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Il tourne et tourne, le carrousel de la destruction au pays

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La vie continue, tant bien que mal en Haïti. Enfin, plus mal que bien, malgré des gesticulations gouvernementales, tendant à faire croire le contraire. La vie de misère, de violence, d’insalubrité et surtout d’insécurité se poursuit pour la population, en général, qui est dans un état d’alerte perpétuel, un qui-vive qui le tient sur ses gardes, en permanence et en tout lieu.

À preuve que la vie continue, le bon ministre de l’Éducation Nationale, M. Nesmy Manigat, a procédé à la réouverture d’écoles dont certaines avaient cessé de fonctionner depuis de longs mois. Et ce n’était pas en raison d’un certain mouvement de Peyi Lòk dont nous nous souvenons encore bien mais qui n’avait duré que l’espace d’un trimestre, et encore sporadiquement. Il réouvre les portes des écoles à Cité-Soleil, à Varreux, à Martissant, des zones réputées, certaines de non-droit, de violences extrêmes, mettant en danger la vie et la sécurité des enfants comme de leurs parents. Certaines de ces institutions n’avaient pas fonctionné depuis juin dernier, paraitrait-il. À preuve que la vie continue son petit bonhomme de chemin, le bon ministre de l’Éducation Nationale a fait réapprovisionner les cantines de ces établissements. En plus du pain de l’instruction, on fournira du pain tout court à ces enfants qui ont la chance de fréquenter une institution scolaire, il est vrai que ce soit parfois au péril de leur vie. N’est-ce pas là, une bonne nouvelle? Pourtant, à Martissant, là où, hier encore, l’on a assassiné un jeune homme de 19 ans, Stevenson Théodore, qui avait le malheur d’être dans un bus, en direction du Sud, le ministre vient tout juste de réouvrir également les portes de l’institution sise à côté de l’église Ste-Bernadette, l’École Nationale République du Pérou, ainsi que celle dénommée École Nationale d’application, un peu plus loin, dans le même secteur. Le ministre Manigat leur a même payé une petite visite d’encouragement. L’histoire ne dit pas de combien d’hommes et de femmes en armes il était accompagné, lors de ces visites, ni si le gouvernement s’était entendu au préalable avec Ti Lapli, le seigneur des lieux, pour délivrer un sauf-conduit au ministre. Pourtant, il avait fallu une opération de la Police, le 24 mai, à Carrefour- New-York, pour libérer 27 élèves dont le bus avait été détourné et qui avaient été kidnappés par des bandits armés.

Pendant cette gesticulation ministérielle pour faire croire à un certain apaisement de la situation ou à un meilleur contrôle du phénomène d’insécurité galopante, un rapport du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) établissait un bilan catastrophique de la situation de la sécurité publique au pays et estimait à plus de 34 500, le nombre de personnes qui ont dû fuir leur maison dans la zone métropolitaine, entre le 24 avril et le 20 mai. Ces témoignages sont repris par la Haut-Commissaire des Nations-Unies, Mme Michèle Bachelet, selon des informations publiées dans les colonnes de ce journal, sous les plumes de Stevenson Bazelaire et de Smith Prinvil. Pour sa part, «Save the Children» établit pour la même période, le tableau des écoles qui ont dû fermer leurs portes, en raison de la violence des gangs armés, et le chiffre à 442 écoles. Pourtant, le ministre Manigat trouve la situation assez sous contrôle pour risquer la vie et la sécurité des enfants dans ces zones troublées. Allez comprendre quelque chose.

Sur un autre front, pendant que persiste le blocage du trafic routier à Martissant, pendant que les commerçants du Grand Sud s’apprêtent à s’engager dans une grève illimitée pour forcer le gouvernement à agir de façon à libérer Martissant de l’emprise des bandits, la Banque Mondiale arrive à la rescousse pour annoncer une enveloppe de 120 millions de dollars pour améliorer le trafic routier dans le Grand Sud. Il est vrai qu’en matière d’infrastructures routières, le Grand Sud, tout particulièrement les Nippes et la Grande-Anse, n’est pas très choyé. Néanmoins, une telle annonce ne pouvait pas tomber à un moment plus bizarre. De toute façon, tant que durera le blocus de Martissant, le Grand Sud, même avec une certaine amélioration de son parc routier, ne pourra pas transporter, librement et sans risque, sa production locale à la capitale ni ne pourra se réapprovisionner en intrants, à partir de la celle-ci. Un tel appui financier pour l’amélioration des voies de pénétration dans le Grand Sud ne sera jamais en pure perte. Il y a tellement de choses à faire dans ce domaine, qu’il ne saurait en être autrement. Toutefois, à commencer par le commencement, il faudrait envisager, en toute priorité, d’ouvrir la voie existante pour faciliter le trafic, actuellement, avant d’envisager des améliorations routières qui ne pourraient être mises à profit, en raison de la présence de bandits de grand chemin qui y sévissent.

