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En Haïti, les manifestations pacifiques monstres de l’opposition ne bougent pas, d’un iota, les lignes politiques

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Chaque fois que quelqu’un a eu l’outrecuidance de mésestimer sa détermination, ce peuple a toujours trouvé une façon bien à lui de lui souligner son erreur. Quelqu’un, dans un passé pas trop lointain, qui s’était frotté à sa fronde, en la sous-estimant grossièrement, avait fait allusion à une minorité «zuit». Eh bien, mal lui en avait pris, assez pour qu’il ait fini par quitter le pouvoir pour un exil de 6 ans. Un autre avait même défié ce peuple, lui rappelant qu’il tenait ferme le pouvoir, contre vents et marées, plus ferme que la queue du macaque, disait-il, dans un langage qui se voulait coloré. Lui aussi avait fini par décamper, à la cloche de bois, aux petites heures du 7 février 1986, pour éviter une effusion de sang encore plus grande que celle qui s’ensuivit. Et ce n’est pas d’aujourd’hui que cela arrive. On ne perd rien pour attendre. Plus on compresse le ressort, plus sa détente est violente et plus il risque de rebondir en pleine face de celui qui n’a pas su le relâcher à temps et avec précaution. Mais on dirait que l’on ne retient pas cette leçon. Il faut, à chaque fois, la réapprendre, à la dure…

Ce dimanche 28 février 2021, à l’appel des autorités des Églises protestantes, la population haïtienne, à travers les rues de la capitale et de nombreuses artères des villes de province, a exprimé sa condamnation des kidnappings et des meurtres qui se perpètrent un peu partout, dans l’indifférence totale des autorités du pays qui ne se donnent même plus la peine de feindre un certain intérêt, une certaine indignation, une révolte constructive qui pourrait être un début de correction du problème. Une marée humaine avait envahi les rues pour dire non au viol de la Constitution par un Exécutif qui parjure son serment d’allégeance à cette loi-mère et qui veut la défigurer et la vassaliser pour servir ses intérêts. Elle a crié, à tue-tête, sur tout son parcours, son rejet pour ce gouvernement, ce président renégat. Et tout cela, sans violence, sans heurt, sans casse. PACIFIQUEMENT. Toutes les instances de l’opposition, toutes les chapelles politiques qui n’arrivent pas toujours à accorder leur violons pour entonner ensemble un hymne au changement radical, s’étaient unies, pour l’occasion, pour faire mentir Mme Helen Meagher La Lime qui, dans son rapport au Secrétaire Général des Nations Unies, n’avait compté que quelque 3 000 manifestants opposés au gouvernement, une autre «minorité zuit», quelques rares récalcitrants à un changement auquel aspirerait une large majorité silencieuse. Un changement pour le mieux, pour le progrès et pour la démocratie, en passant, sans doute, par les routes détournées de la dictature qui nous siérait beaucoup mieux que celles des règles et des conventions de droits démocratiques, plus ou moins universellement reconnus.

Pour cette fois, le gouvernement avait tenu compte de la semonce que plusieurs de ses supporteurs, même parmi les plus affirmés, lui avaient adressé, à mots couverts ou carrément, sans aménité. Pour cette fois, la Police n’avait pas fait usage de ses bonbonnes de gaz lacrymogène contre la foule immense, ni de ses balles réelles, ni de ses balles en caoutchouc non plus. Il faut dire aussi que, ce faisant, elles auraient pu déclencher des réactions de cette foule immense qu’elle aurait de la difficulté à contrôler, une fois engagées. Un mouvement de foule, on sait quand et parfois comment cela commence, mais pas toujours comment ni quand cela finira. Et quand la piétaille s’abat sur un objectif, elle ne fait souvent pas de distinguo entre ceux et celles qui se trouvent sur son chemin. Les gentils et les méchants, le bon grain et l’ivraie, tout passe dans le tordeur. C’est comme les abeilles dont on a trop taquiné une ruche ou comme les eaux du torrent qui dévalent les pentes le long d’une ravine asséchée, plus souvent qu’autrement. Alors, gare à ceux qui se trouveront sur leurs routes, peu importera leur allégeance. Innocents et coupables risquent de se retrouver logés à la même enseigne et d’écoper des mêmes rigueurs.

