HomeInsécurité & BanditismeEt ce qui devait arriver serait en train de survenir…

Et ce qui devait arriver serait en train de survenir…

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Cela fait déjà un bon bout de temps qu’on appréhendait un dérapage majeur en Haïti. L’on prophétisait
des malheurs terribles au pays. Du sang coulant à flots, des cadavres mutilés, brûlés et déchiquetés dans
les rues, des tueries aveugles, et que sais-je encore… Après la perte de Martissant aux mains de la
bande à Krisla, le massacre des policiers à Cité-l’Éternel aux mains des bandits, et dont on n’a jamais
récupéré les corps, après les frasques des Mawozo de Vitelòm et des Ti Makak de Carlo Petit-Homme,
il fallait s’attendre à ce que la coupe soit remplie à ras-le-bord et commence à déverser son trop-plein.
Et c’est ce à quoi, je pense, qu’on est en train d’assister, ce lundi 24 avril 2023.
Les rumeurs couraient qu’une intervention policière majeure, une descente de lieux en règle,
s’opérait dans les refuges des bandits, très tôt, au petit matin, dans les hauteurs. Et, cette fois, ces
derniers ne semblaient pas avoir l’avantage sur les forces de l’ordre, de sorte qu’il y aurait des
déplacements par groupes de plusieurs malfrats, pas toujours en formation ordonnée, tentant de se
dérober de la frappe organisée de la PNH. Ils auraient emprunté des bus de transport public qu’ils
avaient sous la main pour se déplacer et se mettre à couvert, ailleurs dans d’autres bases qui leur étaient
acquises. Certains émettent l’hypothèse qu’ils seraient des renforts pour les bandits en difficulté à
Debussy. Allez savoir… Toujours est-il qu’ils aient été interceptés par des forces de l’ordre, sans
opposition importante et mis en état d’arrestation au niveau de Canapé-Vert. Mais, mal leur en prit, car
la population en avait plus que marre de cette situation que ces bandits leur imposaient, depuis trop
longtemps. Des vidéos nous montrent alors un massacre dans toute son horreur. Une lapidation sans
ménagement, un homme en flammes, une torche vivante qui essaie de s’enfuir en hurlant à la mort
mais une foule sans pitié qui le regarde mourir et se consumer tout vivant encore. Des jeunes hommes,
désemparés, en panique, tentant de s’enfuir devant une foule déterminée à régler leur compte, une fois
pour toutes, et à solder leurs griefs. Et, la Police, débordée peut-être, n’a pas tenté grand-chose pour les
protéger non plus, contre cette foule déchaînée. Mais peut-on vraiment les blâmer, ces policiers, après
toutes les horreurs dont bien des leurs ont été victimes, tout récemment encore? Pouvaient-ils, devaient-
ils braver la fureur de la foule, en grand en nombre ? Il y en avait bien quelques-uns de ces présumés
bandits capturés qu’ils avaient faits coucher à plat-ventre et maintenus sous bonne garde. Ils étaient là,
hagards, le regard perdu, contemplant, impuissants, le sort de leurs infortunés camarades qui n’avaient
pas eu la chance, comme eux, d’être faits prisonniers.
L’on s’étonne un peu de la dégringolade subite de ces hors-la-loi. Il n’y a pas si longtemps, ils
détenaient une auréole d’invincibilité. Ces matamores lançaient même des défis aux forces de l’ordre et
exhibaient leurs armes avec ostentation. On était rendu à leur prêter des connaissances tactiques et
stratégiques qui semblent bien surfaites, aujourd’hui. Après tout, ce ne sont que des bandits et, pour
autant que l’on sache, aucun d’entre eux ne serait des gradués d’une quelconque académie militaire.
Alors, pour ce qui a trait à des techniques de décrochages et à des retraites stratégiques ordonnées, sous
un feu ennemi, il faudra repasser. Comme on le dit couramment dans la langue de Marck Twain: “when
the going get tough, the tough get going”. Et c’est ce que quelques-uns auraient tenté de faire, dans le
désordre le plus complet. Ils sont tombés, pour leur malheur, sur une population qui n’en pouvait plus
d’endurer leurs exactions et qui ne leur a fait aucun quartier. Leur chef, le dénommé Ti-Makak, avait
déjà passé l’arme à gauche, paraît-il, selon les déclarations du Commissaire Garry Desrosiers, porte-
parole de la Police. Ses «pwen» contre les balles ne l’auront pas finalement protégé de celles de la
police qui l’auraient «mortellement blessé», lors d’un dernier échange armé dont il n’a pas survécu
pour raconter ses forfaits. Et ses comparses, ces énergumènes aujourd’hui capturés, sont livrés
maintenant à eux-mêmes, comme des poules sans tête. Le mieux, pour ceux qui sont encore
aujourd’hui dans le maquis, serait de tout simplement déposer les armes et de se rendre à la police, pour
éviter le funeste sort que leur réserverait la population, machette à la main et le bidon d’essence, pas
trop loin non plus, si jamais c’était elle qui les capturerait en premier. Car la campagne en cours ne
serait pas sur le point de s’arrêter. La police et la population n’auront de cesse, tant qu’elles ne se seront

