier d’Haïti. Néanmoins, le cap semble changer tranquillement. C’est que, l’administration américaine, c’est tout un paquebot à piloter ! Les déclarations encore récentes de Mme Julie Chung, Secrétaire adjointe au Département d’État, laissent perplexe et semblent maintenir une continuité dans la politique américaine par rapport à Haïti. Elle soulève des questions relatives à une alternative politique (un gouvernement de transition) qui, de son point de vue, ne cadrerait pas avec la Constitution du pays. Mais elle ignore volontairement l’inconstitutionnalité de l’actuel gouvernement qui s’accroche au pouvoir, en dépit de la fin constitutionnelle de son mandat, et qui gouverne par décrets, depuis plus de 16 mois, ce qui est également, parfaitement inconstitutionnel. Sur un autre registre, l’Ambassadrice des États-Unis aux Nations-Unies, Mme Linda Thomas Greenfield, à l’occasion de l’investiture du nouveau président de l’Équateur, à Quito, semble exprimer une désapprobation sans réserve des projets référendaire et électoral de l’actuel gouvernement, dans les conditions que nous connaissons. «Le peuple haïtien mérite le droit de choisir ses dirigeants et d’avoir un gouvernement qui les sert», a-t-elle assené au Président Moïse, entre autres vérités, dans le blanc des yeux, lors d’une rencontre privée, en marge de cette passation de pouvoir en Équateur, qu’elle a présentée comme un exemple de démocratie qu’on aurait avantage à répliquer, ailleurs dans d’autres pays de la région. Décidément, le temps des accolades de Mme Helen la Lime, Représentante Spéciale du Secrétaire Général de l’ONU, et des propos évasifs de Mme Michèle J. Sison, Ambassadrice des États-Unis à Port-au-Prince, semble être révolu, et M. Moïse pourrait avoir à rendre des comptes à ses patrons qui n’entendraient plus fermer les yeux sur certaines de ses errances.

Par ailleurs, il ne faudrait pas sous-estimer les percées récentes des démarches de l’opposition auprès de certaines élites politiques à l’étranger, notamment aux États-Unis, avec l’avènement du «House Haiti Congress», un groupe à la Chambre des Représentants au Congrès américain, qui prend à cœur d’interpeller l’actuel gouvernement du Président Biden sur l’orientation de sa politique étrangère par rapport à Haïti. «Cela devrait être un tournant dans la relation entre les États-Unis et Haïti. Il n’y a aucune excuse pour répéter les erreurs du passé. Au lieu de cela, nous lèverons et écouterons les voix haïtiennes qui doivent façonner un avenir démocratique qui servira l’ensemble du peuple haïtien, pas quelques-uns. Nous appuyons fermement une transition démocratique menée par les Haïtiens.» Telle est la mission que se donne ce groupe de législateurs américains. Cela semble prometteur, dans un avenir immédiat. Mais, c’est aux résultats que l’on pourra juger des mérites de ce groupe. Toujours est-il que le cadre des opérations, du côté américain, penche tranquillement dans un sens peu favorable pour le gouvernement haïtien qui doit en tenir compte.

Une autre des décisions osées du gouvernement haïtien est revenue également le hanter, la semaine dernière. Jusqu’au mois d’avril, Haïti profitait d’une période de grâce par rapport à ses voisins, concernant le dossier de la pandémie de COVID-19. Il est vrai que l’on ne peut pas se fier entièrement aux statistiques publiques sur l’impact de cette maladie en Haïti, mais, tout compte fait, il est clair que nous avions été passablement épargnés par le coronavirus. L’hécatombe qui avait été appréhendée, l’an dernier, ne s’était pas vraiment matérialisée, fort heureusement pour nous. Mais nul n’en sait la cause véritable. On a juste constaté le fait, de façon empirique. Et cela avait suffi au gouvernement. L’Organisation Mondiale de la Santé avait même félicité Haïti pour sa gestion de ce dossier. Récemment, on avait pris la liberté de fermer certains centres de traitement dédiés spécifiquement aux cas de COVID-19. Mais le virus est comme un caméléon. Il se transforme et s’adapte à ses nouveaux milieux et à ses nouveaux hôtes locaux. De sorte qu’aujourd’hui, des nouveaux variants semblent faire des ravages au pays, depuis quelques semaines. Le gouvernement avait récemment levé le nez sur une offre de 765 000 vaccins qui lui était proposée gratuitement par l’OMS, à la grande stupéfaction de cette institution. En fait, Haïti voulait dicter ses préférences. Le gouvernement haïtien désirait obtenir des vaccins Johnson & Johnson et vacciner toute la population avec une seule dose. Dans un monde idéal, ce serait merveilleux de pouvoir choisir son vaccin à la carte et sans bourse délier. Mais le monde actuel est loin d’être l’idéal rêvé par M. Moïse et le gouvernement haïtien. Et, «à cheval donné, on ne regarde pas la bride», dit-on. Maintenant que des notables commencent à tomber, le gouvernement haïtien, après avoir tenu de nombreux évènements avec un fort potentiel de propagation de cette maladie, comme le carnaval, sans masque, sans distanciation physique, se retrouve à demander son lot de vaccins gratuits qu’on lui avait offerts mais qu’il dédaignait recevoir. S’il avait agi avec clairvoyance et diligence, peut-être aurait-il déjà reçu au moins une partie de la cargaison et aurait entamé une campagne de vaccination pour protéger les membres les plus vulnérables de notre société. En cela, il aurait pu suivre l’exemple de son voisin dominicain dont la campagne de vaccination a commencé le 24 février dernier, avec l’arrivage de 768 000 doses du vaccin chinois Sinovac qu’il s’est procuré, à ses frais, et qui font partie d’un contrat d’achat de 21 millions de doses de vaccin AstraZeneca, Pfizer et Sinovac qui lui serviront à vacciner la totalité de ses 10,6 millions d’habitants, d’ici la fin de cette année. Toute une différence de perspective, n’est-ce pas?

