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Non, les sanctions éparses ne suffiront pas

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Cela avait commencé par un grand feu d’artifice, le 21 octobre 2022. Le Conseil de Sécurité des
Nations-Unies avait adopté alors la résolution 2653 qui impose un régime de sanctions sur Haïti,
notamment un gel ciblé des avoirs, une interdiction de voyager et un embargo sur les armes. Des
sanctions en masse devaient suivre, dans le but de coercer les plus retors à se conformer au respect de
l’ordre public, et notre démocratie naissante en ressortirait alors ragaillardie et florissante, grâce à ces
mesures. C’étaient, du moins, les intentions des pays et des institutions sanctionnateurs, et les objectifs
visés pour le pays. Mais les résultats n’ont pas vraiment suivi.
Le Canada avait ouvert la marche. «Les sanctions canadiennes liées à Haïti ont été adoptées en
vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de la Loi sur les Nations Unies , en réponse
aux activités des gangs criminels et ceux qui les soutiennent pour fomenter la violence et l’insécurité.
Le 3 novembre 2022, le Règlement sur les mesures économiques visant Haïti est entré en vigueur. Le
10 novembre 2022, le Règlement d’application de la résolution des Nations Unies sur Haïti est entré en
vigueur.» Les États-Unis ont emboîté le pas, un peu sur la pointe des pieds, avec une précaution qu’on
ne leur connaît pas d’habitude. Les Nations-Unies promettaient de faire mieux, éventuellement. Elles
ont prévu de constituer un Comité qui établira une liste de personnalités haïtiennes à sanctionner
obligatoirement par tous les membres de cette instance. Mais cela tarde à se réaliser. Les Nations-Unies
ont tellement de pain sur la planche, ces derniers temps, que le dossier d’Haïti est forcément relégué en
arrière-plan. Il y a aussi la République Dominicaine qui n’attendait que cette occasion pour en découdre
avec quelques-uns de nos nationaux et qui mène très large à ce chapitre. Elle a déjà interdit d’entrer sur
son territoire, 52 personnalités haïtiennes de divers horizons: des hommes d’affaires, en passant par des
politiciens, des chefs de gangs, il y a même un responsable d’organisation de défense des droits
humains, indexé dans ce groupe. Du coup, bien de nos ténors politiques, qui passaient rarement leur
tour dans les nombreuses émissions d’affaires publiques, se sont tus, ayant brusquement des
préoccupations beaucoup plus urgentes à satisfaire. Quelques-uns d’entre eux, qui ont été indexés dans
l’une ou l’autre de ces sanctions, ont protesté contre ces atteintes à leur réputation, mais sans plus.
D’autres en ont pris acte et auraient même engagés des démarches légales dont on n’a pas entendu
grand bruit. Toutefois, dans l’ensemble, ces sanctions avaient semblé avoir un peu d’effet, à un certain
niveau. Le grand monde, dans un certain milieu visé, avait comme frissonné un peu et regardé à la
sauvette par-dessus ses épaules, pour voir s’il y avait d’autres menaces pendantes et encore plus
frappantes. La plèbe galeuse aussi avait comme tressauté un peu. L’on se souvient de ce blocage du
Terminal de Varreux qui menaçait indirectement la vie des malades et le fonctionnement déjà bancal de
nos institutions hospitalières, brusquement sevrées de carburant. Cela avait le mérite d’émouvoir le
public à l’extérieur du pays. On n’a pas idée, infliger un tel traitement à une population! La priver de
carburant, mais alors comment va-t-elle se rendre au travail, se demandaient alors les internautes et les
téléspectateurs éberlués, ailleurs, dans le vaste monde, tout d’un coup frappés par cette réalité qu’ils
ignoraient, jusqu’à présent? Haro sur le baudet, pardon, sur Barbecue, tout le monde avait convenu de
crier, et avec raison. Bien vite, le blocage du Terminal de Varreux fut alors levé. L’astuce des sanctions
avait marché, pendant un temps. Mais plus maintenant, pas depuis le début de cette année, en tout cas.
