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«Et le loup est là, c’est le retour de Lula»

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Le voici donc de retour, le vieux Loup des forêts amazoniennes, du côté brésilien, pour assurer l’équilibre de l’écosystème politique régional au niveau de l’Amérique Latine, en la personne de Luiz Inácio da Silva, connu publiquement comme Lula, diminutif affectueux de «Luz» (lumière, dans les langues d’origines latines, tels l’espagnol et le portugais). Il a été, à deux reprises, président de la République du Brésil pendant 8 ans, avec deux mandats consécutifs, du 1er janvier 2003 au 1er janvier 2011, dont la première élection s’était célébrée le 27 octobre 2002 et la réélection le 29 octobre 2006. À 77 ans accomplis, l’homme vient d’être réélu pour la deuxième fois, pour un total de trois mandats à la plus haute magistrature brésilienne. On ne saurait parler de cette époustouflante élection de Lula, le dimanche 30 octobre 2022, par décision du peuple brésilien, sans la placer dans son contexte historique.

L’aventure politique de Lula est très intéressante et revêt une importance capitale sur l’échiquier des grands changements politiques, économiques et sociaux qui se sont produits dans l’unique ancienne colonie portugaise en Amériques, la plus grande puissance sud-américaine où le métissage et le football ont un goût particulier et occupent une place de choix. Le passé de Lula dit tout à son sujet, dans le contexte politique où sa lutte s’inscrit dans l’histoire de la politique brésilienne. De son statut d’ouvrier métallurgiste, sa profession en dehors de la politique, il a pris part à l’activisme de la gauche brésilienne, à travers les séries de grèves et d’opposition contre la dictature militaire d’alors. Il est donc l’un des membres fondateurs du Parti des Travailleurs (PT) en 1980, mouvance politique d’inspiration socialiste, dans ce contexte de dictature militaire au Brésil. Le récit de la dictature militaire du pays des Sambas à laquelle on fait référence au cours de la deuxième moitié du 20e siècle de la politique à l’échelle globale, est un chapitre incontournable qui ne peut être omis ou passé sous silence, dans l’évolution de la politique de ce particulier joyau sud-américain, comme ce fut le cas, un peu partout dans le monde et particulièrement en Amériques Latine, Centrale, les Caraïbes, au Moyen Orient et en Afrique, quelque deux décennies, à la suite de la 2e guerre mondiale. Aussi désignée localement comme étant la Cinquième République, à partir de 1967, c’est le régime politique du Brésil qui débuta à la suite du coup d’État du 31 mars 1964, conduit par le maréchal Humberto de Alencar Castelo Branco, pour renverser le président élu, João Goulartla, fondateur de la Quatrième République. À noter que cette dictature, qui a bénéficié de la bénédiction du grand baron de la zone, les États-Unis, a eu une durée de 21 ans, jusqu’à l’élection de Tancredo Neves en 1985, avec la chute des grandes dictatures un peu partout dans le monde, y compris hypothétiquement en Ayiti également, avec la chute du régime totalitaire des Duvalier, le 7 février 1986 et de Ferdinand Marcos en Philippines, le même jour. En effet, sur le plan régional et de la géopolitique, issues en général de coups d’État ou d’élections bidons, truquées et interférées par les oligarchies locales et les pouvoirs «ingérencistes» et néocolonialistes internationaux, ces dictatures n’ont jamais manqué de trouver leurs justifications dans l’alignement du régime cubain sur l’URSS, sous prétexte de la menace de la contagion communiste de la zone.

