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Le bilan de l’année 2019: l’effondrement du pays

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Eh oui! C’est déjà le temps des bilans de fin d’année car 2019 s’achèvera bientôt. Encore 21 jours, et une nouvelle année s’ouvrira devant nous. Pour le meilleur ou pour le pire, d’une façon ou d’une autre, il faudra avancer vers l’avenir, inexorablement. Mais avant de contempler l’avenir, faut-il encore regarder le chemin parcouru et observer la situation à laquelle nous sommes parvenus. À tous les points de vue, la situation est plus qu’inquiétante et nous avons enregistré, en tant que nation, des reculs significatifs, à tous les niveaux.

Le portrait économique du pays est le plus facile à établir. Il s’agit de chiffres que personne ne conteste plus, désormais. Même les partisans les plus têtus de ce gouvernement, le président lui-même, tout le monde convient que les indicateurs économiques du pays sont au rouge vif. Il est de notoriété publique et même internationale, maintenant, que les gouvernements de Jovenel Moïse ont cumulé des déficits records, année après année. Pour 2019, le déficit d’exercice serait de l’ordre d’environ 30 milliards de gourdes, selon une analyse et des projections de l’économiste haïtien, Etzer Émile, sur un budget de dépenses de 110 milliards de gourdes, environ. Et encore, il s’agirait d’une rare bonne nouvelle, car, en fait, selon le FMI, le déficit aurait diminué en pourcentage du budget de dépenses, en raison de coupes sévères dans les dépenses d’investissement, notamment, mais, également, en raison sans doute des reports importants en salaires courus à payer, pelletés inconsidérément vers les exercices à venir. En outre, c’est un secret de Polichinelle, que le taux de l’inflation, couramment observé en Haïti, est de l’ordre de 20 %, pour cet exercice. On pourrait égrener le chapelet de misères économiques pendant encore longtemps. Néanmoins, pour les besoins de ce bilan succinct, restons-en là. Du point de vue économique, Haïti a été rarement en pire posture, tout au long de son histoire, de l’avis général.

Le portrait sécuritaire du pays n’est pas meilleur. Des quartiers entiers de la capitale se retrouvent sous la coupe de bandits organisés, structurés en gang, lourdement armés et copieusement ravitaillés, qui rançonnent et violentent la population locale à leur guise, sans que l’État et les forces policières ne tentent une quelconque parade à cette situation. Par exemple, pendant de longues semaines, le quartier de Martissant a servi de nœud gordien, bloquant le trafic entre le Sud-Est, les Nippes, le Sud, la Grande-Anse et une bonne partie de l’Ouest du pays. De plus, les quartiers de Martissant, de Cité-Soleil, du Bel-Air et de Carrefour-Feuille ont été en proie à des violences qui se sont soldées par des massacres de civils, réputés opposés au gouvernement. De là à associer ce gouvernement à ces bandits, il n’y a qu’un petit pas que d’aucuns franchissent allègrement. À la décharge de ceux-ci, il faut avouer que le gouvernement a donné flanc à une certaine accréditation de ces rumeurs. Par exemple, un de ces supporters, ayant été récemment en mission de négociation auprès de deux groupes armés ennemis, à la capitale, aurait été pris à partie par l’un d’entre eux et, après avoir été criblé de balles, se reposerait actuellement dans un hôpital, en République Dominicaine, pour recevoir les soins que nécessitent ses traumatismes. Cette situation a fait un peu tache d’huile au pays. Plusieurs régions de notre territoire se retrouvent avec ce même problème de contrôle par des groupes de bandits armés. On en aurait répertorié environ 95 dans tout le pays. Ils sont actifs, tout particulièrement dans l’Artibonite, dans la région des Palmes, dans le département de l’Ouest et dans le Plateau Central. En plein jour, des jeunes femmes universitaires ont été agressées et violées à la capitale même, sans que l’État n’intervienne, autrement que pour déplorer ces actes aussi criminels qu’avilissants. La voie publique et les lieux publics sont devenus des coupe-gorge. Les autorités nationales ne sont pas à l’abri non plus et contemplent d’évacuer carrément Port-au-Prince, pour se réfugier dans les hauteurs de Pétion-Ville et de ses environs. Ainsi, le président du Sénat, le docteur Carl Murat Cantave, envisage ouvertement de relocaliser cette institution dans des hôtels à Pétion-Ville, pour mettre ses collègues à l’abri des balles égarées qui pourraient en atteindre quelques-uns, par mégarde. De toute façon, la zone du Bicentenaire et tout le centre-ville de Port-au-Prince devenant progressivement inatteignables, ce ne serait pas la seule institution à envisager ce déplacement. Le Palais de Justice, également, ferait le déménagement pour laisser place nette aux gangs armés. Il ne resterait plus alors que le Palais national à reloger vers les hauteurs, si ce n’est déjà fait, car le Président siège plus souvent ailleurs que dans ce guet-apens auquel il ne peut accéder régulièrement qu’en un long cortège armé, slalomant à travers des huées de protestataires et, parfois, en forçant quelques barricades, tout en essuyant des jets de pierre. À ce point de vue, également, c’est une dégradation très notable de la situation, par rapport à ce qui prévalait au début de l’année.

