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«Indifférence, nonchalance, passivité ou complicité ?»

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L’air d’indifférence et de désinvolture de la communauté internationale, vis-à-vis de la crise intestine et séculaire ayitienne qui déjà perdure depuis trop longtemps, ne cesse d’interpeller même les esprits les moins avisés et s’avère dégoûtant aux yeux de ceux-là auxquels il reste encore un peu d’intelligence et une certaine capacité de raison et de jugement. Ainsi, piqué de curiosité, j’ai résolu de faire une petite recherche sur l’intérêt que porte l’Organisation des Nations Unies, ONU, habituellement sur la nécessité « d’intervenir », au sens le plus respectueux et sincère du terme, dans de pareilles circonstances. Comme par hasard, j’ai fait une petite exploration du site Web de l’organisation de caractère mondial, en vue de voir comment elle catégorise Ayiti, en termes de positionnement dans cadre du respect des droits humains et, parallèlement, sa situation dans ce que j’appellerais moi-même «the International ranking’s indices of security and political, economic and social stability», et qui signifierait «Classement international des indices de sécurité et de stabilité politique, économique et sociale», en français.

À mon grand étonnement, au regard de l’instance internationale chargée de garantir un climat de paix, d’harmonie, de bon voisinage, de stabilité et le principe d’autodétermination des États membres, tout semble aller bien en Ayiti, car le pays meurtri par une flambée d’insécurité, de kidnappings et d’instabilité, au point de coûter la vie au président de la République, ne figure point sur la carte des pays problématiques et qui, par voie de conséquence, méritent une attention particulière. À noter que pour les pays en proie à des difficultés politiques, économiques et sociales, où la vie et les biens des populations se voient menacés, l’ONU se réunit très rapidement en session extraordinaire, en vue de trouver une résolution, ne serait-ce que sporadique et partielle, pour pallier la crise, comme il a d’ailleurs été le cas en 1994 et en 2004, dans le cas de cette même Ayiti, qu’elle traite en paria et famille pauvre. À ce stade du jeu d’hypocrisie que la communauté internationale, sous le label du Core Group, est en train de nous jouer, plusieurs interrogations s’imposent dont les plus pertinentes sont les suivantes : pourquoi donc tout à coup ce changement radical de patrons de comportement vis-à-vis d’un même État, même quand dans des moments relativement et légèrement différents ? Y-a-t-il un déplacement d’intérêts ? Quelle est l’intention qui se cache derrière cet abandon inhabituel de la part de nos «partenaires» internationaux ? Pourquoi se cachent-ils pour lancer les pierres ? Pourquoi donner l’impression qu’elle est prenante d’une résolution inter-ayitienne de la crise ayitienne comme nous avions l’habitude de la lui réclamer ? Quel est le motif du retrait apparent, alors que, sous leurs yeux, la capitale du pays, Port-au-Prince, est pris en otage par des bandits et devient presque invivable ? Les jeunes partent vers des rives incertaines, à la recherche d’un mieux-être, où qu’il soit, et dans n’importe quelle condition, dans la mesure où ils auront l’espoir d’une espérance de vie dépassant les 24 heures de temps renouvelables à laquelle ils sont astreints en Ayiti.

