HomeCulture & SociétéUne guerre civile appréhendée, à échéance encore indéterminée…

Une guerre civile appréhendée, à échéance encore indéterminée…

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Tout récemment, je suis allé chez mon coiffeur favori, pour rafraîchir un peu mon profil. Une coupe et un rasage ne me feraient pas de mal, ne cessait de me répéter une personne très proche, fatiguée de me voir traîner une barbe grise, en broussaille, qu’elle qualifiait d’hirsute, et une chevelure éparse, aujourd’hui plus sel que poivre, qu’elle qualifiait gentiment de tignasse. Une visite au barber shop s’imposait donc et je m’y suis résigné, de guerre lasse. J’avais perdu cette habitude d’écouter les autres discourir autour de moi, à bâtons rompus et sans retenue, de tout et de rien, et régler, en un tour de main, tous les maux de notre monde. Et non, ils ne parlaient pas de sexe ni d’argent. Mais la guerre en Ukraine et la situation au pays, en Haïti, je peux le dire, occupaient indubitablement, le haut du pavé. En attendant mon tour, j’écoutais les autres se lancer, à corps perdu, dans une discussion sans modérateur. Deux ou trois d’entre eux monopolisaient le crachoir et disséquaient allègrement les problèmes du pays. Pour l’un d’eux, la situation était fort simple et se résumait ainsi.

Par le passé, maintes fois, lorsque le pays était assailli d’un trouble grave, il y avait une institution, en dernier recours, qui pouvait occuper la scène, s’interposer entre les belligérants, par la force brute et même létale, pour rétablir la situation. Elle en avait abusé largement, au cours de notre histoire, à un point tel, qu’elle était, elle-même, devenue une pierre d’achoppement sur laquelle venait se buter et s’étioler toutes velléités d’organisation cohérente, de structuration politique de notre société, susceptibles de promouvoir et de réaliser effectivement l’avancement du pays, un peu comme c’est le cas, ailleurs, tant bien que mal, dans le reste de notre hémisphère. Le dilemme, c’est que cette pierre d’achoppement était également une espèce de mur porteur de notre édifice social. Ce mur porteur était très mal placé dans cet édifice, de sorte qu’il empêchait carrément une meilleure distribution des espaces sociaux et court-circuitait les intervenants politiques, économiques et sociaux, appelés à être les leaders du pays et à prendre les rênes du pouvoir pour nous guider vers le développement et la paix sociale. Alors, il a bien fallu l’abattre, ce mur qui défigurait notre édifice. De toute façon, à la fin, il était vermoulu de toutes parts et ne servait presque plus à grand-chose. Il ne tenait plus debout que par je ne sais quoi, et c’est ce qui explique un peu la facilité avec laquelle on a pu l’écarter. Il aura suffi de lui couper les fonds, et puis, tel un château de sable, il s’est dissout, il s’est effondré. Ainsi, les FAd’H, puisqu’il faut l’appeler par son nom, s’étaient évaporées, et ses leaders s’étaient enfuis, telle une volée de moineaux effarés, à la vue de l’ombre d’un malfinitournoyant dans le ciel, eux qui, pourtant, devaient nous servir d’ultimes remparts contre des prédateurs éventuels.

Cette harangue d’un de nos forts en gueule, durant quelques minutes, retint le reste de l’assistance en suspens. D’aucuns furent nostalgiques de ces temps turbulents mais combien rassurants, quand ce corps que nous payions pour nous garantir une certaine sécurité factice, pouvait en plus nous mettre au pas et nous assujettir, lorsque nous n’étions pas assez sages à son goût. Il est vrai que cela n’a pas toujours été de tout repos de cohabiter avec cette institution, mais chaque armée à son pays, n’est-ce-pas? Pardon, c’est plutôt l’inverse qu’il voulait dire: chaque pays a son armée. Dans le feu roulant des échanges, parfois, on se mêle les pinceaux et le résultat n’est pas toujours à dédaigner. On échappe accidentellement une vérité à laquelle on ne penserait pas spontanément.