Sur le plan politique, c’est la catastrophe absolue. Le pays avait commencé l’année 2019 avec un gouvernement légitimé par une reconnaissance en bonne et due forme du Parlement. Ce n’était pas une cohabitation heureuse entre la Présidence et la Primature mais, l’essentiel était qu’il y avait un gouvernement légitime pour prendre action et diriger le pays, légalement, constitutionnellement. Certes, ce gouvernement n’avait pas pu faire voter un budget mais il avait la capacité de décider des grands axes prioritaires et prendre des mesures pour limiter les dégâts et contenir certaines dérives. Le Président pouvait raisonnablement prétendre, même si ce n’était pas tout à fait le cas, qu’il avait accepté de cohabiter avec une certaine opposition, représentée par son Premier Ministre d’alors, le notaire Jean Henry Céant, issu du parti Renmen Ayiti, officiellement en opposition au parti du pouvoir, le PHTK. Dans les faits, la majorité ministérielle, sinon la totalité des membres de ce gouvernement, avait fait allégeance au PHTK. Pour des raisons encore inconnues du grand public, le Président s’était dépêché de faire congédier le Premier ministre, en mars dernier, par la Chambre des Députés, sans considérer les conséquences de ce geste sur le fonctionnement général de l’Exécutif. Le résultat est que, depuis lors, le pays nage en pleine inconstitutionnalité. Pas de Premier Ministre régulièrement exerçant ses fonctions, pas de gouvernement légalement constitué non plus, une cascade de mesures et de nominations totalement en dehors des compétences d’une administration intérimaire, censée habilitée à expédier strictement les affaires courantes. Toujours sur le plan politique, l’opposition s’est radicalisée. Deux épisodes, de peyi lòk, se sont succédés, accompagnés de manifestations populaires, de grande envergure, qui se sont soldées par une paralysie presque complète de l’économie et de la vie sociale, en général. Les écoles sont restées fermées pendant 9 semaines et, récemment, tendent timidement à reprendre les cours. Pour le moment, c’est une accalmie, mais tout le monde est dans l’expectative. Si l’on se fie aux dires du nouveau leader du RDNP, Éric Jean-Baptiste, la nouvelle année ne s’ouvrira pas sans un changement dans la donne politique au pays. L’impasse sera brisée, dans un sens ou dans l’autre. En aucun cas, on ne pourra continuer ainsi. Nos GRANDS DÉCIDEURS ne l’entendent pas de cette oreille. On verra bien ce que cela donnera. La dernière fois qu’ils sont intervenus de la sorte pour dénouer une autre de nos nombreuses impasses, on s’est réveillé avec une formule particulière dont les résultats n’ont pas été des plus concluants.

L’année 2019 est une année perdue pour Haïti et sa population. Celles et ceux, qui nourrissaient l’espoir d’intéresser, un tant soit peu, la communauté internationale, à nos malheurs, se sont rudement trompés. En 2019, Haïti ne semble être sur le radar d’aucun grand frère qui viendrait s’apitoyer sur son sort et viendrait s’assurer du respect de la démocratie, des conventions internationales auxquelles nous avons souscrit, et des lois en vigueur, en termes de respect de droits de l’homme. Nos massacres à l’interne ne concernent presque plus personne. Mais gare à celui qui ferait, ne serait-ce qu’une allusion à un soupçon de menace envers nos amis étoilés. Cela ne passera pas la rampe et sera promptement réglé, même si, pour cela, l’on doit tordre un peu le cou à quelques principes élémentaires de justice. Un mandat d’amener sera promptement délivré et exécuté, sans «exéquatur», sans juge de paix et en dehors des heures régulièrement prescrites pour le faire dans les règles de l’art.

En 2019, Haïti a reculé un peu plus dans tous les secteurs de la vie nationale. Elle trône au 111e rang sur 117 pays parmi ceux dont la population souffre le plus de la faim, selon le rapport sur l’Indice Mondial de la Faim (GHI, acronyme en anglais) publié par l’ONG allemande, Welthungerhilfe. Tous les observateurs clament que notre pays n’est pas gouverné. Le dernier, en date, n’est nul autre que le Sous-Secrétaire d’État américain, M. David Hale, qui est passé en coup de vent, la semaine dernière, pour exprimer, une énième fois, les préoccupations de son pays par rapport à la situation d’Haïti. L’on brandit, à notre égard, la menace d’une catastrophe humanitaire appréhendée. Mais, en fait, cette catastrophe est déjà en cours. Avec près de 6 millions de personnes qui vivent avec moins de 2,45 dollars par jour, c’est autant de personnes qui croupissent sous le seuil de la pauvreté, sans espoir de revenus avec un taux de chômage excédant 60% de la population active, selon CIA World Factbook, et une dépréciation de la monnaie nationale de 30%, au cours de cette année.

J’ai beau chercher des raisons d’espérer, des signes d’un mieux être à venir, je n’ai trouvé aucun facteur positif dans l’immédiat. Même cette lueur proposée par la Passerelle me paraît si fragile, si assortie de conditionnalités hors de notre contrôle que, pour une fois, je ne trouve plus de mots pour décrire mon état d’âme, pour exprimer ma désespérance. Le constat est clair et navrant, la République d’Haïti s’est effondrée en 2019, tout comme le marché public de Port-de-Paix, encore tout récemment, qui s’est écroulé sur des marchandes et des artisans, offrant leurs biens et leurs services aux passants. Il faut se demander, maintenant, qui, et, surtout, comment il faudra s’y prendre, pour relever le pays de cet effondrement généralisé qui s’est matérialisé, en cette année 2019.

Pierre-Michel Augustin

le 10 décembre 2019.

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