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Les soi-disant «bons bandits» de Port-au-Prince

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J’ai reçu l’appel d’un ami, sous le choc, après sa rencontre à Martissant avec des bandits, armés jusqu’aux dents. Très émotif et irrité, il n’a pas caché sa frustration envers la Police Nationale d’Haïti qui, selon lui, agace les bandits et les rend plus farouches. Stupéfait, je lui demande pourquoi cette agressivité envers ceux qui ont pour mission de protéger le peuple contre les bandits. Il m’a fait savoir que les bandits ne sont pas aussi méchants qu’on le dit. Ils l’ont seulement dépouillé de son portefeuille et de son téléphone portable. Ces jeunes se sont adressés à moi avec respect et ont pris le soin de s’excuser auprès de leurs victimes, arguant qu’ils n’avaient d’autres choix. Surpris, je lui ai rappelé que, parmi ces bandits, on trouve des pickpockets, des délinquants, des voleurs, des malfaiteurs, des kidnappeurs, des violeurs, des criminels de toute catégorie. Alors, comment osez-vous parler de «bons bandits», lui demandai-je? Comme réponse, il m’a dit : mon frère, vous êtes chanceux car vous ne traversez ni Martissant ni Bicentenaire ni St Jude, tous les jours, pour aller au boulot. Vous ne comprendrez peut-être jamais ce que je vis à Carrefour. La conversation interrompue, je me suis demandé: comment est-on arrivé à ce stade ? Loin d’être une mauvaise blague de soûlards, certains port-au-princiens semblent avoir plus de confiance aux gangs qu’aux forces de l’ordre. Que se passe-t-il réellement dans les quartiers pauvres de Port-au-Prince ? Permettez-moi de partager mes analyses sur les différents scénarios qui portent certains compatriotes à avoir un discours indulgent envers leurs propres bourreaux.

Si vous habitez dans un quartier chaud de la Capitale, par exemple à Cité-Soleil, les bandits de la zone sont perçus soit comme «protecteurs ou ennemis». Chaque chef de gang a ses démarcations, sa zone de contrôle ou d’influence. En cas d’affrontements avec les groupes rivaux, le citoyen ainsi que sa famille sont vus comme des sympathisants, des antennes, des soldats du chef de gang qui contrôlent leur territoire. En conséquence, ils tombent sous les balles assassines des ennemis de toute la zone. Ainsi, dans le rapport récent de la Fondation Je Klere (FJKL), on compte plus de 400 victimes fatales dont la majorité sont des personnes innocentes: femmes, vieillards et enfants. Ils sont assassinés lâchement et leurs corps sont parfois jetés aux porcs pour les engraisser. Les habitants de ces quartiers sont des otages à ciel ouvert. Ils sont rançonnés chez eux. Ils doivent parfois payer les bandits afin de quitter ou de rentrer chez eux. Avec un peu de sympathie de la société civile, ils devraient être considérés comme les victimes permanentes d’un kidnapping collectif. Au contraire, les élites intellectuelles et économiques voient, comme des bandits, toutes personnes qui habitent un quartier pauvre de la Capitale. La police, dans ses opérations, ne vient pas en libératrice dans ses quartiers. Les policiers viennent venger leurs frères d’armes. Ils arrêtent et tuent quiconque a l’allure d’un bandit. Face à ce dilemme, les gens s’appuient sur les uniques autorités de facto de leur zone : les gangs.

Si vous êtes commerçant et que vous savez bien que vous risquez de voir vos marchandises interceptées en transit ou brûlées dans vos entrepôts, il est important d’avoir une idée des bandits sur votre passage. Il y en a ceux qui viennent à votre bureau et vous exigent des frais périodiques de protection. Quand vous payez et que tout se passe bien, alors vous avez affaire à de «gentils bandits». Il existe des groupes qui attaquent les camions transporteurs. Les bandits de Canaan sont connus pour les bons traitements donnés aux chauffeurs et pour leurs négociations rapides afin de retourner les camions piratés. Ailleurs, il faut payer pour les marchandises saisies et les chauffeurs kidnappés.

Parlant de kidnapping, il y a tellement de groupes qui s’adonnent à cette entreprise, que les proches et amis des victimes s’intéressent immédiatement à déterminer qui sont les responsables. Il y a même des victimes qui parlent de la qualité de services premium qu’elles ont reçus des bandits. Menu à la carte, piscine, télévision, alcool: tout ça vaut les centaines de milliers de dollars qui furent versés comme rançons ou le prix politique que vous représentez, comme ce fut le cas de la femme de l’ancien chef de sécurité du Palais National. Elle a même avoué avoir été émotionnellement touchée, au moment de se séparer de ses capteurs. Ces bandits étaient des gentlemen, à en croire le discours de la victime. Le directeur d’une station de radio très écoutée de la Capitale était des plus chanceux. Ses ravisseurs furent des citoyens conscients de l’importance de son travail. Il fut relâché sans payer aucune rançon. N’est-ce pas convenable de rencontrer des «bandits patriotes» ? Pareillement, les médecins et professeurs, qui sont souvent pris comme cibles faciles, doivent se réjouir de savoir qu’un groupe puissant de bandits en Plaine et à Tabarre, des «bandits intellectuels», ne s’attaque pas aux professeurs et aux médecins. Finalement, voilà des «bandits honnêtes» qui respectent les gens de bien.

