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«Aujourd’hui encore, nous continuons d’assassiner Dessalines»

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17 octobre 1806, 17 octobre 2022, cela fait déjà 216 ans depuis que les oligarques traditionnels et les néo-colons avaient décidé de tuer crapuleusement, non seulement l’Empereur Jacques 1er, mais aussi un idéal, un rêve. Cet idéal n’était autre que l’idéal Dessalinien, et ce rêve, celui du père de la nation ayitienne, le grand général de l’Armée indigène, Jean-Jacques Dessalines. Ce rêve était, pour nous tous, celui de vivre libre, comme des êtres humains à part entière, réclamant notre dignité ou mourir tous ensemble. Cet idéal était celui d’une Ayiti puissante et prospère, digne de la Première République Noire du monde, qui s’est battue contre les colons français pour se libérer de l’exploitation coloniale, du racisme et de l’esclavage. Cet idéal était qu’Ayiti devienne un pays d’accueil pour tous les peuples qui se battent pour la liberté, la justice et la dignité humaine, qu’importe la couleur de peau ou la latitude géographique d’origine.

Rêves et idéaux que pourtant les oligarques riches et traditionnels ont choisi d’assassiner, au nom de leurs intérêts mesquins, aux dépens des plus hauts intérêts de la nation. Idéal de construire une Ayiti sur la base de la liberté, de l’unité, de la paix, de la solidarité nationale et internationale, de la justice et du progrès. Rêve du rassemblement de tous les fils et filles du terroir, pour le bien-être collectif. Rêves et idéaux que nous continuons encore à sacrifier, à chaque fois que nous choisissons de ne pas nous entendre sur la vraie méthode de gouvernance du pays et de nous entredéchirer. Chaque fois que nous choisissons de nous trahir, chaque fois que nous créons les conditions pour faciliter la tâche aux blancs contre notre souveraineté. Chaque fois que nous nous adonnons à la corruption, à l’injustice et à l’impunité, c’est le père de la nation que nous assassinons à nouveau.

À ceux-là qui pensent qu’Ayiti fait, depuis un certain temps, l’objet de prophéties de malheur, qu’on nous a jeté un mauvais sort ou qu’il y a une vague de malédiction des dieux qui s’abat sur nous, je vous exhorte donc à sortir de cet état démentiel qui vous voilent le visage et vous empêche de vous rendre à l’évidence du déni systématique de nos dirigeants qui se sont succédé au pouvoir, des principes élémentaires de construction de l’État et des principes recteurs de gestion et d’administration honnêtes et rationnelles de la chose publique. Ainsi, l’effondrement de l’État ayitien, après plus de deux siècles de tergiversation, de démagogie, de gabegies, de corruption et d’incompétence, n’était qu’un fait en devenir, une bombe à retardement qui n’attendait que la mise à zéro du compte à rebours.

Je vais dire quelque chose qui va sonner un peu ironique, voire ridicule, du moins à ceux-là qui gardent encore un peu de lucidité : nous sommes parvenus à un degré tel de déliquescence de la crise nationale, que la communauté internationale, partie prenante et incontournable de cette crise, doit prendre son courage à deux bras et nous dire en plein visage : soit qu’elle nous tourne en dérision ou bien qu’elle ne comprenne absolument rien de la crise ayitienne. Il nous faut définitivement savoir, de ces deux postures laquelle s’applique à elle ? Bien qu’à ceux-là à qui il reste encore un peu de bon sens, il ne soit pas si difficile de le deviner, à défaut de l’assumer. Car, nous refusons radicalement qu’elle continue à jouer le rôle, à la fois de pyromane dans l’ombre et de sapeur de pompier au grand jour.

C’est tout simplement pathétique ! Je pense que le moment ne se prête pas autant à savoir ce que nous avions mal fait que ce que nous n’avions pas fait pour arriver là où nous sommes. Ce que nous avions fait, c’est de nous détruire nous-mêmes, verser impunément dans la corruption, trahir les plus hauts intérêts nationaux, entre autres. Et ce que nous n’avons pas fait, ne pas nous prendre au sérieux, ne pas nous respecter nous-mêmes, et ne pas nous engager dans la gestion institutionnelle et rationnelle de la chose publique, pour ne citer que ça. Alors comment voudrions-nous qu’un pays fonctionne dans ces conditions?

