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Et quelle sera la suite…

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Le vendredi 15 juillet, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté, à l’unanimité, la Résolution 2645, prolongeant, pour une année encore, le mandat du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH). Dans l’ensemble, le Conseil de Sécurité n’ajoute rien en substance au mandat du BINUH, ni non plus à ses ressources, à part un ajout de «42 civils et agents en détachement qui exerceront des fonctions de conseillers pour les questions de police et pour les affaires pénitentiaires, sous la direction d’un chef de la police civile des Nations Unies». Pour le reste, la Résolution: décide, réaffirme, demande, exige, encourage, engage et prie mais ne s’engage à rien. Le Conseil a trimé dur, paraît-il, pour accoucher d’un chapelet de vœux pieux, mais assortis d’aucun engagement spécifique à l’obtention d’un résultat quelconque.

Je l’avoue que je m’y attendais et que je n’espérais pas grand-chose de concret de cet exercice. Les gesticulations du représentant de la République Populaire de Chine, je le savais, c’était juste pour enquiquiner un tant soit peu son homologue américain. Toutefois, à aucun moment de la durée, il n’était envisagé d’exercer une quelconque pression en faveur de la République d’Haïti, un pays qui préfère encore traiter avec Taïwan, au lieu de transiger directement avec la super-puissance asiatique. C’est comme si nous options d’ouvrir une ambassade à Porto-Rico, plutôt que d’entretenir des liens officiels avec les États-Unis d’Amérique. Alors, lorsque nous avons un problème quelconque à traiter, il ne faut surtout pas compter sur la mansuétude et la commisération d’un pays que nous prenons plaisir à mépriser, à contre-courant de la plupart des nations indépendantes du monde et de nos voisins immédiats. Il en est de même pour le représentant de la République de Russie, qui a bien d’autres chats à fouetter, par les temps qui courent. Alors, au diable donc le dossier de la République d’Haïti, avec ses sempiternelles crises et ses massacres locaux. Tout le monde s’en fout, et le gouvernement haïtien au premier chef.

Alors, maintenant que la messe est dite pour un autre 12 mois, et en attendant le prochain renouvellement, quelle est donc la perspective pour le peuple haïtien? En fait, elle est très sombre. Au moment où se prenaient ces décisions profondément réfléchies des membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, Barbecue, le chef du G-9, menait sa petite guerre à Cité-Soleil, contre un autre malfrat du même acabit mais dans un autre camp, un certain Gabriel, alias Ti Gabo, ci devant chef du gang dénommé G-Pèp, sans la moindre intervention de l’État haïtien, même pas un tweet. Résultat: 89 morts, en une semaine d’hostilités, parmi lesquels 16 cadavres calcinés, plus de 74 blessés, au moins 16 personnes portées disparues et 124 maisons incendiées, selon un bilan avancé par le RNDDH. Ce chiffre de près de 200 victimes est à peine mentionné ailleurs dans le monde. Comme quoi, il n’y a pas de quoi faire un plat avec cela. Après tout, il ne s’agit que de quelques Haïtiens qui se massacrent entre eux. Qui s’en soucie ? Par contre, un missile russe tombe quelque part sur un complexe d’appartements en Ukraine et tout de suite après, presqu’instantanément, surgit, de nulle part, un journaliste et son caméraman pour fixer pour la postérité les horreurs de cette guerre honnie. Immanquablement, l’image fera le tour des médias dans le monde. C’est que c’est terrible la guerre, toutes les guerres, où qu’elles sévissent. Il n’y en a pas des petites et des grandes guerres pour celles et ceux qui les subissent. Immanquablement, elles font des victimes. La différence, c’est que certaines des victimes sont plus importantes que d’autres. Il y en a qui ne comptent même pas, et c’est le cas pour celles qui meurent à La Saline ou à Cité-Soleil, ou au Yémen ou en Palestine, sous le feu des bandits locaux haïtiens ou sous les bombes saoudiennes ou israéliennes. Celles-ci ne comptent pas et n’ont aucun poids dans la balance. À preuve, dites-moi quand est-ce que, pour la dernière fois, vous avez entendu parler de la guerre au Yémen ou d’un bombardement saoudien sur des soi-disant rebelles ou du missile israélien qui frappe un bunker du Hamas dans la Bande de Gaza ? Au Yémen, ce qui se passe s’appelle «une tragédie sans nom», cela fait huit ans déjà que cela dure. En Haïti, cela s’appelle «une crise interminable». Cela fait déjà quatre ans au moins que cela dure, que cela s’empire. En Ukraine, cela s’appelle «un crime abominable» et l’un des protagonistes est activement documenté par des instances internationales, aux fins de poursuites par-devant la Cour Pénale Internationale. Pourtant, cela ne fait que quelques mois, bientôt cinq mois, que cela dure. Mais, déjà, on égrène les jours de cette guerre, un à un, comme dans un sablier.

