Rasin Ganga
Part 2 of 2
Haïti monnaie d’échange d’une transaction transnationale mafieuse?
Le très officiel commissaire général de la police française Jean-Francois Guayrant soutient dans un entretien sur son retentissant ouvrage La mafia et la Maison-Blanche ce qui suit «De Franklin D. Roosevelt à Joe Biden, une dizaine de Présidents des États-Unis ont entretenu des liens très douteux, voire de pure collusion, avec la Mafia Italo-américaine. Ces présidents appartiennent aussi bien au Parti Démocrate (Roosevelt, Truman, Kennedy, Johnson, Clinton, Obama, Biden) qu’au Parti Républicain (Nixon, Reagan, Trump). Les formes et l’intensité de ces relations diffèrent d’un président à l’autre. Certains présidents ont été simplement compromis, d’autres peuvent être qualifiés, sans exagération, de “mafieux”, tant la relation avec la Mafia fut symbiotique, à l‘image de Richard Nixon.» Il ajoute «nous sommes en présence de deux super puissances, l’une politique, économique et militaire, l’autre criminelle, et toutes deux sont exceptionnelles par leur force et leur longévité.»
Éloigné du Bondieu et trop près des États Unis, à coups d’ajustement, Haïti a été entrainé par le bas et intégré sur les marges de la mondialisation en devenant une plaque tournante des flux de trafics illicites partant de la cordière des Andes au centre de l’empire. Suivant la logique de la globalisation libérale, le commerce illicite préfère à la présence pesante de l’Etat l’invisibilité de la main du marché. Non point qu’il vise nécessairement sa disparition mais de préférence son affaiblissement à fin de cooptation. Moins que l’appareil, l’attribut de souveraineté dont il prétend se réclamer à l’intérieur de frontières internationalement reconnues, constitue l’obstacle à éliminer pour réaliser la libre circulation illicite de biens, de personnes de préférence en pièces détachées.
Les pays à souveraineté affaiblie par la déferlante néolibérale globalisée, situés sur la trajectoire du trafic illicite du Sud vers le pole industrialisé, voient leur territoire servir de monnaie d’échange dans les transaction entre le secteur mafieux et les dirigeants politiques arrivés au pouvoir grâce aux financements occultes. Au Nord les trafiquants négocient leur part du marché mondial en finançant les décideurs et en infiltrant les appareils de sécurité. En périphérie utile ils s’en accaparent tout simplement. Là ils influences et participent à la sélection des gouvernants. Ici ils capturent totalement l’Etat. Ce partage se réalise par le biais de négociation où sont sauvegardés les objectifs de puissance de l’empire articulés aux intérêts financiers du secteur mafieux.
LIRE DANS LE NOIR
L’aveuglement idéologique consiste à les faire considérer comme deux pôles opposés en conflit permanent. Ou encore à voir dans les activités criminelles locales une entreprise sui generis dont les acteurs jouissent d’une parfaite indépendance ou autonomie. L’analyse conduit à obscurcir la réalité qui s’avise à détacher l’économie criminelle de l’économie formelle, et prétendre à des réponses internes à un problème transnational. Les effets de ce piège idéologique sont très fâcheux sur la capacité à rendre intelligible aux victimes la situation d’insécurité systémique qu’ils subissent. La résolution du conseil de sécurité sur l’envoi d’une MMS en Haïti en réponse à la criminalisation du pays s’inscrit en droite ligne de ce brouillage cognitif.
Les Haïtiens sont invités, par cette haute instance de la gouvernance mondiale, à voir dans la descente du pays aux enfers une simple affaire de bandits armés qu’il suffirait de neutraliser en éliminant tels chefs dont la tête est mise à prix. Avec le concours de quelque opération «bwa kale» bien orientée en bamboche populaire, le tour serait joué et le chemin balisé pour le renouvellement du système sous de masques à peine repeints .
Avec le concours assidu, actif et intéressé d’une bonne partie de la presse, a fini par s’imposer le récit qui fait de la mésentente atavique entre les Haïtiens la principale cause de la crise pluri dimensionnelle qui a amené l’effondrement du pays. La solution miracle trouvée traduit le degré de pertinence de l’analyse. L’imposition d’un conseil présidentiel nano Céphale sensé signifier l’harmonie retrouvée des principaux protagonistes. Sa principale tache dont la ratification conditionne le choix des membres, est pourtant non pas de montrer que leur entente amène la fin de la crise mais d’inviter une force étrangère à la résoudre à leur place.
Sauf à considérer qu’à coté de l’hypothétique démantèlement des gangs, les troupes étrangères ont pour principale fonction de veiller sur l’accord trouvé entre les Haïtiens, il est difficile d’écarter le caractère déterminant d’une cause transnationale derrière tout cet échafaudage.
Quand le local défie le global
Le prix du scalpe des chefs de gang suggère assez clairement que l’empire est loin de les considérer comme des petits caïd locaux. On ne connait pas le chiffre d’affaires de ces entrepreneurs de violence criminelle, mais le prix offert pour leur capture laisse supposer qu’ils brassent un business florissant, à même de les placer au niveau des oligarques contre lesquels ils se contentent de vociférer en guise de caution idéologique.
D’aucuns restent dubitatifs face à ce qui apparait soit une certaine tolérance de l’empire vis à vis de ce phénomène ou du moins, ce qui serait encore plus étrange, de son incapacité à l’éradiquer. Comment expliquer en effet ce défit persistant lancé à l’hyper puissance étasunienne dans son propre arrière cour, dans un contexte international si fragile, par quelques chefs de bande sans soutien d’aucune puissance rivale même de second rang ?
Les gangs ne seraient donc que la petite pointe émergée d’un iceberg dont les profondes ramifications impliquant des forces occultes (pas nécessairement vaudou) bien réelles expliqueraient à la fois leur intouchabilité et le flux intarissable d’armes et de munitions qui les alimente.
Et nos chers conseillers présidentiels; un écran de fumée plus ou moins consentant à fin de prolonger le plaisir, un faire valoir pour octroyer un semblant de légitimité à l’inacceptable.
( À SUIVRE…)