pas débarrassées durablement de ces bandits qui leur empoisonnent l’existence et le fonctionnement
normal. C’est, du moins, ce qu’elles professent.
Le bilan, déjà, semble très lourd. Cependant, cette fois-ci, le deuil paraît avoir changé de camp.
Le Commissaire du Gouvernement à Miragoâne, Jean Ernest Muscadin, aura fait des émules à Canapé-
Vert et ailleurs, et ceux-ci proclament haut et fort que leur quartier restera à jamais une zone interdite,
un cimetière pour les bandits qui s’y hasarderont. Il est à déplorer qu’on en soit rendu là. Car, dans les
jugements lapidaires, lors des exécutions sommaires, plusieurs innocents pourraient en pâtir. Inosan
pral peye pou koupab tou. C’est un risque que courent tous les inconnus devant des résidents habituels
d’un quartier. Il est à regretter que l’État, entendez par là: les autorité politiques, soit totalement absent
de la prise de décision et du contrôle des opérations, car la population semble déterminée à prendre sa
sécurité en main, pour de bon. Cela causera, ma foi, quelques erreurs funestes, quelques horreurs
macabres qui pourraient être évitées, si l’État avait voulu prendre charge et s’occuper activement à
restaurer la sécurité publique. Au lieu de cela, la Ministre de la Justice et de la Sécurité publique était
allée confesser son impuissance en public, et avait incité le peuple à l’auto-défense, il est vrai, dans les
limites de la loi. Mais cette nuance ne sera pas retenue par tout le monde. Il n’est donc pas étonnant de
constater aujourd’hui les dégâts. Ma crainte, maintenant, une fois cette Boîte de Pandore entrouverte,
sera de pouvoir la refermer, d’imposer le calme à la population, de lui demander de refaire confiance
aux forces de l’ordre et de se fier à leurs bons services, pour rétablir l’ordre, alors qu’elle a longtemps
constaté que rien n’avait bougé, jusqu’à ce qu’elle mette l’épaule à la roue et se jette dans la mêlée, aux
côtés de ces forces de l’ordre qui ne parvenaient plus à faire place nette et à faire régner la paix
publique, toutes seules. Je dis bien: imposer le calme à la population, car ayant goûté et savouré avec
exaltation, chaque seconde de revanche sur ces hordes de bandits qui lui imposaient la terreur, qui
violaient ses enfants et qui la terrorisaient, il ne sera pas dit qu’il suffira aux autorités compétentes, de
lui demander simplement de rentrer chez elle, dans la paix, pour qu’elle s’exécute.
En parlant d’autorités compétentes, on se réfère finalement à qui et à quoi, exactement? Ces
autorités actuelles sont n’importe quoi, sauf compétentes ou sensibles aux tribulations de la population.
Personne n’a vu la Ministre de la Sécurité Publique à Canapé-Vert, pour essayer de prendre charge de
la situation, en ce matin lugubre du lundi 24 avril 2023. Je n’ai pas entendu non plus le Premier
Ministre prendre la parole en la circonstance. Il aurait été bien indiqué, pour ces deux-là, de faire
preuve d’un peu de leadership en la circonstance, pour veiller à limiter les dégâts, à s’assurer qu’il n’y
aura pas trop de débordements, dans un sens, comme dans l’autre. Ils ont été absents tout au long des
méfaits, et, disons le mot, tout au long des massacres qui ont eu cours récemment à la Capitale, dans
ses périphéries et dans l’Artibonite. Ils n’ont pas eu le courage de se pointer aux funérailles de ces
policiers, tombés au champ d’honneur, au service de la population, dans une énième embuscade des
bandits, cette fois, à Thomassin. La Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique y était représentée
par un subalterne. Elle était sans doute trop occupée pour aller se recueillir sur leurs dépouilles et
présenter ses respects, en personne, aux familles et amis éplorés. Le Premier Ministre également y avait
brillé par son absence. Pourtant, la mort de ces soldats de l’ordre et de la paix publics commandait bien
cette marque de déférence que seul le Directeur Général a. i. de la PNH a eu la bienséance de
reconnaître, en les élevant, à titre posthume, à un grade supérieur. Ces gens-là, comme le leur
reprochait récemment le Colonel Himmler Rébu, manquent d’empathie, pour occuper leur poste
respectif et susciter l’adhésion et le respect du public, à leur égard. On commence généralement ainsi,
pour parvenir ensuite à faire reconnaître et pour asseoir son autorité et son ascendance auprès d’une
population. L’Histoire est remplie d’anecdotes qui en attestent.
Pour ma part, même quand ma confiance en sa capacité avait été sérieusement ébranlée, en
raison des résultats qui tardaient à être concrétisés dans la lutte contre l’insécurité, je gardais encore
l’espoir de voir la PNH redorer son blason et reprendre le dessus. Tout le monde sait que ses moyens
sont faibles et insuffisants et que ses actions sont largement contrecarrées par des forces politiques au
sommet, des forces pas si obscures que cela, et depuis plusieurs années. C’est difficile, à l’évidence, de