Les organismes, qui recensent la criminalité galopante au pays, ont enregistré, depuis le mois de
janvier, des hausses fulgurantes dans plusieurs secteurs de cette activité. Le kidnapping a crû de 173 %
par rapport à la même période, l’an dernier, passant à 389 personnes enlevées entre janvier et mars
2023, selon les données du Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH). Le
dernier coup fumant, en date, a été fait en pleine église. L’Archevêché de Port-au-Prince dénonce le
kidnapping de deux personnes à l’oratoire Saint-Charbel, résidence privée de Mgr Max Leroy Mésidor,
perpétré le jeudi 13 avril 2023. Depuis lors, l’Oratoire Saint-Charbel ferme ses portes pour une période
indéterminée, et des voix s’élèvent contre ce crime. Les bandits s’en prennent même aux diplomates
maintenant. Le Consul Honoraire de Saint-Kitts-et-Nevis en Haïti, M. Harold Marzouka, également

membre du conseil d’administration de Haïti Plastiques, a été kidnappé le samedi 15 avril, à Delmas
31, par des bandits armés. Les assassinats de policiers également ont augmenté considérablement.
AlterPresse, dans un article la semaine dernière, a établi à 21, le nombre de policiers abattus en service,
dont 3, la semaine précédente, dans une embuscade à Thomassin, présumément par les bandits du gang
de Ti-Makak. Mais, curieusement, cette augmentation de la criminalité au pays suscite aujourd’hui
moins de couverture, moins d’alarme qu’en automne dernier, à l’étranger, de sorte que l’on s’en étonne
de moins en moins. Cela devient une espèce de normalité effrayante mais qui ne touche plus beaucoup
de personnes, en dehors des seules concernées. Même la fermeture partielle ou totale de certains
hôpitaux de la capitale, pour causes d’insécurité du personnel et de kidnappings de médecins, n’ébranle
plus tellement la placidité d’outre-mer, pourtant en alerte, en novembre dernier, pour un peu moins que
cela. On a l’impression qu’on se dit: pourvu qu’ils ne se tuent qu’entre eux, pour le reste: on s’en fout.
En passant, nous n’avons pas fait grand-chose non plus pour nous attirer une certaine sympathie
agissante ou une mobilisation plus active. Je m’imagine difficilement Rio de Janeiro, célébrant son
carnaval au milieu de tant de crimes sordides, tandis que nous, en dépit de tout le malheur qui nous
accable, nous avions le cœur au carnaval, un peu comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes.
Les officiels du gouvernement de facto vont et viennent au milieu d’une pléthorique escorte armée,
bien à l’abri dans des véhicules blindés. Et, lorsque l’un d’entre eux est soudain pris de vertige ou a mal
aux dents, il est vite transporté à l’étranger pour les soins que nécessite son cas. Alors, l’insécurité, cela
n’existe pas, la précarité et l’inexistence des soins hospitaliers: ce ne sont qu’une vue de l’esprit pour
ces gens-là, à un point tel qu’ils continuent à percevoir le pays, comme si tout fonctionnait
normalement. Et c’est valable pour presque tous les membres de ce gouvernement. Par exemple, le
ministre de l’Éducation Nationale (MENFP) planifie et prend des dispositions pour les examens
officiels de cette année. Il exige un enregistrement virtuel des institutions scolaires sur un site dédié à
cet effet par son ministère. Je me demande s’il a seulement réfléchi sur combien d’institutions scolaires
en Haïti, notamment celles qui se trouvent dans les régions éloignées, qui ont accès à l’internet,
disposent d’ordinateurs, voire ont accès à l’électricité. À cette date, le MENFP déclare avoir enregistré
5 300 écoles, soit environ 38% du total recensé. Le délai d’enregistrement pour les écoles court depuis
le 14 avril et arrive à terme le 28 de ce mois, donc dans environ 10 jours. Seules les écoles dûment
enregistrées virtuellement pourront inscrire alors leurs élèves pour les examens officiels, et ceux-ci
devront l’être, au plus tard, le 7 mai. Ce sera un marathon difficile à compléter dans les délais prescrits
et, par-dessus tout, hors de portée pour nombre de ces institutions en régions. Pour moi, le ministre
Nesmy Manigat agit comme s’il vivait dans un pays qui fonctionne normalement, avec des institutions
parfaitement normées et dûment dotées de tous les services publics, essentiels à leur bonne opération.
Pourtant, il est parfaitement au courant que plusieurs écoles, notamment à la Capitale, ont dû fermer
leurs portes pour cause d’insécurité ou de kidnapping.