Il est un fait indéniable qu’Ayiti ait atteint un niveau de déliquescence telle qu’il n’est plus important pour nous de nous demander de juger ou de culpabiliser qui que ce soit, mais de nous rassembler en une seule voix, en un seul peuple pour la sauvegarde de notre patrie. Il n’est plus un secret pour personne que la politique reste-avec, de corruption, d’impunité, de démagogie et d’incompétence, pour n’en nommer que quelques-unes, n’aurait aucune autre issue que la catastrophe généralisée dans laquelle nous végétons aujourd’hui. Mais la question est plutôt : qu’aurions-nous dû faire pour ne pas en arriver là ? La réponse est encore plus simple. Il n’y a pas de génération spontanée. C’est un processus qui nous a emmenés là, au processus inverse de le corriger. Sans pour autant minimiser le rôle qu’a joué la communauté internationale dans notre situation d’ingouvernabilité et d’anarchie totale, notre plus grand problème, ce sont nos élites, puisqu’au fait, ce sont les élites qui structurent quel que soit l’État dans le monde. Mais cela prendra deux fois plus de temps que nous n’en avions mis pour tout chambarder. Il faudrait donc nationaliser l’élite économique, car celle qu’on a aujourd’hui, elle a toutes les nationalités, exceptée ayitienne. L’élite politique est un groupe de maladroits, de voyous et de délinquants en liberté, pour la majorité. L’élite intellectuelle souffre d’un gros déficit de pragmatisme, et ne s’engage pas dans la gestion de la chose publique, pensant qu’elles ont un pays de rechange, c’est-à-dire l’exil comme alternative. Et, en dernier ressort, la masse elle-même est hypnotisée, zombifiée, non avisée, se conforme dans son train-train quotidien, pataugeant dans la pauvreté, oubliant que le vrai changement dépend en grande partie d’elle, et que la politique est un rapport de forces et un jeu d’intérêts. Ce qui fait que la cupidité et les coups bas soient l’ennemi de la pitié et de la compassion. Dans toute l’histoire de l’humanité, il n’y a aucun peuple qui se soit sorti des gouffres de la pauvreté, du marasme économique et de la servitude politique par pure compassion de ses bourreaux. La liberté et la souveraineté, tant politique qu’économique, s’acquièrent à coups de baïonnette et d’intelligence, nous même incluant, par les prouesses de 1804.

Cependant, ne nous faisons point d’illusion. Notre bataille d’aujourd’hui ne s’inscrit plus dans le contexte du 18e siècle. L’ennemi est aujourd’hui beaucoup plus fort qu’avant. Donc, nos forces de frappe sont davantage inférieures aux leurs. Ainsi donc, comme Toussaint Louverture, changeons de stratégie afin qu’au moment opportun nous puissions ouvrir la voie à l’adoption et à l’adaptation appropriées du revers de la médaille, aux assauts de nos bourreaux. Mobilisons donc toutes nos ressources, toutes nos forces, toutes nos habiletés, toute notre intelligence, tous nos savoirs, toute notre énergie, pour le sauvetage et le salut de la patrie commune. Pour ce faire, il nous faut, non pas des faux amis, mais de vrais alliés internationaux, sur la base du respect du principe d’autodétermination et de la diversité culturelle des peuples, tel que consacré dans la charte des Nations-Unies. Sinon, il arrivera un moment où l’on parlera de nous comme un peuple qui, pendant un certain temps, avait existé. Seule l’émergence d’une nouvelle classe politique, d’une autre bourgeoisie et d’une élite intellectuelle véritablement ayitienne peut nous tirer d’affaire. Et cela ne peut se faire sans le symbolisme de la figure de nos héros de la guerre de l’indépendance, particulièrement celui de Jean-Jacques Dessalines.

Laissez-moi vous dire, tant que nous ne ferons pas un procès, ne serait-ce que symbolique, pour rendre justice à l’Empereur, son âme ne reposera jamais en paix. Et, tout comme nos suites de transition à n’en plus finir, les suites récurrentes d’occupation se solderont toujours par l’échec, du moins dans la logique officielle de leurs objectifs: la stabilité politique, la relance économique, la restructuration institutionnelle et le rapatriement de la souveraineté nationale. Sachons qu’il n’y a pas de crime plus odieux que celui de parricide et d’apatridie. Le jour où nous recommencerons à avoir un pays pour de vrai, comme je l’avais suggéré dans un article antérieur, je pense très fermement qu’il nous faudrait consacrer la période allant de la naissance (20 septembre 1758) à la mort (17 octobre 1806) de notre père fondateur, le grand général de l’Armée indigène Jean-Jacques Dessalines, le premier-né de la patrie ayitienne et le plus grand des Ayitiens de tous les temps, l’Empereur Jacques 1er, soit du 1er septembre au 31 octobre, le bimestre dessalinien. Ce serait peut-être aussi l’occasion de penser à le rebaptiser Jacques le Titan, pour ses dimensions transcendantales qui, aujourd’hui encore, vont au-delà de celles de tous les hommes et femmes d’État qui se sont succédé à la tête de notre pays, Ayiti, la Première République Noire du monde. En raison de ses exploits universels, d’avant-garde des luttes de libération des peuples colonisés, du 18e siècle à nos jours, ce serait lui rendre justice, à défaut du procès symbolique de son assassinat, que nos intellectuels et particulièrement nos historiens se mettent au labeur de la proposition à l’UNESCO du Prix international Jean-Jacques Dessalines. La réhabilitation de cette figure de proue, en termes de résistance au triple système colonialiste, esclavagiste et raciste, instauré dès lors par l’Occident un peu partout dans le monde, servirait d’inspiration aux peuples de l’Amérique Latine et de l’Afrique et du monde entier dans leur quête de liberté, d’égalité et de dignité humaine, à travers l’œuvre civilisatrice et émancipatrice de la Révolution Ayitienne, le plus grand héritage qu’un révolutionnaire du monde moderne ait laissé à l’humanité. Désormais, de telles prouesses, dont je me garde moi-même d’inscrire dans la lignée des épopées traditionnelles, ne doivent plus être passées sous silence, car sans leur apport, le monde ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.

Jean Camille Étienne

Arch. Msc. en Politique et Gestion de l’Environnement,

17/10/2022

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