Comprenez-moi bien. J’abhorre la guerre. J’exècre toutes les guerres. Qu’elles soient de faible ou de haute intensité, elles font toutes des victimes innocentes, et certains, ailleurs, de près ou de loin, en tirent un profit sonnant et trébuchant. Les armes qui affluent sans cesse en Haïti ne sont pas apportées sur nos rives par une marée montante. Elles ont été vendues aux États-Unis par des trafiquants d’armes qui organisent une contrebande lucrative avec d’autres trafiquants d’armes au pays, déguisés en politiciens, en hommes d’affaires ou en pieuses dévotes, pour les écouler sur le terrain, au mépris des victimes que cela provoque. Juste la semaine dernière, trois cargaisons d’armes et de munitions ont été interceptées à la douane de Port-de-Paix et de Port-au-Prince. Les bateaux qui les ont transportées, le Miss Lilie et le Tempérance, reliaient régulièrement des ports de la Floride à Haïti. Pour le moment, il n’y a encore aucune précision sur leur pays d’enregistrement. Les containers auraient été chargés aux États-Unis, sans que les autorités américaines n’y mettent une interdiction. On parle ici de plusieurs centaines de milliers de dollars en armes et en munitions, par cargaison interceptée. Ces sommes enrichissent des vendeurs et des producteurs d’armes américains qui, de toute évidence, se foutent éperdument de la provenance de leurs revenus. Ceci provient des rapines opérées au pays par des bandits patronnés par quelques gros bonnets locaux, du kidnapping de nos compatriotes dont les malfrats extorquent jusqu’au dernier centime. Ces revenus proviennent du détournement des camions de marchandises sur nos voies publiques. Tout le monde le sait mais personne ne le dénonce à haute voix.

L’article 4 de la Résolution 2645, «Demande à tous les États Membres d’interdire le transfert des armes légères et de petit calibre et de leurs munitions, à des acteurs non étatiques ou d’appuyer la violence en bande organisée, les activités criminelles ou les atteintes aux droits humains en Haïti et d’empêcher le trafic et le détournement illicites de ces armes et munitions, et encourage la coopération entre les États Membres pour prévenir le trafic et le détournement des armes…» Quelle hypocrisie ! Les États-Unis d’Amérique devraient, en premier lieu, s’appliquer cette demande expresse de la Résolution qu’ils ont coparrainée avec les États-Unis du Mexique, et veiller à mettre un terme à la contrebande en armes et en munitions qui alimentent les caisses des trafiquants chez eux et les cimetières, chez nous. Comme dirait le feu Président René Préval: «Si pa t gen sitirè, pa t ap gen vò». La tolérance zéro ne devrait pas s’appliquer strictement au trafic international de la drogue, aux dépens de petits pays producteurs de coke. Le même traitement devrait également s’appliquer indistinctement aux pays qui hébergent des trafiquants d’armes et qui feignent de ne pas contrôler leurs douanes.

L’article 3 de cette Résolution «Réaffirme la nécessité pour toutes les parties prenantes haïtiennes de parvenir, avec l’appui du BINUH, à un accord urgent sur un cadre pérenne, assorti de délais et communément accepté, en vue d’un processus politique dirigé par les Haïtiens qui permette d’organiser des élections présidentielle et législatives inclusives, pacifiques, libres, régulières et transparentes, dès que les conditions de sécurité seront réunies et que la préparation logistique le permettra…» Ceci est un blanc-seing, une licence accordée à l’équipe au pouvoir actuellement, pour continuer à mener tout le monde en bateau et à persister dans ses démarches dilatoires. Elle va tuer le temps à discutailler sur un pouvoir monocéphale ou bicéphale, sur la recomposition d’un gouvernement replâtré avec des gens réputés hors de tout soupçon, sur un changement ou un amendement constitutionnel, et j’en passe. Et le temps d’épuiser ces points litigieux et d’aboutir à une unanimité où tout le monde et son père tombent finalement d’accord, il y a de bonnes chances que mes arrière-petits-enfants soient devenus chauves, depuis belle lurette. Nous voilà donc repartis pour une autre équipée qui peut durer longtemps, à moins que le peuple haïtien ne s’inspire enfin de l’exemple éloquent du peuple sri lankais et sorte le balai pour chasser tout ce fatras et le balancer, comme il convient, dans les poubelles de l’histoire. Qu’il tire enfin la chasse, une fois pour toutes, et qu’on tourne la page vers une autre perspective, moins ténébreuse.

Je vous avais prévenu, il y a quelques semaines, lors d’une parution antérieure. Il ne faut rien attendre de l’ONU ou d’un quelconque pays ami ou instance internationale. Se mèt kò ki veye kò. Personne ne viendra nous sauver de nous-mêmes et de nos démons politiques. Il nous faudra, nous-mêmes, assumer nos responsabilités et entreprendre de corriger la situation, à commencer par le congédiement pur et simple de l’actuelle équipe au pouvoir, en utilisant tous les moyens à notre disposition pour la convaincre de lever le camp. Et puis, chemin faisant, on séparera le bon grain de l’ivraie et on mettra progressivement un bon ordre à cette situation anarchique qui n’a que trop duré.

Pierre-Michel Augustin

le 19 juillet 2022

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