Un autre baroudeur se lance dans la discussion. Attendez! Il est vrai que la bande à Lesage, on ne peut pas appeler cela vraiment une armée mais, la Police de Monsieur Frantz Elbé, le D. G. de la PNH, elle n’est pas très impressionnante, non plus. Toutefois, elle compte quand même quelque 15 000 membres encore vivants et sous les ordres. C’est d’ailleurs la seule institution, plus ou moins structurée et viable, susceptible d’opérer encore un coup de force et prendre les choses en mains au pays. Au fait, se demande-t-il, qu’est-ce qui l’en empêche, jusqu’à présent? Pour vrai, qu’est-ce qui peut bien retenir le Haut État-Major de la Police, de déposer, purement et simplement le Premier Ministre et quelques-uns de ses affidés, dans le premier avion en partance vers la Jamaïque, ou, mieux encore, vers une des capitales des pays membres du CORE GROUP qui en sont si entichés? On s’imagine bien que le Président Biden, le Premier Ministre Trudeau, le Président Macron, la Présidente de la Commission Européenne, Mme von der Leyen, qui les supportent envers et contre tout, devraient être plus que ravis d’accueillir leurs poulains en Haïti, pour des vacances bien méritées, après tout ce temps passé à calbinder, pendant qu’ils regardaient, impuissants, le pays s’effilocher sous leurs yeux, sans rien faire, sans même rien tenter de cohérent, de concluant, pour tant soit peu essayer de régler les problèmes. Pire encore, ils ont même contribué à l’empirer. Oui, qu’est-ce qui le retient, le D. G., se demandait le beau parleur, qui s’excitait à vue d’œil, au fur et à mesure qu’il développait sa pensée? Va-t-il attendre la rébellion de ses troupes dont les membres se font descendre les uns après les autres, impunément, lâchés, abandonnés qu’ils sont, devant la furie des bandits? À l’en croire, ce serait maintenant sa chance de passer à l’histoire et de faire œuvre qui vaille, pour lui, pour la survie de la PNH et pour le pays, en tant que seule force armée constituée et encore assez structurée pour espérer tenir tête aux bandits.

Pendant quelques secondes, ce fut un calme plat qui succéda à la diatribe de notre dernier discoureur. Un calme plat, comme si toute l’assistance était brusquement frappée par la justesse de ses propos et se rendait compte de cette épée de Damoclès qui pend sur le pays. À vrai dire, reprit un autre, il n’y a pas tellement d’autres choix en perspective. Les Blancs, entendez par cela: les étrangers, ne sont pas très tentés de venir à notre secours. Ils savent, pour l’avoir planifié et orchestré, pour la plupart, qu’ils risquent fort de tomber sur quelques têtes assez fêlées pour oser se mesurer à leurs troupes. Après tout, les gangs du «G-9 an fanmi e alye manyen youn manyen tout», ils ont travaillé fort à les fédérer, pensant pouvoir les utiliser, en sous mains, pour maintenir la couvercle sur la casserole de l’opposition à leurs hommes au pouvoir, en intimidant celle-ci, de temps à autre. Ils savent en outre qu’avec 600 000 armes de guerre disséminées un peu partout aux mains de bandits regroupés ça et là sur le territoire, et, surtout, bien pourvus de munitions, ce ne serait pas exactement comme le piquenique de 2004 ou de 1994. Alors, pourquoi courir des risques qui n’en valent pas vraiment la peine, doivent-ils se dire ? Imaginez 10 ou 20 cercueils de soldats étrangers qui retournent chez eux, les pieds devant, drapés de leur bannière nationale, avec fanfare en tête, et la meute de journalistes en mal d’histoires à sensation, en train de pontifier sur la situation. Imaginez tout cela et posez-vous la question: quel pays, «ami» ou non, va franchir ce pas, à votre avis ? Cela va lui donner quoi, à part quelques maux de tête avec son électorat et avec des élections dans pas assez longtemps pour faire oublier quelques ratés?