La vérité, combinée à la réalité, c’est que durant ses quasiment deux siècles d’existence, le pays caribéen, devenu par son acte d’indépendance, en mettant en déroute l’armée napoléonienne, la plus puissante et redoutable de l’époque, le fleuron de la race noire, le symbole par excellence des luttes des peuples pour la liberté, et la Première République Noire du monde, patauge dans une crise interminable de stabilité politique, économique, sociale, religieuse, culturelle et identitaire qui ne lui a jamais permis de se relever ni encore moins de se construire, comme peuple, comme nation, comme pays indépendant et État-nation. La pauvreté, le sous-développement, le marasme économique, l’instabilité et l’apparence de gouvernabilité ou d’ingouvernabilité d’Ayiti ont leurs origine et explications, ont des causes qui ne datent pas d’aujourd’hui. Si on remonte l’histoire, l’on se rendra compte que bien, avant la dette de l’indépendance, la première agression que la toute jeune république eut à faire face, c’est le déni de notre indépendance par les États-Unis, alors qu’ils s’approvisionnaient en produits de première nécessité de l’époque chez nous, en l’occurrence : sucre, café, cacao, coton, pite, etc. Il a donc fallu 58 ans pour que notre fidèle ami loyal, les États-Unis, reconnaisse notre indépendance, soit le 5 juin 1862, deux ans avant l’abolition officielle de l’esclavage sur le territoire américain. Comme on peut bien le remarquer, rien n’est fortuit ni gratuit en diplomatie. Encore une fois, cette reconnaissance tardive de l’indépendance d’Ayiti a ses explications. Pour mieux comprendre l’attitude des puissances colonialistes et impérialistes occidentales, vis-à-vis d’Ayiti, point besoin d’aller trop loin. Il suffit de faire appel aux mêmes enjeux colonialistes (économiques), esclavagistes et racistes pour s’y éclairer la lanterne. Rose-Mie Léonard, dans le résumé de son livre, intitulé : «L’indépendance d’Haïti : perceptions aux États-Unis 1804-1864», à la maison d’édition (Persée) Outremers, tome 90, n°340-341, 2e semestre 2003, ne pourrait être plus illustrative dans son élucidation. «La fin de l’esclavage dans les colonies et la reconnaissance de d’Haïti deviennent, tout au long du 19ème siècle, des enjeux politiques majeurs pour les puissances coloniales de l’époque. Ces enjeux ont scellé le devenir des deux premiers pays libres et indépendants de l’Amérique : Haïti et les États-Unis. Tandis que les États-Unis sont devenus un État fort, respecté et accepté par la communauté des nations, Haïti est devenue un État paria, isolé, méprisé, faible. Les relations entre les deux pays, de 1804 à 1864, se jouent sur cette trame de fond. Dans la perception des officiels américains, Haïti est surtout un État peuplé de sauvages qu’il faut réprimer et ignorer, au niveau diplomatique. Il se trouve pourtant des abolitionnistes blancs qui prennent la défense du nouvel État nègre dans les relations haïtiano-américaines. Dans la perception des Noirs, Haïti est une référence qui fonctionne à la fois comme symbole de sortie de l’esclavage, comme terre d’asile et comme lieu d’inspiration politique. Mais cette perception est aussi celle des Noirs du monde atlantique et des Haïtiens eux-mêmes. Ainsi, de 1807 à 1861, cette triple référence se concrétise, pour une partie des Noirs américains, par l’immigration vers Haïti, que cette entreprise soit le résultat d’une politique des gouvernements haïtiens ou de l’initiative des Noirs américains eux-mêmes.» Ainsi donc, on comprendra aisément, même sans comprendre la déclaration du président américain Franklin Delano Roosevelt sur Ayiti. «Il faut constamment soulever les va-nu-pieds contre les gens à chaussures et mettre les gens à chaussures en état de s’entre-déchirer les uns les autres, c’est la seule façon pour nous d’avoir une prédominance continue sur ce pays de nègres qui a conquis son indépendance par les armes. Ce qui est un mauvais exemple pour les 28 millions de Noirs d’Amérique.»

Depuis, nous n’avons jamais connu ni des moments de stabilité, ni encore moins des moments de progrès. Ils se sont arrangés de manière telle que cette déclaration ait son application dans leur politique avec nous, sans nous, pour nous et contre nous. Ils ont tout fait pour nous diviser et nous opposer les uns contre les autres. Toute notre histoire est foncièrement marquée par des luttes de camps et d’intérêts de classes et de castes : milat-tinèg nwè ou tèt grenn, peyizan-moun lavil, «philosophes-analphabètes», jan lespri-jan sòt, liberaliste-nationaliste, Kako-Pikè, extrémiste droit-extrémiste gauche, makout-lavalasyen, etc. Sachant que le jour où nous unirions nos forces, nos ressources, nos richesses et nos spiritualités, plus rien ni personne ne pourra nous retenir ni nous maintenir dans les gouffres du sous-développement, de l’analphabétisme et bien sûr de la pauvreté, ils trouvent toujours comment semer la zizanie entre nous, pour nous distraire de la défense de la vraie et bonne cause, Ayiti indivisible, un seul peuple, une seule nation métissée d’autres ethnies, d’autres nations et d’autres cultures, le long de notre histoire si riche, unis autour du slogan magique : «L’union fait la force,» qu’il ne nous faut jamais oublier et qu’il faut répéter à gorge déployée.

