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Après la carotte, gare au bâton

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Comme il fallait s’y attendre, le miracle n’a pas eu lieu, la semaine dernière, aux assises tenues à la Nonciature, sous les bons auspices, entre autres, de Madame La Lime, Représentante Spéciale du Secrétaire des Nations Unies en Haïti et Responsable en chef du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH). Douze heures de discussions laborieuses n’ont pas permis de déboucher sur une entente quelconque entre le Gouvernement et l’opposition. Celle-ci était un assemblage de différentes tendances de l’opposition politique: des alliés du gouvernement temporairement en rébellion comme Joseph Lambert du KONA, des opposants modérés comme Paul Denis, représentant de INIFOS, une branche de INITE, ou comme Victor Benoît du Rassemblement Social-Démocrate pour le Progrès d’Haïti et même d’un opposant étiqueté « radical », comme Simon Dieuseul Desras de la plateforme PALMISTE. Les résultats attendus ne se sont quand même pas matérialisés en dépit de cette grande dilution des forces de l’opposition face au Gouvernement, lors de cette rencontre ultime. Au demeurant, le Gouvernement plastronne qu’il y a eu des avancées importantes, sans pouvoir en nommer une distinctement. Mme La Lime en est sortie désappointée et est partie dès le lendemain faire son rapport à ses supérieurs. Quant à M. Denis, il aurait tout simplement claqué la porte et laissé la réunion en plan, bien avant sa fin.

En bref, la rencontre inter-haïtienne pour convenir d’une solution négociée à la crise politique au pays a débouché sur la persistance de l’impasse. Les alertes lancées par les Agences Internationales n’ont eu aucun effet. Celles-ci se rabattent donc sur des expédients qui ne sont pas vraiment des solutions pour remédier efficacement à la situation de dénuement et de famine dans certaines couches de la population, notamment dans des quartiers de la capitale, où elles organiseraient déjà des cantines populaires pour fournir un plat chaud à des familles qui autrement crèveraient de faim. C’est de cela qu’il est maintenant question. Et cette situation toucherait environ 4 millions de nos compatriotes sur toute l’étendue du territoire. Avant longtemps, les agences et les ONG tant honnis, entre autres, par le gouvernement du pays et nos autres bien-pensants, vont sans doute rappliquer, faute d’une meilleure alternative. Elles distribueront alors des bouteilles d’eau et des plats chauds qui coûteront plus chers mais parviendront à étancher la soif et à apaiser la faim qui tenaillent nos compatriotes. Et l’on devra s’y faire, faute de mieux, faute de parvenir à contraindre le Pouvoir à entendre raison. J’appelle cela un entêtement criminel, passible de la Haute Cour de Justice, si tant est qu’elle existe et qu’elle soit fonctionnelle. Cela frise le Crime contre l’Humanité, le refus ou l’incapacité de porter assistance à des personnes en danger de mort, la négligence criminelle. Et la responsabilité première de prendre les mesures pour conjurer cette situation incombe, en tout premier lieu, au Pouvoir en place, aux responsables politiques, surtout au Président qui, aujourd’hui, concentre en ses mains, tous les leviers politiques, administratifs, financiers et sécuritaires, comme on a pu le constater depuis le 13 janvier dernier, mais également, bien avant cela.

Pour donner le change, le Président a recommencé à fredonner un refrain qu’il avait entonné l’année dernière. Pour lui, l’opposition politique, toutes tendances confondues, ne serait qu’un ramassis de délinquants, de criminels, de trafiquants de drogue et de kidnappeurs, auxquels il se refuse à abandonner le pays. Ce serait irresponsable de sa part d’abdiquer la lourde charge que lui avait confiée la majorité silencieuse qui l’avait voté à la Magistrature suprême du pays, et il entend honorer la confiance de ses commettants, même si ceux-ci changeaient d’avis, se rendant compte, sur le tard, qu’ils s’étaient lourdement trompés sur l’authenticité du pedigree trompeur de ce champion qu’on leur a vendu, à grands renforts de publicités, de promesses et de petits cadeaux de pacotille. Il dit qu’il va pourfendre ses opposants qui recourraient à la violence criminelle, qui armeraient nos enfants pour perpétrer des assassinats qui endeuillent nos familles. Comme par hasard, des prêtres sont kidnappés, frappant l’opinion publique de la hardiesse de ces criminels qui ne respecteraient plus rien, pas même la soutane du révérend. Pourtant, plus personne n’ignore la collusion évidente entre le Pouvoir et des chefs de gang. Les «Bout Janjan», les Arnel Joseph et les «Barbecue» de ce monde, personne n’ignore aujourd’hui qui étaient leurs interlocuteurs privilégiés et de quel côté allait leur allégeance. Il suffit seulement de chercher à qui leurs crimes profitent, pour remonter la trace de leurs commanditaires intellectuels. Dans ce domaine, les services d’intelligence de nos Amis internationaux ne sont pas nés de la dernière pluie. Ils sont très informés, même mieux informés que nous, de nos réalités sociales et des réseaux criminels actifs au pays. S’ils ferment les yeux et font la sourde oreille, ils ne sont pas pour autant aveugles, ni sourds. Tant que cela ne les dérange pas, ils laissent faire, tout simplement. Mais personne ne leur fera avaler les couleuvres que l’on fait circuler de nos jours. Ils savent bien, qu’à la minute où Arnel Bélizaire avait commis l’imprudence de mentionner certains intérêts dans une phrase qui paraissait vouloir être une menace, vite fait, il était embastillé, tandis qu’une cohorte de bandits et de malfrats, les armes à la main, pouvaient parader à quelques rues du Palais National, sans que rien ne se passe. C’est vous dire qu’ils savent que le Pouvoir peut effectivement mieux contrôler la criminalité rampante au pays et que, si elle persiste et fleurit aujourd’hui, c’est que cela fait bien son affaire et qu’il contrôle, en grande partie, les agissements de ces bandits.