se battre contre un ennemi qui connaît à l’avance toutes nos stratégies, et avec un bras ligoté dans le
dos, par-dessus le marché. C’est la situation, à mon humble point de vue, avec laquelle la PNH devait
composer. Il semble que, cette fois-ci, elle a pu se libérer un peu de ce carcan, de cette camisole de
force, pour agir avec méthode, et cela commencerait à donner des résultats. Il y a rarement de fumée
sans feu, dit-on, et ces fuites à répétition sur des plans d’opérations policières, ne pouvaient pas être si
fortuites que cela, ni ne pouvaient provenir de sources non initiées. Se te rat kay la, ki t ap manje pay
kay la. Maintenant que ce secret de Polichinelle est éventé et que la Police semble s’en prémunir un
peu plus, on devrait s’attendre à des résultats plus probants que par le passé. Du moins, je le pense. Ma
crainte est désormais que la suggestion d’autodéfense faite par la Ministre de la Sécurité Publique,
l’autre jour, ne soit prise au pied de la lettre et ne soit systématiquement appliquée contre n’importe
quel inconnu d’un quartier et à l’apparence suspecte. Lorsque c’est rendu qu’un Pasteur en chaire
bénisse des machettes et incite ses ouailles à s’en servir pour se défendre, certes, l’on peut comprendre
la frustration qui dicte ce sermon, mais on doit quand même anticiper aussi les conséquences terribles
qui en découleront, en cas d’erreurs sur la personne ou sur ses intentions, par anticipation d’une menace
présumée, par mesure préventive… Des règlements de compte en série, contre n’importe qui, du réel
bandit qui aurait commis un crime, jusqu’au petit voleur à la tire, pourraient en résulter.
Nous avons maintenant un défi supplémentaire, de sécurité publique, à relever. Elle était déjà là
depuis plusieurs années. Elle a empiré avec le temps. On risque maintenant d’en perdre le contrôle
totalement. Tout cela, parce que nos dirigeants ont laissé la situation devenir ce qu’elle est aujourd’hui.
À force de jouer avec le feu, à côté d’un baril de poudre par surcroît, il ne faudrait pas s’étonner de finir
par causer une déflagration de dimension catastrophique au pays. Le malheur, contre lequel tant de
gens n’avaient cessé de nous alerter, pourrait fondre sur le pays et le défigurer, à tout jamais. Espérons
seulement que ce ne sera pas le cas et que nous pourrons nous arrêter à temps, au bord de ce gouffre au
fond insondable.
Pierre-Michel Augustin
le 25 avril 2023

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