J’espère que nous serons à même de comprendre pourquoi, durant l’année 2021, en pleine pandémie, l’ONU a pu tout de même jeter son dévolu sur certains pays en situation difficile dont : la Syrie où la méfiance a prévalu sur la paix, le Yémen, expression de la pire crise humanitaire au monde, l’Afghanistan, où la population fait face à la violence des Talibans, l’Éthiopie, se trouvant entre insécurité et violation des droits de l’homme, le Myanmar qui constitue encore un défi pour la stabilité régionale et enfin le Mali qui, à leurs yeux bleus, représente une zone de danger pour le maintien de la paix, selon le rapport du Centre Régional et information pour les pays de l’Europe Occidentale des Nations Unies, pour l’année 2021 : l’action de l’ONU dans les pays en conflit. Est-ce que cela voudrait dire que la crise ayitienne n’est point engendrée par une situation de conflits si profonds que nos origines hybrides mêmes, et que par conséquent elle ne mérite pas d’être prise en compte, et qu’il ne nous faut donc que leur mépris et dédain ?

En effet, Ayiti où sévit véritablement la pire crise humanitaire, où les populations fuient le pays par des centaines de milliers, à la première ouverture et opportunité, la politique devient l’affaire des voyous, des corrompus, de délinquants, des bandits, des gangs et des oligarques cupides et criminels. Depuis tantôt deux ans, Ayiti endure la pire crise de son histoire, qui cesse d’ailleurs d’être politique, économique et sociale, pour devenir une crise humanitaire. La durée de vie moyenne d’un Ayitien aujourd’hui est de 24 heures de temps renouvelables et les modèles de réussite sont les politiciens corrompus et les bandits qui, de plus en plus, se légalisent et font la loi. Honnêtement, je suis tombé des nues, et on ne peut plus choqué. Et cela me porte à penser au point de me demander est-ce que, tout en ne cessant de condamner les dernières missions de l’institution mondiale ayant accouché ce que nous avons aujourd’hui comme réalité, il n’y a pas lieu de porter plainte auprès de sa propre Cour de justice internationale contre l’institution onusienne, pour abandon des populations en danger ? Très sincèrement, je me demande si cette réflexion ne pourrait pas faire objectif d’une pétition auprès du Département d’État des États-Unis, «notre plus grand allié historique» ainsi qu’auprès du Conseil de sécurité des Nations unies, pour que la crise, provoquée et commanditée par des invisibles, soit finalement prise en compte, non pas comme en 1915, en 1994 jusqu’à aujourd’hui, mais vraiment et pour de bon, avec aux premiers rangs les forces vives de la nation ayitienne. Si nous n’allons point nous berner d’illusion, en pensant que les Blancs nous viendront en aide, comme d’habitude, en sauveurs, pour nous tirer d’affaires et des situations qu’ils ont eux-mêmes cautionnées et provoquées, il est tout aussi vrai que, vu la gravité de la situation et le complot de très haut niveau dont nous sommes victimes, naïvement, il y a fort à parier que nous ne puissions nous en sortir tous seuls. Ainsi, de même que l’année 2021 a été marquée par de nombreux défis humanitaires et sécuritaires à travers le monde où les Nations Unis n’ont pas ménagé leur implication pour la résolution de ces crises, le peuple ayitien en exige pareil. Si, malgré les risques et les difficultés, les Nations Unies ont réaffirmé leur engagement à protéger les personnes en zones de conflit, qu’en est-il de la population ayitienne qui ne sait plus où donner de la tête, à cause de la recrudescence de l’insécurité, du kidnapping, la gangrène des quartiers populaires par les gangs ?

Jean Camille Étienne, (Kmi-Lingus)

Arch. en politique et gestion de l’environnement,

01/05/2022

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