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On lance des ballons d’essai, pendant que brûlent les banlieues de la capitale

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Les temps sont durs. Le rififi est pris dans la capitale et dans ses banlieues nord et sud. Les populations des quartiers entiers se terrent sous leur lit ou décampent pour aller bivouaquer, à ciel ouvert, dans les parcs publics, dans d’autres quartiers plus ou moins épargnés de cette avalanche de violence meurtrière. Et, pendant tout ce temps, nos gouvernants tergiversent et supputent des options à leur disposition. C’est qu’il faudrait trouver l’outil parfait, par excellence, pour poser un garrot sur cette artère de laquelle gicle ce sang qui inonde des quartiers entiers de la capitale et de ses environs. Il y a urgence, crie-t-on de partout, ou presque. Mais, pas de panique. Ils prennent le temps de réfléchir à toutes leurs options, y compris celles qui sont les plus académiques et probablement assez inopérantes, compte tenu de la situation actuelle du pays. C’est ainsi que les populations de la banlieue nord de la capitale vécurent la situation, pendant près de 10 jours, sous le feu intense de 400 Mawozo et de Chen Mechan, 2 gangs qui se disputent le contrôle de cette zone.

Pendant ce temps, le gouvernement du Dr Ariel Henry réfléchissait, parait-il, sur la réponse optimale, appropriée, à apporter pour corriger, une fois pour toutes, la situation. De tous les côtés, il pleuvait des demandes instantes d’une réponse quelconque, d’une manifestation quelconque des autorités de l’État. Un regroupement d’experts en sécurité publique, lui, s’était penché sur la question et avait fait ses recommandations. Cela tombe sous le sens commun: il faut déclarer l’État d’urgence pour doter les forces publiques de pouvoirs spéciaux et les habiliter à prendre des actions extraordinaires, afin d’arrêter l’hécatombe. Mais, l’état d’urgence se décline en plusieurs variantes. Alors, laquelle envisager, laquelle décréter, qui soit la plus appropriée ? Remarquez qu’en 2008, le Président René Préval avait invoqué et fait adopter une telle loi pour faire face à une succession de calamités naturelles qui s’étaient affaissées sur le pays. Une Commission bicamérale d’urgence avait planché sur cette loi et avait fait adopter, par le Parlement d’alors, une disposition habilitant le gouvernement et des structures étatiques à prendre des mesures extraordinaires, pour faire face aux conséquences de plusieurs catastrophes qui s’étaient abattues sur le pays, à l’époque. Cette proposition de loi, dans ses dérogations et dans ses renforcements, il est clair, ne suffirait pas pour faire face à la situation que vit actuellement le pays. La catastrophe, cette fois-ci, n’a rien de naturel. Il s’agit d’actes de grand banditisme, de violences armées mettant en péril la vie et la propriété des citoyens, et qui constituent une menace à l’intégrité nationale et à la sécurité publique. Des moyens législatifs et sécuritaires plus puissants doivent être mobilisés pour tenter de circonscrire et d’enrayer les dégâts causés par cette situation. Faut-il alors envisager l’État de siège?