Mais il est à espérer que Mme La Lime aura pu compter, cette fois-ci, au-delà de 3 000 pour évaluer le nombre de manifestants qui marchaient ce dimanche pour dire non à Jovenel Moïse et à ses appuis étrangers et locaux. Car ceux-là étaient nombreux, très nombreux, cette fois-ci, à fouler le macadam pour dire non à Jovenel, à ses projets et à son incompétence crasse.

Parlant de son incompétence crasse, si le monde entier en avait encore besoin juste d’un aperçu, les ambassadeurs qui ont pris part à cette réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU, le 22 février dernier, en ont eu toute une démonstration. Notre rigolo d’ex-président, qui s’imagine investi de tous les talents du monde, avait cru pouvoir jouer le rôle de diplomate de haute voltige, sans en connaître les moindres rudiments. Le voici donc qui s’est jeté à l’eau sans aucune préparation dans cette arène. Il a mangé alors toute une déculottée, semble-t-il, au grand embarras de ses tuteurs et de ses maîtres à penser locaux qui n’ont pas su ou qui n’ont pas essayé de le dissuader d’entreprendre cette aventure. Si Graham Greene revisitait son film: «Les Comédiens», il le rebaptiserait aujourd’hui: «Les Bouffons», car la comédie est un art en soi, mais la bouffonnerie, c’est une autre histoire. Aussi, c’est sans ménagement aucun, que l’ambassadrice Barbara Woodward, représentante du Royaume-Uni au Conseil de Sécurité, qui en assurait la présidence rotative, en ce mois de février, a rappelé à l’ordre notre apprenti diplomate au long cours, alors qu’on lui avait accordé 5 minutes de présentation et qu’il continuait à discourir, comme si de rien n’était, depuis plus de 25 minutes d’horloge, paraît-il. Se faire rabrouer par ses pairs, ses homologues, c’est déjà assez ennuyeux. Mais se le faire dire par des subalternes en rang, c’est une honte ultime, une gifle dont on n’avait pas vraiment besoin. Et pendant que notre ex-président, diplomate d’un jour, improvisait quelques réponses décousues et en contradiction notoire avec ce que le rapport de Mme La Lime, pourtant son alliée, venait d’attester comme conditions documentées sur le terrain en Haïti, il fut surpris de se voir contredire par d’autres ambassadeurs dont notamment celui de la Chine, de la France et de la Russie qui n’ont pas manqué d’ajouter à sa déconvenue. Sa roublardise habituelle ne lui a pas bien servi, cette fois-ci. Et on n’a pas manqué de lui signaler, diplomatiquement, qu’il y avait des limites à dire n’importe quoi au reste du monde.

Mais avec tout cela, les lignes politiques ne semblent pas avoir bougé d’un iota. Le mot d’ordre de Washington est resté le même. Du Canada, également. La crise appréhendée dans les relations avec la République Dominicaine, en raison du kidnapping de deux de ses citoyens sur le territoire haïtien, alors que leur convoi était escorté par des véhicules de la police, s’est apaisée, fort heureusement. Les cinéastes dominicains ont été libérés par leurs ravisseurs. Mme Magalie Habitant, celle qui avait été indexée, il y a deux ans, dans l’équipée des mercenaires américains arrêtés à Port-au-Prince, s’est retrouvée, également à jouer un rôle de premier plan dans la libération de ces otages. Notre Mata Hari locale se serait portée volontaire pour aller cueillir et transporter ces précieux colis, en lieu sûr, jusqu’à la DCPJ, à la demande, selon ses dires, de certaines instances concernées, dont elle doit taire absolument l’identité. La seule précision qu’elle s’est résignée à confirmer, c’est que ce ne serait aucune instance gouvernementale. Alors, si ce n’est pas l’État, l’instance concernée, se pourrait-il que ce soient les kidnappeurs eux-mêmes, l’autre instance directement concernée dans cette affaire, et qui voudraient se débarrasser rapidement de cette patate trop brûlante pour qu’ils la gardent plus longtemps dans leurs repaires pas si introuvables qu’on veuille nous le faire croire? La géolocalisation, par satellite et par reconnaissance topographique, n’est plus un grand secret. Nos vidéos sont aujourd’hui assez facilement localisées, juste avec quelques bons logiciels. Et nos malfrats ont eu l’imprudence, paraît-il, d’en diffuser plusieurs, montrant leurs otages en train de se laver à ciel ouvert, ou de se refaire une coiffure, par les soins d’un barbier local, et géolocalisable également.