Mais, assez d’apitoiement sur nos déboires et regardons vers l’avant, vers l’après Jovenel qui arrivera tôt ou tard, peut-être bien plus tôt qu’on pourrait le penser. À cet égard, les questionnements de Mme Chung ont ce mérite de nous forcer à réfléchir à certaines perspectives. Par exemple, qu’adviendra-t-il de la kirielle de décrets pris illégalement par les gouvernements de facto de Jovenel Moïse, depuis janvier 2020, considérant les dispositions constitutionnelles qui n’autorisent aucune gouvernance par décret, sans exception ? Dans des circonstances normales, surtout dans des pays normaux, les mesures législatives (lois, décrets) sont assujetties à la Constitution nationale, sans quoi, elles peuvent être déclarées «ultra vires» et sont susceptibles d’être tout simplement révoquées ou invalidées, à moins d’être ratifiées, par la suite, par une législature qui les adopterait une à une, au cas par cas. Par ailleurs, quelles seraient les sanctions encourues par les détenteurs du pouvoir actuel qui ont usurpé leurs titres pendant la durée de leur exercice de facto du pouvoir? Le peuple haïtien et les autorités légitimes du pouvoir politique pourraient-ils désavouer tout contrat signé par ces contrevenants, se dégager de toute responsabilité civile ou financière pour des engagements pris par ces contrevenants auprès d’entreprises ou des pays étrangers qui auraient dû savoir l’illégitimité de leur statut et leur disqualification, à cet égard? Par exemple, le contrat pour 127 millions de dollars, signé en août 2020 avec General Électrique, pour la production d’électricité à Carrefour, malgré l’opposition de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA), pourrait-il être déclaré invalide, sans préjudice ni dédommagement de l’État haïtien à l’endroit de cette compagnie dont le département juridique aurait dû savoir que la compagnie s’engageait avec des autorités qui n’avaient aucune légitimité pour ce faire?

Au-delà des questionnements juridico-constitutionnels de Mme Chung, je vois plutôt des réflexes de protection d’intérêts vénaux d’entreprises américaines, selon l’évolution du cours des choses. Un gouvernement de transition, qui contesterait la légalité de tous les actes administratifs et contrats signés par un gouvernement illégal et qui ne se considérerait pas lié par ceux-ci, bouleverserait passablement la toile d’araignée de connivences et de complicité qui ont permis l’avènement et l’incrustation de ce pouvoir mafieux à la tête du pays. Si Haïti parvenait à forcer les pays, les administrations étrangères, les entreprises internationales, à fonctionner dans le cadre de la loi et à encourir des pertes significatives, parce qu’ils ont contracté, par ignorance ou par aveuglement volontaire, avec des autorités illégitimes, le monde entier, particulièrement les petits pays qui sont les proies de la convoitise de ces entités, ne s’en porterait que mieux. À l’avenir, ces vautours feraient bien attention de valider la légitimité des parties prenantes dans la négociation de leurs contrats ou de leurs prêts, avant de s’engager formellement et d’investir leurs fonds et leurs ressources diverses. Mais jusqu’à présent, l’impunité internationale a toujours favorisé ces pays et ces entreprises internationales à s’engager tête baissée, dans n’importe quelles conditions ou situations politiques, assurés qu’ils sont de pouvoir compter sur leurs forces politiques ou militaires pour contraindre ces peuples à accepter d’honorer, par la suite, des mauvais contrats que des gouvernements croupions leur avaient imposé, aux fins de s’enrichir à leurs dépens, sans obtenir les services et les infrastructures pour lesquels ils ont été extorqués.

Je garde l’œil ouvert et l’esprit en éveil, en espérant que les changements de cap des grands amis d’Haïti, par rapport aux projets de Jovenel Moïse, se concrétisent enfin en leur rejet pur et simple et au départ de Jovenel Moïse du pouvoir. En ce qui concerne la grande majorité du peuple haïtien, de ses institutions et des structures organisées du pays, Jovenel Moïse n’est plus le Président légitime d’Haïti, depuis le 7 février 2021. En conséquence, tous les actes que lui et son gouvernement posent, à partir de cette date, pourraient être déclarés invalides par le prochain gouvernement constitutionnel du pays, car ils sont tous considérés «ultra vires». En effet, ils excèdent l’échéance du mandat qui lui avait été accordé et les pouvoirs qui lui sont reconnus par la Constitution de 1987 amendée, encore en vigueur. Il en est de même pour tout nouveau contrat signé sans approbation du Parlement, parce que rendu caduc depuis janvier 2020. Il s’ensuit que les administrations publiques, les entreprises nationales ou internationales, qui contractent avec ce gouvernement de facto et inconstitutionnel, pourraient le faire à leurs risques et périls, sans préjudice aucun pour le peuple haïtien, en raison du désaveu public d’un tel gouvernement qu’il a maintes fois manifesté. Son désengagement unilatéral de ces contrats à caractère léonin, ne pourrait pas alors lui être reproché par les parties qui ont été complices de cette forfaiture du gouvernement illégitime du pays. M’est avis qu’elles ne pourront pas non plus plaider l’ignorance, malgré toutes les protestations publiques et toutes les prises de positions internationales dont la situation d’Haïti a fait l’objet, ces dernières années. De toute façon, nul n’est censé ignoré la loi-mère, surtout pas celles et ceux qui veulent tirer profit de cette feinte ignorance.

Pierre-Michel Augustin

le 25 mai 2021

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