La déception de Mme Helen La Lime va probablement avoir certaines conséquences. En ce qui a trait à l’opposition, je ne vois pas en quoi elles peuvent être pires, à part, peut-être, celle de donner tacitement ou expressément le feu vert absolu au Pouvoir, pour persécuter physiquement et pour cibler personnellement les chefs de file de l’opposition. On a déjà tiré sur Youri Latortue au Champ-de-Mars. Évidemment, le tireur avait voulu le rater, délibérément. Il avait pris le temps de le viser et de tirer vers lui, précisément, histoire de lui montrer qu’on pouvait l’atteindre, si on le voulait. De même, la tentative de le suffoquer au Cap-Haïtien ne fut pas un banal accident. D’ailleurs, il y eut mort d’homme, à cette occasion. Quant à Jean-Charles Moïse, on l’avait tellement bombardé de gaz lacrymogène dans les manifestations auxquelles il participait, qu’il en avait été sévèrement atteint, au point de devoir aller suivre un traitement à l’étranger. Depuis lors, il est un peu moins téméraire. Il est sur ses gardes et cela semble suffire, pour le moment, pour les besoins du Pouvoir. Même dans ses propres rangs, quelqu’un qui se comporte de manière un peu trop indépendante, par rapport au Pouvoir, est promptement remis à l’ordre. Souvenons-nous du notaire Jean Henry Céant, fort commodément membre d’une opposition sensée modérée et constructive, qui eut la complaisance d’accepter le poste de Premier Ministre, sans en avoir effectivement les pouvoirs ni les attributions. À la minute où il a tenté de mettre en branle le traitement du dossier PetroCaribe par la justice, il fut menacé dans son intégrité physique, dans un premier temps (c’est lui-même qui eut à le déclarer à un média étranger), pour ensuite être limogé expéditivement, par les soins de la Chambre des Députés, majoritairement alliée du Pouvoir PHTK.

Devant cet autre échec d’une énième tentative de trouver une solution à la crise en Haïti, il ne faudrait pas s’étonner de voir nos Amis internationaux, les membres du CORE Group et consorts, tenter une autre approche, un peu comme on l’avait fait avec le Général Cédras, après les pourparlers de Governors Island, lors du premier coup d’État contre l’ex-Président Aristide. Les vrais maîtres du jeu déposèrent alors la carotte pendant un temps et empoignèrent le gourdin. Généralement, il n’est même pas nécessaire d’en faire usage. Les concernés intelligents comprennent couramment ce langage et filent doux, automatiquement, surtout lorsqu’ils traînent une longue queue. Comme on le dit dans notre langue: «il est assez malaisé de sauter par-dessus les flammes, lorsqu’on est lesté d’un tel prolongement, sans sentir le roussis (traduction maison de: Bèt ak ke pa janbe dife)». Le ping-pong diplomatique et politique va alors commencer. Chacun mettra un peu du sien pour convenir d’une certaine stabilité politique et tirer ses marrons du feu, sans trop se brûler les doigts. Chacun mettra un peu d’eau dans son vin. Il faut alors faire gaffe pour qu’il n’y ait pas plus d’eau que de vin dans le mélange, au bout du compte. C’est ce qui était arrivé, finalement, au Haut État-Major des FAd’H, lors de cette dernière mésaventure dont je parlais tantôt. À l’époque, les chefs de cette institution n’avaient pas su comprendre, à temps, les subtilités de la stratégie de l’utilisation alternée de la carotte et du bâton. Et mal leur en a pris, au point que les FAd’H furent complètement sorties du paysage, pendant plus de deux décennies et qu’on peine encore aujourd’hui à les reconstituer, à la petite cuillère, et en demandant la permission à tout le monde et son père ou en forçant la note, maladroitement, pour faire avaler la potion.