Pour la diaspora, les braves qui voyagent en Haïti, sachez que certains bandits et alliés sont des sympathisants de la diaspora. Est-ce que cela voudrait dire que vous ne risquez pas d’être kidnappé, malgré tout ? Bien sûr que non. Mais la bonne nouvelle c’est que vous n’êtes pas parmi les premières cibles de certains gangsters. Et pour ceux qui pensent qu’un passeport étranger pourra les protéger, je leur rappelle que les bandits de la Croix-des-Bouquets et de Ganthier n’hésitent pas à kidnapper les Français, les Turcs, les Canadiens et les Américains. Alors, dans ces zones, il semble qu’il se trouve les plus «méchants bandits». Quand un criminel n’a pas peur de menacer des citoyens américains, alors nous autres Haïtiens, que pouvons-nous espérer comme traitements de ces bandits?

Si vous êtes un simple médecin, entrepreneur, ingénieur, vous avez très peu de chance de tomber sur des «bandits généreux». Dans les cas les plus courants, vous devez vous contenter de savoir si vous êtes entre les mains de ces bandits qui prennent plusieurs rançons, avant de libérer leurs victimes, ou si ce sont des bandits qui ne font pas d’abus physiques et sexuels. Le chef de gang du Village-de-Dieu a fait comprendre que son équipe ne touche pas aux femmes et aux enfants. Donc, si votre femme est enlevée, vous ne devriez pas penser aux bandits protecteurs de femmes et d’enfants du Village. Il y a toujours des bandits moins méchants que d’autres, n’est-ce pas?

Tristement, le concept de «bon bandit» est malheureusement ancré dans la mentalité haïtienne. À la suite de la libération contre rançon d’une victime de kidnapping, les notes de félicitations pleuvent çà et là. «Considérez-vous chanceux. Monsieur X, madame Y sont encore portés disparus, et ce, même après les versements de plusieurs rançons.» Certes, il y aura des gens qui n’hésiteront pas à parler de miracle spectaculaire, après la libération de leurs proches par des kidnappeurs. D’autres diront que les prières de votre mère, les oraisons de votre grand-mère auront finalement donné fruit. Sans oublier les compatriotes qui voient la main cachée des Loa. Honteusement, on doit admettre que, selon les bandits, selon les criminels que nous affrontons dans les rues piégées de Port-au-Prince, on peut prédire partiellement ce qui pourra nous arriver.

S’il est vrai que nous ne devrions pas parler de «bons bandits», de «gentils kidnappeurs» et des «criminels pas trop méchants», même quand ces derniers partagent une partie du butin de leurs opérations (vols et/ou kidnapping), il faut se rappeler que la distribution de quelques kits scolaires se fait par les mêmes acteurs qui kidnappent et tuent des professeurs et directeurs d’école. Ceux-là qui offrent quelques sacs de riz pour «faire du social» dans leurs zones, furent les mêmes à piller ou taxer toutes les petites boutiques de leurs zones, paralysant ainsi les activités économiques des centaines de familles. Le chef de gang qui se fait passer pour «l’agent social», investissant dans la construction d’un centre hospitalier, est souvent le même individu, accusé de séquestrations contre rançon de personnels de santé.

Avec l’absence de l’État dans certains quartiers populeux et pauvres, les soi-disant bandits recherchés par les forces de l’ordre et qui sont présentés au monde comme des malfaiteurs, se font passer pour des héros bienfaiteurs dans leurs zones, et ce, avec la complicité de certains organes de presse. La population doit se rappeler que ceux qui volent, ceux qui violent, ceux qui torturent et ceux qui tuent, après nous avoir volés, rançonnés, torturés et violés, en présence des victimes et des proches, ils sont tous des vilains, des bandits et des criminels. Certes, on ne voudrait jamais trouver sur son chemin les assassins qui tuent et qui brûlent les cadavres, sans aucun motif. Cependant, peu importe leur modus operandi, ils sont tous des prédateurs, prêts à tout pour nous détruire. Toute tentative de les présenter autrement doit être vue et prise comme manipulatrice et dangereuse pour la société. Les «bons bandits», s’ils en existent, sont ceux-là ou celles-là qui se trouvent dans nos prisons et dans nos cimetières.

ingalmazor@yahoo.com

Jacmel, Haïti

Août 2022.

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