Sur un autre front, on ne peut que constater et déplorer l’immobilisme et l’absence totale d’une certaine inventivité politique de la part du Bureau de Suivi de l’Accord de Montana. Il y a quelques semaines, c’était le Premier Ministre Ariel Henry qui prenait l’initiative politique, pour donner l’illusion d’une ouverture de sa part à des négociations politiques. Depuis lors, c’est le néant, jusqu’à la prochaine poussée de fièvre. Pour le moment, tout le monde a l’esprit tourné vers un passé douloureux qui n’est pas du tout à notre honneur. On s’était fait avoir par les Français, d’abord, et les Américains, ensuite, pour sécher nos finances et user de supercheries financières et de rapines militaires pour nous dérober les maigres avoirs que nous peinions à accumuler. Toutefois, jusqu’à présent, on ne s’est pas encore posé la question à savoir pourquoi, lorsque l’ex-président Jean Bertrand Aristide avait remis au moins le premier de ces dossiers sulfureux à l’agenda du pays, personne, du gratin politique de l’opposition d’alors, n’avait pensé à faire une trêve, au nom de la défense des intérêts supérieurs du pays, pour l’accompagner afin d’aller correctement au fond des choses. Vous vous imaginez le pactole que l’on aurait pu, peut-être, obtenir de la France, à titre de réparation pour les escroqueries que ce pays et ses institutions ont extorqué d’Haïti. Même la moitié de cette somme mirobolante de 21 milliards de dollars, réclamée alors par le gouvernement du Président Aristide, nous aurait largement dépanné et nous aurait permis de mettre le pays sur les rails du développement soutenable. Construire les 4 à 5 mille kilomètres de routes pour relier toutes les régions du pays entre elles, construire et administrer les quelque 10 grands hôpitaux universitaires, un dans chacun des départements, mais surtout les équiper et les doter en personnel, adéquatement, pour offrir un service raisonnable à la population, imaginez tout cela, et plus encore. Mais, le problème était d’abord qu’il ne fallait pas qu’Aristide et son parti, Fanmi Lavalas, puissent récolter la part du lion des lauriers politiques qui en retomberaient. Cela était inconcevable. On avait préféré risquer l’effondrement du pays, plutôt qu’envisager une telle perspective. Aussi, à la première opportunité, le Premier Ministre de facto de l’époque, totalement inconstitutionnel, se rendit à l’Élysée pour renoncer officiellement et publiquement à ce qu’il avait convenu d’être une aberration politique d’Aristide. Gérard Latortue n’avait pas su reconnaître et embrasser les intérêts supérieurs du pays, et la plupart des politicards de l’époque, non plus.

S’ils avaient pu le faire sur ce dossier, il aurait été plus facile, après ce précédent historique, de revenir par la suite avec le dossier de la Banque Nationale d’Haïti, flouée par le Crédit Industriel et Commercial de la France. Il aurait été plus facile, par la suite, après ces précédents historiques, de revenir avec le dossier du vol des réserves en or de la Banque Nationale d’Haïti par les Marines américains, pour le compte de leur gouvernement, en décembre 1914. Forte de ces démarches appuyées par l’ensemble de l’élite politique du pays, sinon unanimement (car on trouvera toujours quelques Conzé, tapis dans nos officines politiques), Haïti pourrait se distinguer une 2e fois, élogieusement, dans le concert des Nations, en ouvrant la voie pour toutes les autres anciennes colonies et toutes les néo-colonies contemporaines, pour demander, exiger même rétribution, réparation auprès de leurs anciennes métropoles qui les ont spoliées et qui le font encore aujourd’hui, avec d’autres méthodes. Mais, au lieu de cela, nous avions même questionné la validité et le bien-fondé d’une telle démarche, de peur de voir triompher un adversaire politique qu’on nous avait dépeint comme un ennemi à abattre, par tous les moyens, même au prix du suicide collectif auquel nous assistons aujourd’hui, l’effondrement général du pays.

J’imagine ensuite la restitution de la Navase à 60 kilomètres du Cap Tiburon, une île d’une superficie d’à peine 18 kilomètres carrés, revendiquée et confisquée illégalement, selon le droit maritime international, par les États-Unis d’Amérique dont le plus proche territoire, la Floride, se trouve à 606 milles marins, soit 1122 kilomètres environ. J’imagine tout cela et je me perds à rêver de justice pour ce pays et pour ce peuple. À rêver aussi aux retombées internationales pour tous ces pays exploités par d’autres, en raison du droit que confère, à ceux-ci, leur force sur plus petit qu’eux.

Mais tout cela n’est qu’utopie, me diriez-vous, peut-être une douce mais dangereuse folie. Il suffit juste de regarder le monde autour de nous, mis à feu et à sang, en raison de la loi du plus fort et du droit de tuer dans l’œuf des éventuelles menaces, fondées ou non, à la sécurité d’un quelconque petit ou grand potentat, en raison aussi de l’utilisation de lointaines élites vassales, pour mener aux dépens de leur population et de leur pays, une guerre d’attrition, par procuration, au bénéfice du suzerain qui se tient à distance, bien à l’abri des horions infligés au vassal consentant. Les exemples sont légion.

J’aurais tellement aimé nous voir dans la peau d’un pays à l’abri de tels ennuis, par la force de notre cohésion, comme au temps si court où notre devise emblématique disait vrai. J’aurais bien aimé qu’à la place de gesticulations gratuites et autres effets de manche politiques, nos ministres se mettent effectivement à administrer les dossiers qui leur sont confiés et surtout qu’ils apportent des résultats tangibles d’amélioration de la situation de leurs mandants. J’aurais tellement souhaité aussi voir une opposition diligente prendre l’initiative de forcer le déblocage politique. Cela fait beaucoup de souhaits, beaucoup de vœux à exaucer. Je le sais. Mais, entre le fait de les formuler ou de tout simplement contempler le carrousel qui n’en finit pas de tourner avec le même sempiternel chapelet de misère, je choisis encore l’espoir fragile et mince que le vent bientôt tournera en faveur du pays.

Pierre-Michel Augustin

le 31 mai 2022

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