Soit dit en passant, il en est de même pour le Premier Ministre de facto qui, de son côté, prévoit
la nomination d’un nouveau CEP pour bientôt, en vue de la tenue prochaine des élections et, bien sûr,
d’un référendum, concurremment, pour changer la Constitution. Tout le monde comprend que la
sécurité publique est un préalable fondamental pour la tenue d’un scrutin et que la situation actuelle, à
cet égard, ne s’y prête guère. Rien ne permet de prévoir une amélioration de ce point de vue, non plus.
Mais il fait comme si tout cela n’existait pas. Il vit dans un monde virtuel, totalement différent de la
réalité implacable au pays. Il en est tellement aveuglé, que des détails très simples lui échappent
complètement. Par exemple, parmi les critères pour la sélection des membres du Conseil Électoral
Provisoire, il est exigé, obligatoirement, entre autres, de résider en Haïti. Toutefois, l’on a prévu que
des membres de ce CEP seraient issus de la Diaspora. Cela est une exigence incompatible pour un
membre de la Diaspora, réputé résidant à l’étranger, à moins, bien sûr, d’avoir le don d’ubiquité, auquel
cas, le problème n’existe plus.
Comme nous pouvons le constater, nous tournons en rond. Les bandits tiennent le haut du pavé
et infligent sévices après sévices sur la population. Le gouvernement donne le change et fait semblant

de gouverner, sans bouger d’un iota, sans s’attaquer à quoi que ce soit pour tenter d’améliorer la
situation. Et personne au pays ne prend une quelconque initiative pour forcer un déblocage politique ou
imposer un modèle de sécurité pour la population qui se contente de fuir d’un quartier à un autre, en
attendant que ses prédateurs naturels ne la rejoignent dans ses nouveaux refuges, pour se repaître à ses
dépens.
Au bout du compte, les sanctions, comme je l’avais anticipé, ne donneront pas grand-chose.
Elles affecteront marginalement le cours des choses. Elles ne désarmeront pas les bandits et ne
protègeront pas la population contre leurs crimes odieux. Au mieux, elles intimideront quelques-uns
des cerveaux qui les ont armés pour que ceux-ci se mettent à couvert ou protestent de leur repentance
feinte, le temps que ces sanctions fassent leurs cours et qu’elles soient reléguées aux oubliettes. Mais
ces armes qui ont été fournies, avec une prodigalité aveugle, ne s’évaporeront pas avec le temps dans la
nature. Elles continueront à faire mal, à moins de désarmer, par la force, celles et ceux qui les
détiennent aujourd’hui illégalement et qui s’en servent férocement contre la société. De plus, il est rare
de voir des bandits retourner leurs armes contre celles et ceux qui les leur ont fournies et envers qui ils
ont une réelle allégeance, à moins d’y être contraints. Mais pour cela, il faut vouloir en prendre les
moyens et le faire effectivement. Et, s’il y a au moins un qui s’en est rendu compte, c’est déjà un bon
début. Pourvu que le reste suive…
Il me revient en mémoire une citation glanée quelque part et dont je n’arrive plus à retrouver
l’auteur pour lui rendre ce crédit. En essence, elle dit ce qui suit. «Le loup, en naissant, sait quelle est sa
nature : il est un prédateur. La brebis, en naissant, sait aussi bien sa nature: elle est une proie. Nous, les
humains, sommes les seuls à avoir le loisir de choisir notre nature propre: être une proie, ou bien un
prédateur, ou bien encore un être sociable qui coexiste avec ses pairs, dans le respect des règles de la
vie en société…» Il y en a qui ont déjà fait leur choix honni: les Ti-Makak, Izo, Barbecue et consorts,
ainsi que leurs financeurs et leurs soldats. À nous de faire le nôtre, tout en sachant qu’il y aura sans
doute un prix à payer pour cela, car rien ne nous sera donné gratuitement. Encore faut-il être prêt à
l’assumer sans rechigner et sans attendre une aide de qui que ce soit. Si elle vient, ce sera alors tant
mieux. Mais si cette aide ne vient pas sous la forme voulue ou attendue, il faudra faire avec les moyens
du bord. Un homme ou une femme munie d’une arme et d’une mauvaise intention ne se laissera pas
faire sans résistance. Il faudra lui imposer une force encore plus grande et plus déterminée que la sienne
pour en arriver à bout. Quant aux sanctions, elles ne suffiront pas pour désarmer les bandits, juste pour
«caponner» leurs commanditaires, ces pleutres, terrés dans leur confort ouaté, et qui les utilisent pour
leurs sales besognes.
Pierre-Michel Augustin
le 18 avril 2023

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