Mais, l’État de siège, comme l’expliquait Me Patrick Laurent dans un article paru dans Le Nouvelliste, le 7 juillet 2021, requiert également une procédure pour le décréter, et une certaine logistique pour le mettre en vigueur. Et les deux font cruellement défaut au pays, dans la situation actuelle, évidemment, pour autant que l’on veuille rester dans un cadre minimalement constitutionnel. Les causes qui permettent d’invoquer l’État de siège sont largement existantes. Certes. Toutefois, la procédure pour son invocation et sa mise en vigueur, de même que les moyens et la logistique qui y sont applicables sont loin d’être le cas. Comme l’expliquait Me Laurent, l’État de siège est décrété par un vote de l’Assemblée Nationale, pour une durée de 15 jours, renouvelable. C’est un cas classique de transfert du pouvoir exécutif aux instances militaires. Les tribunaux civils cèdent alors le pas aux tribunaux militaires, pendant la durée de l’État de siège. Mais voilà, en Haïti, actuellement, nous n’avons pas vraiment une armée à laquelle on pourrait transmettre un tel pouvoir, une telle responsabilité. Cet embryon de corps militaire dont nous disposons est tout, sauf une armée. Et quant à détenir un tribunal militaire, c’est un attribut qui relève généralement d’une institution bien rodée et fonctionnelle, ce qui est loin d’être le cas pour la nouvelle FAd’H de Jovenel Moïse. Nous n’avons pas non plus un Sénat ni une Chambre des Députés pour faire fonction d’Assemblée Nationale qui devrait siéger en permanence pendant la durée dudit État de siège, comme prévu à la Constitution. Alors, invoquer une telle disposition et la mettre en vigueur deviennent également impossibles à faire, à moins d’envisager explorer l’ultra-constitutionalité absolue. Après tout, nul ne peut prétendre que le pays fonctionne encore dans un cadre constitutionnel quelconque. On peut bien faire semblant d’y croire mais personne ne saurait en être dupe.

À mon avis, le pseudo-décret, invoquant l’État d’urgence, qui était en circulation sur les réseaux sociaux la semaine dernière, était probablement un exercice délibéré de l’Exécutif, pour mesurer le niveau d’appui qu’il recevrait de la population, advenant qu’il aille de l’avant avec une telle démarche. Celle-ci serait-elle suffisamment aux abois pour consentir, le temps qu’il le faudra, à une aliénation de ses droits civils et politiques, au profit de ses prérogatives les plus fondamentales dans la hiérarchie des droits humains : droit à la vie, droit à son intégrité physique, à la protection de ses biens privés, droit à la sécurité dans sa demeure, droit de se déplacer sans contrainte ni risque de kidnapping, partout sur le territoire national? Bref, c’était en fait un ballon d’essai, pour voir comment la population et les instances de la société civile recevraient et accepteraient la mise en vigueur de ces restrictions, pour la sauvegarde ultime du pays. Avant cela, on avait même flirté, pendant un moment, avec la réinstauration de la peine capitale pour des crimes de sang, dans le cadre de cette situation d’anarchie. Il semblait alors que le niveau d’assentiment de la population n’était pas encore suffisamment élevé, pour risquer de brader le mince capital politique qui tient encore ce gouvernement au pouvoir. Après tout, il ne doit sa survie et son existence qu’au support plus ou moins actif de la Communauté Internationale, et il ne tentera rien qui risque de la déplaire ou de l’indisposer à son égard, à moins de pouvoir lui démontrer une acceptabilité sociale, manifeste qui justifie qu’il aille de l’avant avec une quelconque mesure plus ou moins osée. Et tant pis si, entre-temps, des gens meurent, un peu à cause de son immobilisme et de ses tergiversations. Il pourra toujours plaider de ne pas en être directement la cause.

Mais il faudra quand même tenter quelque chose pour circonscrire les dégâts et sauver ce qui peut l’être encore. Les risques de perdre définitivement les quelques rares fleurons économiques dont nous disposons encore, comme Barbancourt S.A., sont réels, cette fois-ci. Devant la menace d’asphyxie de cette entreprise et de quelques autres qui pourraient être tentés de se relocaliser, il faudrait faire quelque chose pour casser ce cycle infernal qui, au cours de nos turpitudes passées, en a vu partir quelques autres, sous d’autres cieux moins turbulents, plus cléments et plus propices aux développement des bonnes idées et des bonnes affaires, comme celles de la famille Désulmé à la Jamaïque, pionnière des industries de plastique et de la télévision en Haïti mais dont les entreprises n’ont connu un essor remarquable qu’après l’exil de Joseph Thomas Désulmé dans ce pays frère, par François Duvalier. C’est ainsi qu’il faut comprendre le cri d’alarme de Gregory Brandt, Président de la Chambre Franco-Haïtienne de Commerce et d’Industrie (CFHCI), lorsqu’il dit : « cette situation est d’autant plus préoccupante pour deux de nos membres : la Société du Rhum Barbancourt S.A. et Les Aliments Congelés S. A. Ces derniers déplorent l’absence totale des autorités policières», tel que mentionné par Emmanuel Saintus dans un de ses articles de cette semaine pour Haïti-Progrès. Et c’est dans cette situation qu’a coulé ce pseudo-décret d’État d’urgence dans les réseaux sociaux.

