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Un autre «SMP» signé par l’État haïtien, un autre stratagème pour tuer le temps…

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Le 9 juin dernier, l’État haïtien signait un «Staff Monitored Program» (SMP) avec les autorités du Fonds Monétaire International (FMI). Le Ministre de l’Économie et des Finances, M. Patrick Boisvert, accompagné du Gouverneur de la Banque de la République d’Haïti, M. Jean Baden Dubois, en conférence de presse, le 30 juin dernier, est fier d’annoncer la nouvelle. On sort les violons et les castagnettes. Il ne manque que les «rara» dans les rues pour saluer la grande nouvelle. L’émotion est telle, que le Gouverneur de la BRH, M. Jean Baden Dubois, en oublie quelques bribes de notre histoire récente dans de telles signatures avec le même FMI. Selon un article de Gérard Junior Jeanty, paru dans Le Nouvelliste daté du 30 juin, M. Dubois déclarait ce qui suit, concernant cet accord. «Cela fait sept ans qu’Haïti n’arrivait pas à conclure ce programme avec le FMI. Dans le cadre de ce programme (le SMP), il est question de mettre en œuvre des politiques visant à rétablir la stabilité macroéconomique et la croissance, renforcer la gouvernance, amorcer la réduction de la pauvreté.» Pour le Ministre des Finances et de l’Économie, «ce programme, non assorti d’aide financière, constitue un signal fort pour mobiliser les fonds des autres partenaires techniques et financiers du pays. Il vise, entre autres, à aider le gouvernement à rétablir la stabilité et la croissance macro, à réduire l’inflation et mitiger ses effets sur les ménages les plus vulnérables, à travers notamment la mise en œuvre de programmes sociaux». Bref, à les croire, le pays est sauvé. À tout le moins, il serait en voie de se refaire une santé économique, dans pas grand temps. On va mettre de l’ordre dans nos finances et tout va aller mieux.

Alors, devant une telle heureuse perspective, je me suis mis à gratter un peu les dessous de la nouvelle, afin d’en tester la validité. C’est mon péché mignon, je suis un peu Thomas sur les bords. Je demande à voir le chat, le sortir du sac un peu, avant de l’acheter comptant. Cela ne m’a pas pris beaucoup de temps pour apercevoir des fissures dans ce beau vernis. Tout d’abord, contrairement à l’affirmation du Gouverneur de la BRH, je me suis rendu compte qu’il n’y a pas si longtemps qu’Haïti avait signé exactement le même protocole, presque dans les mêmes termes. Le 25 février 2018, l’État Haïtien avait paraphé le même accord avec la même institution, visant les mêmes objectifs. (Réf. Le Nouvelliste, 28-02-2018, auteur Jose Flecher). Et puis, quelques jours après sa signature, la Banque Interaméricaine de Développement, qui n’attendait que cette brise fraîche à sa voilure, atterrissait sur nos rives avec l’approbation d’un don de 225 millions de dollars, destiné, entre autres, à la reconstruction de la tour de contrôle de l’aéroport Toussaint Louverture et aussi au renflouement de l’inénarrable « Caravane du Changement » du Président Jovenel Moïse, qui était déjà en panne sèche. Mieux encore, le Représentant Résident de la BID en Haïti, M. Koldo Echebarria, à la suite de cet accord de l’État haïtien avec le FMI, promettait que l’institution qu’il représente, envisageait un important programme de décaissement au profit du pays, pas moins de 400 millions de dollars. La Timbale, quoi ! Le gouvernement Moïse/Lafontant se frottait les mains et riait sous cape. Il se croyait libéré des ennuis financiers, pour le moment du moins, quitte à conter fleurette ensuite à ces institutions qui n’y verraient que du feu. Le peuple aussi n’allait rien comprendre, de l’avis de nos doctes gouvernants, du sapin qu’ils allaient lui passer. En effet, tout un train de mesures avait été préparé et allait s’abattre sur lui, en catimini. Leur annonce avait été faite à la cloche de bois, à la faveur d’un certain match de foot que l’on espérait voir gagner par le Brésil. Mais, l’on connaît la suite. Manque de pot, cette fois-là. Le Brésil perdit la partie et le peuple se réveilla avec une gueule de bois doublement carabinée: la défaite de son équipe favorite et la découverte du pot-aux-roses que lui concoctaient ses dirigeants. Et, lors de cet autre 7 juillet fatidique, nos dirigeants se rendirent compte que le peuple, bien qu’analphabète dans une large proportion, n’était pas si bête qu’il en avait l’air. Il leur fit ravaler leur caquet, au cours de cette émeute qui ébranla, une première fois, la superbe de notre apprenti président grand-parleur mais petit-faiseur. Le couple Moïse/Lafontant dut alors mettre ce devoir au propre et ce dernier (le docteur Lafontant) perdit son poste de premier ministre, pour le compte, en conséquence. Ah! pour un président, que c’est commode de disposer d’un fusible pour absorber la charge du mécontentement populaire et d’en subir les foudres. Exit alors le bon docteur Jack Guy Lafontant et ses remèdes de cheval qui risquaient fort de causer bien des dommages au patient, le peuple, auquel il voulait les administrer, tant en raison de son dosage maladroit que de son mode d’application, tout aussi indélicat. En effet, il faudra bien un jour arriver à faire correspondre les tarifs à la pompe avec ce que le pays peut supporter de financement d’une subvention. Mais, de là à faire avaler toute la potion d’un coup sec, il y a toute une marge qu’il ne faudrait pas franchir. Nos maladresses d’État ne seront jamais transférables aux institutions internationales qui avaient cru bien faire, en nous conseillant ces redressements macroéconomiques, d’un point de vue académique, de façon générale. Nous revoilà donc, aujourd’hui, à fréquenter les mêmes sentiers, mais d’aucuns semblent oublier les avoir déjà arpentés, et de rude façon. Cela n’augure rien de bon pour la suite des choses…