Pendant tout ce temps, je suis resté pensif et silencieux dans mon coin. Je me disais que l’un et l’autre n’étaient pas tellement si loin en dehors de la plaque. Le pouvoir au pays, par les temps qui courent, est à la portée du prochain qui aura l’audace de le prendre et de marchander par la suite avec des tuteurs qui ne veulent plus savoir grand-chose de nos sempiternelles crises. Et maintenant que l’affaire risque de tourner en un vrai carnage, en une guerre civile, plus que jamais, ils s’en éloignent pour ne pas en être éclaboussés, lorsque cela arrivera. Biden, pour un, ne s’en émouvra pas. Il l’a déjà dit haut et fort lors d’une entrevue il y a quelques années de cela. «Haïti pourrait sombrer tranquillement dans la Mer des Caraïbes ou s’élever de 300 pieds dans les airs, cela ne nous concernerait en rien, quant à nos intérêts». (Traduction libre de: «Joe Biden’s rethoric»(1 ). Et rien ne dit que le Sénateur au parler crû d’alors, devenu aujourd’hui Président, aura tellement changé d’avis depuis, en ce qui nous concerne, même si son entourage parvient, tant bien que mal, à mettre, de temps en temps, surtout en période électorale, une sourdine à certains de ses propos incongrus.

Le problème, dans tout cela, c’est qu’Haïti, heureusement, ne disparaîtra pas, du moins, pas aussi tranquillement que d’aucuns l’auraient souhaité. À cet égard, les premières secousses ont déjà été ressenties jusqu’au Canada, via le Chemin Roxham, jusqu’au pont Del Rio sur la frontière entre le Texas et le Mexique, jusqu’en Floride, jusqu’aux Bahamas, sans parler de la République Dominicaine. Les mesures de mitigation, comme cette facilité temporaire de l’actuelle administration américaine, pour accueillir légalement un certain nombre d’immigrants par voie légale, ne suffiront pas pour absorber le flux qui va bientôt déferler, notamment sur ce pays, dans les prochains mois, mais aussi sur les autres pays de l’Amérique, par la même occasion. En désespoir de cause pour les tuteurs officieux de notre pays et, surtout, ne voulant pas trop s’y frotter de peur d’hériter officiellement du gâchis éventuel qui en résultera, il ne serait pas impossible d’apprendre, un de ces quatre matins, que le Premier Ministre Président avait fait sa malle et était parti vers d’autres cieux, emmenant avec lui, une bonne partie de ses comparses au Cabinet des Ministres, devenus personae non gratae, par la magie d’un tweet diplomatique ou d’une déclaration solennelle d’un nouveau sauveur.

Sur ces entrefaites, qu’entends-je ? Justement, par la magie des ondes, gracieuseté du WhatsApp d’un des clients en attente d’une coupe, c’est notre K-Plim qui vient d’appeler la Police à resserrer les rangs, à respecter la discipline et à obéir à leurs chefs hiérarchiques. Tu parles d’une coïncidence! Cela doit sentir le roussi de plus en plus, pour que, lui aussi, donne de la voix, dans l’autre sens cette fois-ci, et rappelle les forces de l’ordre à leur serment d’office: «Protéger et servir la population», alors que nos policiers manifestent bruyamment et menacent d’abandonner leurs postes massivement, laissant le champ libre aux bandits pour faire leurs exactions sur la population, sans aucune opposition de leur part.

Le rififi appréhendé ne doit pas être si loin dans le temps, pour une fois que même la période du carnaval, si habituellement sacrée au pays, semble être reléguée en arrière-plan des préoccupations populaires. Kreyòl pale, Ayisyen konprann. Atansyon pa kapon! Même nos quidams chez les coiffeurs du coin sentent le vent de la fureur s’enfler de toutes parts. Et ce n’est pas par hasard non plus que bien des diplomates s’en retournent chez eux, en attendant des temps moins risqués, et que d’autres, parmi ceux qui restent encore sur place, multiplient des condoléances émues à l’égard de la Police, assorties d’appels au calme et à la modération à l’endroit de bon nombre de ses membres qui ne décolèrent pas devant la tournure sanglante des choses, au détriment de leurs frères et sœurs d’armes. En effet, après les débâcles subies par ce corps la semaine dernière, il est à se demander si ce n’est pas déjà trop tard, si l’on n’a pas déjà franchi le Rubicon. On verra bien…

Pierre-Michel Augustin

le 31 janvier 2023

  1. https://www.tiktok.com/@itisherm/video/6983370790389435653?q=tiktok%20truth%40justice_americanway&t=1675043513295»

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