À la vérité, le pays est déjà en dehors de tous les prescrits de la Constitution. Il est sans président depuis bientôt un an. Et, avant son assassinat, Jovenel Moïse était lui-même un président de facto, extraconstitutionnel, qui gouvernait par décret depuis plusieurs mois, ce que ne prévoit pas notre Constitution en vigueur. Notre Parlement est actuellement réduit au tiers du Sénat, donc totalement inopérant, incapable même de tenir une réunion valide, puisque sans possibilité de quorum. Quant à l’armée à laquelle, en cas d’État de siège déclaré, il faudrait se fier pour rétablir la situation et garantir la sécurité et la sauvegarde de la Nation, c’est une vue de l’esprit, un «ragtag» d’anciens militaires auquel on a essayé de greffer quelques jeunes éléments dotés d’une formation militaire à la sauvette, une espèce de bachotage en règle, dans une académie militaire de troisième ou de quatrième ordre. Le résultat net est qu’il n’existe aucune bonne réponse, basée sur les prescrits de notre Constitution. Alors, il faut faire preuve d’un esprit innovant et surtout œuvre utile, dans la situation.

En situation d’urgence nationale, il faut faire ce qu’on peut pour sauver ce qu’on doit et ce qui peut l’être encore, quitte à conscrire les anciens policiers et les anciens militaires, aptes à porter encore les armes et à protéger la population. Il faut se donner les moyens, maintenant, pour y faire face, quitte à verser un peu dans la surdose, pourvu que les intentions soient bonnes et les résultats probants. Lorsque le feu est pris dans la maison d’à côté, ce n’est pas le moment d’essayer d’éviter d’endommager le piano de la maison voisine. Il faut arroser à grande eau, pour essayer de contenir le sinistre. Et si, ce faisant, on endommage ledit piano où ce tableau très cher qui était accroché au mur et qui faisait le ravissement des résidents, alors tant pis. Au moins, ceux-ci auront la vie sauve et peut-être un toit sur leur tête, après l’incendie. C’est pareil pour nous, pour le pays, aujourd’hui. Ceux qui se sont débattus comme des diablotins dans l’eau bénite pour avoir le terrible privilège de diriger le pays, dans la situation que nous connaissions en juillet dernier, savaient parfaitement dans quelle galère ils s’embarquaient. Il convient donc tout à fait de leur demander de prendre les responsabilités qu’ils avaient revendiquées, pour assumer les décisions qui s’imposent à eux aujourd’hui. Il faut tout faire pour mettre de l’ordre dans ce gâchis ou, à défaut, il faut démissionner et laisser la place à d’autres qui voudront au moins tenter de redresser la barque et de remettre le pays sur une voie ordonnée.

Bien sûr, ces décisions ne seront pas faciles et ne plairont pas à tout le monde, surtout pas à celles et à ceux qui en profitent aujourd’hui. Mais alors, tant pis. Gouverner, c’est aussi faire des choix, parfois difficiles. C’est trancher et assumer la responsabilité, devant la population et devant ses pairs, des choix que l’on a dû faire pour sauver le pays. L’Histoire, ensuite, jugera, en temps et lieu, selon les résultats obtenus. Mais, pour le reste, la tergiversation, aujourd’hui, n’est plus une option. Et les professions de foi démocratiques, les beaux discours pour consommation étrangère sur ce qui est éthique et constitutionnellement acceptable, pour le moment, ce ne sont que des paravents pour pleutres, des balivernes pour tenter de gagner du temps, pour s’accrocher, sans but précis, à un semblant de pouvoir, pendant que des barbares mettent le pays à feu et à sang.

Pierre-Michel Augustin

le 10 mai 2022

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