Finalement, c’est quoi au juste, le SMP tant vanté? En fait, il s’agit tout simplement d’un certain nombre de mesures que le gouvernement accepterait d’appliquer et qui garantiraient à des institutions financières, le respect d’une certaine discipline administrative, économique et financière de la part de l’État, et qui, si elle était maintenue à court, à moyen et à long termes, ferait en sorte que le développement du pays serait envisageable. Le Ministre des Finances et de l’Économie a cité quelque six mesures qu’il entend appliquer, dans le cadre de ce protocole.

  • « Contenir le déficit budgétaire à 1,5% du PIB, pour l’exercice 2021-2022, et le stabiliser à moyen terme autour de 2,8%;
  • faire plafonner le financement monétaire autour de 2,2 % du PIB, contre 2,9% pour l’année précédente, et le stabiliser à moyen terme à 2%;
  • éliminer à terme les subventions aux produits pétroliers, dès que les conditions le permettront, notamment grâce aux programmes sociaux;
  • prendre en compte toutes les ressources et les activités du Fonds d’Assistance Économique et Sociale (FAES), dans le cadre budgétaire, à moyen terme;
  • construire et développer des filières de sécurité sociale, améliorer la gouvernance, la transparence et la reddition de comptes, en publiant l’ensemble des contrats et concessions publiques;
  • renforcer le cadre institutionnel de la BRH et du FAES».

Mais c’est plus vite dit que fait, et pour bien des raisons à la fois conjoncturelles et surtout structurelles. D’abord, le déficit budgétaire pour l’exercice antérieur était de 2,51% du PIB. Tenant compte de la dégradation actuelle de la situation sécuritaire, des dépenses extraordinaires entreprises par l’État pour doter, en armes et en d’autres accessoires, la Police Nationale d’Haïti, entre autres, il paraît hasardeux de penser pouvoir contenir le déficit budgétaire autour de 2,8% pour cet exercice. La tendance serait plutôt autour de 3 à 3,2% du PIB, auquel cas l’on aurait déjà échoué le premier critère d’évaluation établi par le FMI et accepté par l’État haïtien.