Aujourd’hui, ce qui paraît de plus en plus évident, ce sont les liens entre l’État haïtien et les gangs qui kidnappent, qui rançonnent la population et qui tuent aussi à l’occasion. Est-il un hasard qu’un policier détaché pour la protection rapprochée d’un sénateur, se retrouve à accompagner un criminel en cavale? Est-il encore un hasard lorsque le «G-9 en famille et alliés» manifestent publiquement dans les rues en support au gouvernement, sous la protection diligente et attentionnée de la Police, la même Police qui abreuve de gaz lacrymogènes les manifestants de l’opposition et qui les arrosent de balles en caoutchouc et de balles réelles, aussi, à l’occasion? Le cas du kidnapping de Me Abdias Édumé avait fait grand bruit, les membres de la basoche ont fait campagne et ont largement publicisé sa situation. Et il a été libéré huit jours plus tard. Idem pour les Dominicains et leur compagnon haïtien, Junior Albert Augusma, dit Tinèg, mémorant à la Faculté de Linguistique Appliquée de l’Université d’État d’Haïti et dont le débriefing laborieux serait encore en cours à la DCPJ. Mais combien d’autres cas passent sous le silence des instances concernées, tout autant qu’elles sont ?

Notre Premier Ministre de facto se targuait de parler à tout le monde, y compris les bandits qui endeuillent notre société. Peut-être, puisqu’ils l’écoutent, que ceux-ci pourraient obtempérer à ses ordres, lui qui a tendance à ordonner et à se faire obéir. Peut-être aussi que les renforts colombiens qui sont venus à la rescousse de la PNH, à sa demande expresse, pour aider notre police à combattre le phénomène de kidnapping qui semble nous frapper plus fort que la COVID-19, eux qui ne connaissent ni les cachettes de Grand-Ravine, ni celles du Village-de-Dieu, pourront expliquer à nos limiers, comment traquer les lieux de repli des bandits, par GPS ou sur Google. Mais ce sera quand même trop tard pour le docteur Ernst Pady, exécuté de sang-froid devant sa clinique, ce dimanche 28 février, au clair de jour, tout comme ce sera trop tard pour le Bâtonnier, Me Monferrier Dorval, exécuté devant chez lui, il y a 6 mois. La machine de kidnapping, comme le dénonce l’ex-ministre Edwin Paraison et membre fondateur de Fondation Zile, serait en train de faire le plein de fonds pour les élections à venir, pour soutenir les alliés politiques qui la protègent et qui l’alimentent, à l’occasion. De même, Olsmina Jean-Méus, cet enfant de 5 ans, fille de Nadège St-Hilaire, kidnappée puis assassinée, le 7 février dernier, ne pourra pas non plus bénéficier du savoir des spécialistes colombiens, arrivés récemment en renfort.

Mais, entre-temps, Jovenel Moïse joue la montre. Et, en cela, il est conforté par le silence et l’indifférence de la Communauté Internationale. Celle-ci se dit «préoccupée», sans plus, de ce qui se passe en Haïti. Mais, peu à peu, les gens se rendront compte qu’ils sont bel et bien laissés à eux-mêmes, pour résoudre leurs problèmes. Et alors, aux grands mots, ils devront se résoudre à prendre les grands remèdes. Ce sera alors la seule option qui leur restera pour forcer les lignes politiques locales et étrangères à bouger un peu, pour sauvegarder leur dignité de personnes libres et préserver l’intégrité physique de celles et de ceux qui leur sont chers. Ce sera la dernière digue à élever, coûte que coûte, contre la barbarie qui avance et qui menace de les anéantir toutes et tous. Men, bat chen, tann mèt li…

Pierre-Michel Augustin

le 2 mars 2021

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