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«Adieu Michaël Benjamin, Mikaben !»

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L’auteur et compositeur de l’un des plus célèbres tubes sortis en mai 2018, « Ayiti se » (Ayiti est) Michaël Benjamin, de son nom d’artiste Mikaben, s’est littéralement, et de manière inattendue, écroulé, au moment de sa sortie de scène. La nouvelle du décès de l’artiste n’a pas trop attendu pour courir tous les réseaux sociaux. Terrassé, le samedi 15 octobre 2022 dans la soirée, lors du concert de retrouvailles du groupe CARIMI, pour le 25e anniversaire, après la dissolution du groupe, à l’Accor Arena de Bercy, à Paris, France, l’artiste est passé de la vie au trépas à l’âge de 41 ans. Il y a quelque chose de très curieux dans la vie des artistes de la trempe de Mikaben, c’est que, par le simple fait d’être des êtres particulièrement spéciaux et singuliers, l’univers dans lequel ils vivent se révèle le plus souvent la chose la plus incompréhensible, imperceptible, voire mystérieuse pour le commun des mortels. Étant à l’écoute de son cœur, de son moi intérieur, de son entourage, de la nature, du cosmos et surtout du silence, en dépit des tumultes continus, tant de l’extérieur que de son moi intérieur, il est donc capable d’une transcendance propre à lui seul. Entre inné et cultivé, ses dons de vision et de prophéties semblent constituer le grenier où il puise ses inspirations. Est-ce donc le fruit du hasard que dans le dernier Live qu’il a fait, peu avant sa prestation, qu’on l’ait vu super excité et enthousiaste, tout en assurant ses fans que la soirée allait être explosive? C’est comme s’il allait atteindre le sommet de sa carrière de musicien et d’artiste. Cependant, personne n’aurait pu imaginer que ce qui pourtant devrait être la plus grande célébration de la musique ayitienne, depuis tantôt une décennie, allait soudain se transformer en un cauchemar.

Rappelons-nous bien que rendre l’âme sur scène au 17 siècle, où l’art se faisait pour l’art, donc avec le cœur, était pour un artiste le plus grand honneur de toute sa carrière, puisqu’il dénote un signe de grandeur et de virtuosité incomparable. Plus d’un se rappellera la pendaison-suicide de Molière sur scène, en vue d’accomplir une telle geste. Paradoxalement, vouloir mourir sur scène s’avère la volonté d’acteurs, de musiciens (nes), de chanteurs et d’artistes de presque tous les arts scéniques de tous les siècles, avant et après le 17 siècle. Ainsi, tenant compte des signes de fatigue que présentait Mikaben peu avant sa majestueuse entrée sur scène, peut-être que sans l’avoir su, il a été choisi par la Providence pour être un élu de la fameuse dernière volonté de la chanteuse franco-italienne, Yolanda Cristina Gigliotti, connue comme DALIDA, explicitement exprimée dans sa musique intitulée: «Mourir sur scène»:

«Viens, mais ne viens pas quand je serai seule

Quand le rideau un jour tombera

Je veux qu’il tombe derrière moi.

Viens, mais ne viens pas quand je serai seule

Moi qui ai tout choisi dans ma vie

Je veux choisir ma mort aussi.

Il y a ceux qui veulent mourir un jour de pluie

Et d’autres en plein soleil.

Il y a ceux qui veulent mourir seuls dans un lit

Tranquilles dans leur sommeil.

Moi, je veux mourir sur scène

Devant les projecteurs.

Oui, je veux mourir sur scène

Le cœur ouvert tout en couleurs

Mourir sans la moindre peine

Au dernier rendez-vous

Moi je veux mourir sur scène

En chantant jusqu’au bout.»

Cette chanson-poème serait pour toi sublime, Mika. Ainsi, il ne fait donc aucun doute que même la nature s’est faite complice de ta consécration au panthéon des grands artistes ayitiens, Mika. Et ton deuil nous affligera pendant longtemps. Tu es l’une des figures de proue de la musique contemporaine ayitienne. Ton Ayiti Chérie qui a constitué la toile de fond de ta musique toujours étincelante et réconfortante, même dans les moments les plus sombres de notre histoire de peuple meurtri. «Ayiti se» demeura à jamais un chef-d’œuvre musical atemporel et immémorial. Devant 10 000 spectateurs et des millions d’internautes et téléspectateurs, nous t’avons vu effondrer sous le poids du fardeau de ta patrie dont tu as été fier, partout où tu passes, qu’importe les circonstances. Rien n’a pu t’empêcher de chanter la beauté, le charme et la fierté que t’a toujours inspirés ton Ayiti chérie, jusqu’à la dernière seconde de ta vie. Désormais, ton œuvre ne peut qu’orner le répertoire de la musique d’Ayiti de bonne qualité. Tu es venu, tu as vécu, tu es parti, en emportant toutes les belles pensées d’une génération qui ne cessera de te témoigner sa gratitude, son attachement, sa fierté et tout son amour, non seulement pour toi, mais aussi pour tout ce que tu as accompli. Que ton entrée dans le panthéon des musiciens ayitiens soit plus que triomphante, comme un soldat tombé héroïquement sur le champ de bataille.

Pour certains, peut-être que tu es parti trop tôt. Cependant, « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. » Puissent tes œuvres perdurer après toi pendant des siècles, comme tes pionniers et tes modèles. Ton amour inconditionnel, infaillible et indéfectible pour ton pays, pour ta patrie, pour ton Ayiti chérie, demeurera, en plus de ton style, de ton talent, de ta musique, ton plus grand héritage, non seulement à tes contemporains, mais également aux générations à venir. Partout où tu es passé, tu as fait notre fierté et nous as renouvelé notre dignité à la face des nations. Tu es parti, Mika, comme tu nous as toujours représentés, drapé du Bicolore bleu et rouge, l’étendard dont tu as été toujours fier et en as fait la fierté, jusqu’au dernier jour de tes jours. Que les grands de la culture ayitienne qui t’ont devancé au royaume des grands, t’accueillent triomphalement, car tu t’en es allé avec le sentiment du devoir accompli. Ton nom restera gravé à jamais en lettres d’or au plus profond de nos cœurs. Si tu t’es de la sorte effondré, c’est pour que ces vers en langage vernaculaire provenant du tréfonds de ton cœur, soit désormais non seulement le refrain de « Ayiti se » :

« Ayiti cheri pou jan mwen renmen w

Mwen vin depose ti kè mwen nan men w

Ayiti cheri pou jan m’adore w

Pa gen anyen k ap jan m fè mwen kite w»

Mais aussi et surtout l’hymne de la fierté ayitienne, car du gamin de 15 ans qui fit sa première apparition sur la scène publique ayitienne sur les ondes de Télé Max, à l’occasion de l’édition de 1999 du Konkou Chante Nwèl, avec ton titre « Yon 24 desanm », tu ne t’es pas contenté de chanter avec la bouche, mais aussi avec le cœur, les paradoxes d’une société ayitienne injuste et inégalitaire. Merci d’avoir partagé avec nous 26 ans sans repris de ta vie de musicien, d’un être humain exceptionnel et surtout d’un amant fou de notre patrie commune. Sous les projecteurs de l’Accor Arena de Bercy, tu t’es écroulé comme un édifice au passage d’un séisme ou miné.

Sympathies à ta famille, tes parents, tes amis et tes fans.

Repose en paix champion!

Jean Camille Étienne,

Arch, MSc. en Politique et Gestion de l’Environnement

16/10/2022

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