Le deuxième critère est tout aussi difficile à respecter dans la situation actuelle. Pour faire plafonner le financement monétaire autour de 2,2% du PIB, il faudrait que l’État augmente ses recettes internes, de même que les dons de pays étrangers ou d’institutions financières internationales, pour faire face à des pressions sociales importantes, en raison des besoins criants de la population. Or, nous savons que ce n’est pas le cas, quant aux recettes internes. D’ailleurs, le Ministre Boisvert a dû faire de nouvelles nominations à l’Administration Générale des Douanes (AGD), devant la diminution significative des recettes douanières. Toutefois, le changement des responsables de cette administration risque de ne pas avoir l’effet escompté car il ne s’agit pas simplement d’une situation d’incompétence administrative. Il s’agit de préférence d’une situation d’insécurité quasi-généralisée qui empêche, notamment à la Douane de Port-au-Prince, de fonctionner adéquatement et de rapporter à l’État les contributions financières attendues. Donc l’augmentation des dépenses générales de l’État, additionnée au manque de rentrées de fonds de la Douane de Port-au-Prince, notamment, devraient résulter en une pression soutenue de l’État sur la BRH pour financer un déficit qui ne sera pas compensé par des dons et des subsides en provenance de bailleurs étrangers. L’on parle de plus de 3 millions de personnes au pays, en presque situation de famine. Le gouvernement ne pourra pas juste les ignorer et s’en laver les mains. Par-dessus tout, ces malheureux ne vont pas se laisser mourir tranquillement, sans tenter de brasser la marmite. Alors, inévitablement, le gouvernement se tournera vers la BRH pour éponger ce déficit qui, par voie de conséquence, excèdera le plafond de 2,2 % du PIB, visé. Par ailleurs, même les transferts de la Diaspora tendraient à plafonner voire à décroître légèrement, au cours des derniers trimestres. Voilà donc un autre objectif qui sera vraisemblablement raté, au moins pour cet exercice, à moins d’un renflouement significatif de pays étrangers et d’institutions internationales. 

L’élimination des subventions des produits pétroliers est un autre vœu, pieusement formulé de longue date, mais dont la concrétisation se bute régulièrement à un problème majeur: l’Exécutif est à court d’idées pour une application, sans trop de heurt de la part de la population qui se trouvera à assumer un très lourd fardeau financier, si cela n’est pas compensé par des programmes sociaux adéquats. Jusqu’à présent, on a un peu entendu parler de ces prétendus programmes sociaux mais on tarde à en mesurer les effets réels sur la partie la plus vulnérable de la population. Et, se remémorant les troubles du 7 juillet 2018, nos gouvernants manipulent désormais ce dossier avec beaucoup plus de précaution. Ils n’y touchent pas, de peur d’essuyer les foudres de la population, une autre fois. Une peur salutaire, c’est parfois le début de la sagesse, dit-on.

En ce qui concerne les trois autres pans de ce programme, c’est de la bouillie pour des naïfs indécrottables. Les ressources et les activités du Fonds d’Assistance Économique et Sociale (FAES) devraient déjà être prises en compte, dans le cadre budgétaire, à moyen terme. Cela va de soi, et que cela ne le soit pas déjà est hautement irrégulier et même scandaleux. De même, le renforcement du cadre institutionnel de la BRH et du FAES, c’est un objectif très louable en soi. Tout comme d’ailleurs la construction et le développement des filières de sécurité sociale, l’amélioration de la gouvernance, de la transparence et de la reddition de comptes, par la publication de l’ensemble des contrats et concessions publiques, comment cela peut-il en être autrement ? Cela est inscrit, depuis longtemps déjà, je pense, dans nos procédures administratives. Mais, après l’avoir dit, on le fait comment ? Qui en sera responsable et imputable ? Combien de nos ministres, de nos secrétaires d’État, des personnes en charge de la gestion de nos fonds publics ont fait le strict minimum requis: la déclaration de patrimoine ? On serait surpris du nombre de nos gouvernants qui s’en sont abstenus.

À ma compréhension, l’acceptation par ce Gouvernement de se laisser observer par la FMI, dans le cadre du Staff Monitored Program (SMP), est juste un autre écran de fumée, une autre manœuvre dilatoire pour gagner du temps et se donner bonne presse à l’international. Rien d’autre. Pour appliquer ces mesures d’autodiscipline dans la gouvernance macroéconomique du pays, il faut d’abord y croire, résolument. Il faut ensuite être assez crédible auprès de la population et des agents économiques du pays, pour les leur vendre et leur faire accepter de s’y astreindre. Le déficit de crédibilité de ce gouvernement, dans toutes les sphères de ses activités et à tous les niveaux hiérarchiques, est un handicap majeur qui met en péril la réussite d’un tel programme, dès le départ. Tout au plus, cela habilitera quelques gouvernements étrangers ou quelques bailleurs de fonds internationaux à défendre auprès de leurs commettants, la décision de promettre quelques miettes à ce gouvernement, quitte à n’en verser qu’une infime partie, en attendant de voir des résultats patents qui ne seront finalement pas au rendez-vous. La signature de ce SMP, une autre fois, je le crains fort, n’est qu’un simulacre, un autre coup d’épée dans l’eau. Rien d’autre. Et cela risque d’être sans effets notables, malheureusement. À part peut-être celui de permettre à ce gouvernement de s’incruster un peu plus longtemps au pouvoir, sans rien faire pour changer un iota à la situation du pays.

Pierre-Michel Augustin

le 5 juillet 2022

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