HomeActualitéL’immobilisme du gouvernement ne peut pas être une option viable

L’immobilisme du gouvernement ne peut pas être une option viable

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Le pays est devenu, tout particulièrement dans la zone métropolitaine de la capitale, une jungle où le danger peut fondre sur n’importe qui, à tout moment. La capitale tangue comme un rafiot en perdition, et ses habitants sont comme autant de passagers qui vivent une situation précaire et qui sont tout simplement en sursis. Plus personne ne peut vraiment se penser en sécurité. Cela vaut autant pour le quidam des bas-quartiers, tout comme pour le nanti, barricadé dans sa villa protégée par un mur de clôture de trois mètres, couronné de barbelé-rasoir. Cela a été amplement mis en évidence par les évènements tragiques de la dernière semaine.

J’appréhendais un autre dérapage de la Police, suivi d’une autre escalade de la part des manifestants furieux des traitements que leur réservent d’habitude les représentants de la force constabulaire. Certes, je donnais bien le crédit aux responsables du Sant Karl Lévêque, entre autres, qui avaient initié le projet de manifestation, de pouvoir la mener dans le cadre pacifique qu’ils avaient annoncé. Néanmoins, je me disais que personne, aucune organisation au pays n’est vraiment à l’abri d’une défaillance fortuite, d’un sabotage délibéré. Et, lorsque cela se produit, nul ne sait exactement où cela peut nous conduire. À preuve, on a vu à quoi cela a résulté aux Cayes. Un petit avion privé a été incendié sur la piste de l’aéroport Antoine Simon, par une foule de manifestants qui en avaient ras-le-bol contre le blocage de la Route Nationale numéro 2, au niveau de Martissant et contre le prix inabordable d’un billet d’avion pour survoler la zone dangereuse et se rendre à la capitale. Cela faisait déjà quelques semaines que la grogne populaire était évidente dans cette ville dont les commerçants ne pouvaient pratiquement plus se réapprovisionner à partir de la capitale, par voie terrestre, ni écouler leurs productions locales vers les marchés de Port-au-Prince. Ce blocage quasi-complet étouffait les entreprises de la région cayenne et les signaux étaient clairs: à moins d’un déblocage de la situation qui les étranglait, il allait se passer quelque chose. La semonce se traduisit par ce coup d’éclat. Quelque regrettable qu’il fut, il fallait bien s’y attendre. Ce gouvernement ne semble bouger que lorsqu’il est placé devant un ultimatum. Et encore… Cela promet de s’envenimer car les manifestants de la métropole du Sud annoncent déjà la reprise de leur mouvement pour le jeudi 7 et le vendredi 8 avril. Jusqu’à présent la parade du gouvernement a été le remplacement du chef de police dans cette métropole, alors qu’il eut été plus efficace et plus indiqué de libérer le verrou criminel installé par des bandits au niveau de Martissant, entre autres.

Selon Haïti-Libre, l’exemple des manifestants de la ville des Cayes, parait-il, aurait été suivi, à Jacmel, cette fois-ci. Un autre petit avion, en l’espace de 24 heures, celui-ci en panne et garé sur le tarmac de son aéroport depuis quelque temps, aurait été incendié également par des manifestants contre le blocus de la Route Nationale numéro 2, au niveau de Martissant. Peut-être que, là encore, la réponse du gouvernement sera la même: on changera le chef local de la police et on demandera au nouveau d’être plus «ferme» à l’égard des manifestants. Entendez par cela de réprimer violemment ces manifestants, quelque légitimes que soient leurs revendications. Le pays, le gouvernement ne saurait tolérer ces débordements inacceptables envers des biens privés, certains biens privés, bien entendu. Il convient donc de montrer du leadership et de prendre le mauvais taureau par les cornes, surtout s’il en a peu et que ce ne soit pas tellement dangereux de le bastonner, de le gazer et de le contraindre finalement à endurer son sort. Après tout, ce gouvernement n’a que faire des sempiternelles jérémiades de divers secteurs de la population. Pour autant que ce soit une manifestation qui se limite à dénoncer cette insécurité, sans plus, sans surtout indexer ceux qui en sont les auteurs directs ou qui en sont des complices directs ou indirects, pour n’avoir pas pris les moyens efficaces de la combattre, passe encore. Mais dès que la population victime semble vouloir prendre la situation en main, même si, au demeurant, en utilisant les mauvais moyens, alors là, l’État se met en branle et la rétorsion arrive vite.

Même si on ne peut pas accuser directement le gouvernement d’être impliqué dans l’attentat contre la vie de l’ex-député de Tabarre, Arnel Bélizaire, mercredi dernier, on serait néanmoins en droit de s’interroger sur certaines coïncidences troublantes dans cette affaire. Comme par hasard, il mobilisait une frange plus radicale des manifestants qui sont allés réclamer la démission du Dr. Ariel Henry comme Premier Ministre de facto. Ils avaient un «sound truck» comme pour le carnaval et reprenaient en chœur: «Fò Ariel Ale», sous les encouragements et les harangues de l’ex-député Arnel Bélizaire. Et cela, c’était la fameuse ligne rouge, parait-il, qu’on ne doit pas, qu’on ne peut pas franchir impunément. Cela, paraît-il, serait de notoriété assez publique pour que lors d’une émission de radio assez courue de la capitale, dans la matinée de ce mercredi fatidique, on lui ait «prophétisé» un complot ourdi contre sa vie. Michel de Notresdame, malgré toute sa réputation à travers les âges, n’aurait pas pu faire mieux. Juste quelques heures après cette prophétie annoncée, le complot fut exécuté à Carrefour-Péan, en plein cœur de Port-au-Prince, en plein jour, devant une foule de spectateurs.