Dans l’état actuel de la situation, nous serons bien obligés d’accepter l’arbitrage de l’International et de nos «Amis», pour nous dépanner. Rien que pour fournir à manger et à boire à nos compatriotes qui ne peuvent plus subvenir à ces besoins primaires, il nous faudra de l’aide. Et elle ne sera pas facile à obtenir, même si la Communauté Internationale commence, de plus en plus, à être sensibilisée à cette situation d’urgence qui est la nôtre, en raison du flot de réfugiés que l’on intercepte de plus en plus régulièrement, en haute mer, au large des Bahamas ou des Îles Turques et Caïques, à destination des États-Unis. Mais cette aide s’obtiendra, quand même, à certaines conditions qu’il faudra pouvoir négocier, sans se les faire trop imposer. Le cadre macroéconomique, dans lequel il faudra l’inscrire, devrait tenir compte de certaines réalités sociales, politiques et économiques du pays. Il y a encore, chez nous, assez de personnalités compétentes pour en tracer les grandes lignes et pour aider à les «implémenter» avec une certaine acceptation sociale. Le Pouvoir, par l’intermédiaire du Premier Ministre démissionnaire et «de facto», a déjà évoqué l’inévitabilité d’une augmentation des prix du carburant comme une fatalité inexorable, dictée par une certaine rectitude économique et financière. Il feint d’ignorer que la finalité de tout exercice politique et économique ne saurait exclure une relative acceptation sociale, garante de la tranquillité publique et du respect des règles établies. Cela exige un effort sincère, par un Pouvoir public crédible, habilité à dégager un large consensus social sur la question. Autrement, l’on court tout droit au marronage, à la non-observance des règles établies, quand ce n’est pas à un soulèvement populaire, comme ce fut le cas en juillet 2018, en Haïti. Or, il n’est plus à démontrer que ce Pouvoir n’a plus aucune crédibilité pour susciter un tel consensus sur quel que soit le sujet. D’où la nécessité absolue de le mettre au rancart et de le remplacer par un gouvernement de transition, largement représentatif des forces politiques qui animent l’échiquier politique actuel, avec une feuille de route clairement définie pour redresser la situation du pays.

Si, en plus, l’État devait respecter, à la lettre, son engagement publicisé au respect strict du Cash Management, cela voudrait tout simplement dire que celles et ceux qui n’auront rien à manger au cours des deux à trois prochains trimestres, seraient laissés pour compte, sans pouvoir être aidés par l’État. Il est à noter que cette profession de respect du Cash Management dont on se gargarise du côté du Pouvoir et que les agences financières feignent de ne pas remarquer qu’il n’en est rien, c’est tout juste de la frime, de la poudre aux yeux. Dans les faits, il n’en est strictement rien. Juste pour le premier trimestre 2019-2020, se terminant le 31 décembre 2019, la Banque de la République d’Haïti confesse avoir avancé 15 milliards 859 millions de gourdes à l’État, ce qui signifie un déficit record pour cette même période par rapport à l’an dernier au cours duquel l’avance n’était que d’environ 5 milliards de gourdes. En d’autres termes, l’État dépense de l’argent qu’il n’a pas : donc, il n’y a pas respect des règles du Cash Management. Une autre fois, le gouvernement dit une chose et en fait une autre, tout à fait différente.

Madame La Lime va donc avoir un mot important à dire, à son retour au pays. Elle sera alors porteuse d’un autre message, articulé peut-être, cette fois-ci, sur l’autre pendant qui n’est pas exactement la carotte. Bien sûr, le discours diplomatique sera atténué par les manières ampoulées habituelles. Mais, croyez-moi, les effets ne seront pas moins percutants. C’est triste à dire et surtout à constater: une autre fois, nous aurons démontré au monde que nous ne sommes pas encore assez adultes pour comprendre les leçons à tirer de la situation que vit le pays actuellement. Lorsque la majorité d’un peuple ne veut plus d’un gouvernement, au point de s’imposer des sacrifices énormes et de s’infliger des pertes colossales, il faudrait que ce gouvernement ait la décence de reconnaître qu’il a fait son temps et de tirer sa révérence, sans qu’on soit obligé de le lui imposer par la force ou qu’il en soit contraint par la Communauté internationale.

Pierre -Michel Augustin

le 4 février 2020.

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