Cependant, ce coup d’État, duquel était issue la dictature militaire brésilienne, marque, sur le plan de la politique interne, la mainmise de l’Armée brésilienne sur la politique et l’économie du pays, dans une perspective d’asseoir la volonté des oligarques nationaux, sous commande des néo-colons et impérialistes, en vue de la garantie de leurs propres intérêts, aux détriments du bien-être des populations locales, tout en brandissant la doctrine de sécurité nationale, comme excuse, telle que définie et dictée par le Pentagone, la CIA et la Maison-Blanche. Le même schéma a été aussi appliqué en Ayiti, durant le règne des Duvalier, à travers les VSN (Volontaires de la Sécurité Nationale), populairement connus comme les Tonton-makout, instaurés par François Duvalier, dit Papa Doc. Ces dictatures, mises en place par ces puissances impérialistes, consistaient en outre à porter les États sous leur tutelle à poser des actes institutionnels devant aboutir à des fins déterminées dont : la suspension des Constitutions qui ne garantissaient pas leurs intérêts, la dissolution des Congrès ou Parlements, la suppression des libertés individuelles, les assassinats et l’instauration d’une nouvelle législature, en vue de mener de nouvelles procédures pénales militaires, autorisant les institutions militaires, policières et judiciaires à arrêter et à emprisonner, illégalement et en toute impunité. Cette stratégie d’ingérence et d’imposition dans les affaires internes des petits États du continent américain a été, pendant longtemps, utilisée par les États-Unis, au nom de la doctrine de Monroe, à savoir : «l’Amérique aux Américains et l’Europe aux Européens.» Rien de surprenant pour la population ayitienne, depuis 1914 à nos jours. Donc, on comprendra aisément que les vagues de crise de gouvernance, d’instabilités politiques et d’insécurité que connaissent des pays comme Ayiti, par rapport à leur histoire ou le choix politique assumé, ne sont point le fait du hasard. Elles constituent l’émanation et l’irradiation d’une volonté hégémonique manifeste des grandes puissances, pour contrecarrer et boycotter les régimes qui ont choisi délibérément de ne pas suivre le schéma occidental qui leur a été tracé, en vue de profiter de manière inadéquate de leurs ressources naturelles et minières, ainsi que l’aliénation politique pouvant leur bénéficier, lors des votes de résolutions au niveau des hautes instances et organisations internationales, comme par exemple : l’ONU, l’OEA, l’OTAN, etc.

Le parcours de Lula est extraordinaire en ce sens qu’il a incarné un homme coriace, dans ses convictions, par le biais d’une triture politique exceptionnelle. Ainsi, au début de la décennie 80, le PT était devenu une mouvance politique de premier plan de la vie politique brésilienne. Lula n’allait pas attendre trop longtemps pour se faire distinguer au sein du parti, en se présentant, quatre ans après la fin de la dictature, comme le choix de ses coéquipiers pour les représenter aux élections d’octobre 1989. Cette première, et non pas dernière tentative, s’est soldée par l’échec politique de gauche qui avait gagné l’attention de Fidel Castro, symbole du socialisme dans le monde ainsi que la sympathie internationale. Il s’est incliné au second tour de l’élection présidentielle réunissant 47,0 % des voix devant Fernando Collor de Mello, sous le label du Parti de la Reconstruction Nationale (PNR) initialement connu sous le nom de Parti de la jeunesse (PJ) devenu par la suite le Parti travailliste chrétien (PTC) qui, en 2002 avait soutenu la candidature d’Anthony Garotinho, un populiste de droite, à la présidentielle d’alors. Son sort n’était pas différent en 1994 et en 1998, alors qu’il n’a cessé de se présenter comme candidat, à de nouvelles élections, où il a écopé d’une élimination dès le premier tour par Henrique Cardoso. Huit ans plus tard, sa ténacité allait se révéler des plus payantes quand, finalement, il a été élu, pour la première fois, président de la République, lors de l’élection présidentielle de 2002. Son vis-à-vis à l’époque n’était autre que José Serra du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), avec pour colistier le centriste José Alencar. Il s’est fait réélire en 2006 en remportant l’élection aux dépens du nouveau candidat du PSDB, Geraldo Alckmin. Les deux scrutins lui ont réuni respectivement 61,3 % et 60,8 % des suffrages officiellement exprimés au second tour, conformément à la volonté populaire.

Durant ses deux mandats, soit 2003-2011, le président Lula a fait des avancées extraordinaires, parmi lesquelles s’inscrivent des programmes sociaux d’importance, dont notamment : la Bolsa Família e Fome Zero (Subvention familiale et Zéro Faim), lesquels consistaient à améliorer considérablement la situation économique du pays, tout en s’impliquant dans une dynamique de la mise en valeur de son pays, à l’échelle internationale, particulièrement dans la lignée de la coopération Sud-sud, entre autres. La victoire du vieux Loup, hurlant dans la jungle amazonienne de la politique brésilienne les inégalités sociales, l’injustice et l’impunité des régimes de droite qui se sont succédé à la tête du pays, s’inscrit donc dans une dynamique de justice, non seulement à la personne de Lula, mais également au peuple brésilien, après toutes les tentatives de ternir sa réputation. En effet, une suite d’allégations de corruption l’avait conduit en prison pendant environ 20 mois, soit 580 jours francs. Il s’agissait de la stratégie la plus efficace de ses adversaires de la droite, pour éviter sa 2e réélection pour un 3e mandat. En raison des scandales financiers, soupçon d’implication dans la corruption et le blanchiment d’argent dans l’affaire Petrobras qui avaient abîmé l’image de son parti et du gouvernement, la Constitution lui interdit de se représenter. Ceci avait bénéficié à sa cheffe de cabinet, Dilma Rousseff, dont l’arrivée au pouvoir, en 2010, n’aurait pas été possible. Suite à cette situation, sa nomination, par le gouvernement de son successeur issu de son parti, comme titulaire du ministère de la Maison civile en 2016, objet de trop de controverses avait été aussitôt suspendue par la justice. Il était donc condamné en appel à douze ans de prison en 2018. Alors qu’il est désigné candidat du PT à l’élection présidentielle de la même année, pour laquelle il était d’ailleurs donné favori, il est emprisonné et déclaré inéligible, avant d’être condamné dans une autre affaire. Libéré en 2021, à la suite d’un recours à la Cour suprême fédérale, les peines ont été automatiquement abandonnées, tout en reconnaissant la partialité qui avait animé le procureur chargé de rendre son verdict, en la personne du juge Sergio Moro. Ainsi, la justice brésilienne avait procédé à l’annulation des deux condamnations pour vice de forme, ouvrant ainsi la voie à sa nouvelle candidature, comme nouveau locataire du Palais de l’Aurore, pour une 3e fois avec son ancien adversaire Geraldo Alckmin comme colistier à la vice-présidence. Il devait totaliser 50,9 % des voix, face au président sortant, Jair Bolsonaro, bien qu’il ne bénéficie pas de la majorité de sa coalition de gauche au Congrès national.

Entre moments de gloire, de victoire, de désarroi et de déboire, le parcours du vieux Loup de la jungle politique amazonienne brésilienne est impressionnant. Ce devrait être, pour ceux-là qui se sont déjà lancés ou veulent se lancer dans une carrière politique, une source d’inspiration incontournable, à tous les points de vue, de la personnalité et la conviction politique, à la réputation personnelle, et de l’importance de la construction et de la consolidation des structures institutionnelles et étatiques, en vue de la gestion rationnelle et optimale de la chose publique. La victoire de Lula consacre le retour en force de la gauche au pouvoir au Brésil, comme c’est le cas d’ailleurs pour la majorité des pays latino-américains. Quelles seraient, d’une telle aventure politique, les leçons à tirer par les leaders de la soi-disant gauche (de grenn goch ak dwat-e-goch) hybride, maladroite incohérente ayitienne ? Le plus surprenant, c’est que chaque élection et réélection, pour lui, est un cadeau d’anniversaire puisque le vieux Loup est justement né un 27 octobre de l’an 1945. Tous nos vœux de santé et de bonheur, à lui personnellement. Nos souhaits de bonne gouvernance et de gestion transparente de l’administration qu’il va diriger pour conduire le peuple brésilien vers la justice sociale, l’égalité des opportunités pour tous, l’espoir et le progrès, aussi et surtout le retour de la Coalition-sud ou la Coopération Sud-Sud, dont des pays comme Ayiti en avaient été les grands bénéficiaires, bien que sans en avoir sciemment profité. Car, avec l’élection de Lula, « les cinq principales économies d’Amérique latine sont gouvernées pour la première fois par la gauche », à la suite des dernières élections qui ont eu lieu dans le sous-continent américain, avec l’Argentine, le Chili, la Colombie et le Mexique, ajouté aux Pérou, Venezuela, Nicaragua, Cuba, éventuellement Équateur, dont la tendance se fait de plus en plus sentir avec l’échec que le président Guillermo Lasso est en train d’essuyer actuellement. « Je me considère comme un citoyen qui a vécu un processus de résurrection. Ils ont essayé de m’enterrer vivant et me voilà », a déclaré Lula, lors de sa première apparition après les résultats. «Nous ferons en sorte que les Brésiliens prennent le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner tous les jours», a-t-il ajouté, pouvons-nous lire dans le journal El País.

Le Loup est là, c’est le retour du socialisme au Brésil.

Jean Camille Étienne,

Architecte, MSc. en Politique et Gestion de l’Environnement

31/10/2022

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