Mais une question se pose à mon esprit. Voulait-on vraiment exécuter Arnel Bélizaire ou simplement lui transmettre un message pour lui signifier qu’on ne prendra plus de gants avec lui, cette fois-ci, et que, désormais, on ne tolèrera plus qu’il transgresse la ligne rouge qui se traduirait comme suit: touche pas à ce pouvoir en place ou il arrivera malheur à celles et à ceux qui s’y opposent ? Je ne suis d’ailleurs pas tout seul à me poser cette question. L’actuel Président du dernier tiers du Sénat, Joseph Lambert, lui aussi se disait «préoccupé» et interloqué par les circonstances de cette tentative d’assassinat en plein jour. Cela me fait penser également à une autre tentative d’assassinat manquée dans la nuit du 7 juillet 2021. Avait-on vraiment voulu tuer Martine Moïse ou tout simplement lui transmettre un message dont elle ne pouvait pas confondre le sens et la portée ? Il ne s’agissait pas de périphrases ambiguës ou sibyllines qui laissent beaucoup de place à interprétations, du genre: «petites tapes sur la main», «faire des accidents». Rien de tel. Juste une menace non déguisée et publicisée d’un complot ourdi contre telle personne et la survenance exacte, l’exécution précise dudit complot, annoncé le matin même par un oracle qui semblait être bien au fait de ses prédictions sur la personne visée. Avec de tels prophètes à son service, on n’aurait point besoin de se constituer un Service National de Renseignements, à grands frais. Il suffirait à l’État d’en embaucher deux ou trois, et l’affaire serait conclue. On n’aurait point besoin de drones à voler dans le ciel pour essayer de localiser Ti-Lapli, Lan Mò San Jou, Barbecue e latriye, pour peu qu’ils n’aient jamais été vraiment recherchés par nos «autorités concernées». Et puis, la cible visée, l’obstacle à enlever, lui, on ne l’a pas raté. On s’est bien assuré qu’il soit parfaitement et absolument abattu. Pas juste à peu près, avec quelques chances de survie, le moindrement qu’il soit bien pris en charge avec le peu de moyens médicaux dont nous disposons sur place. Alors, je me le demande encore: était-ce un message non équivoque ou bien une autre tentative d’assassinat botchée ? Et, maintenant que ce message a été reçu 5 sur 5, restera-t-il sans réponse, fera-t-on le mort comme dans l’autre cas, ou bien sera-t-on tenté de relancer la mise? Là est toute la question, et notre expectative pour en avoir la réponse pourrait être d’une durée plus ou moins longue. Tout dépendra des capacités réelles de mobilisation et d’action des uns et des autres.

Ce qui semble certain, c’est que, dans la situation actuelle, l’immobilisme n’est pas une option. Trop de facteurs tendent vers une dégradation significative de la situation pour qu’elle puisse durer indéfiniment. Les autorités internationales concernées, nommément, le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies (PAM), ont déjà annoncé que 4,5 millions d’Haïtiens souffriraient actuellement de malnutrition et environ 1,5 millions d’entre eux seraient déjà en situation critique (IPC 4, sur une échelle de 5). Ce gouvernement ne semble avoir aucun plan pour faire face à cette situation qui ne peut qu’empirer, si rien n’est fait. Ajoutée à cela l’insécurité galopante, passant à une augmentation de 58,45% pour ce premier trimestre, en comparaison à la même période l’an dernier, tel que présenté dans le dernier bulletin de la Cellule d’Observation de la Criminalité (COC) du Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH), il y a lieu de craindre que l’on s’approche inéluctablement vers un point de rupture, une étincelle de folie collective qui pourrait faire tout embraser. Moun grangou pa jwe, ne dit-on pas ? Avec la saison des manifestations populaires contre la situation actuelle et contre ce gouvernement qui ne gouverne rien ou si peu, il y a beaucoup à craindre. Il faut craindre que le bouchon ne saute. Il faut craindre que le gouvernement ne perde les pédales en essayant de mater la population et ses opposants. Il faut craindre le ressac violent dont les premiers indices sont manifestes, d’un côté comme de l’autre. Il faut craindre un raidissement qui ne soit pas propice à une issue pacifique et tranquille à notre impasse. Lorsqu’une société est rendue à ce que cela passe ou que cela casse, cela finit presque toujours par passer, mais non sans avoir tout cassé sur son passage, au préalable, pour forcer son chemin et briser les obstacles qui le forçaient à l’immobilisme.

Les verrous politiques et sociaux, quels qu’ils soient, finissent inévitablement par tomber. L’immobilisme ne peut pas durer indéfiniment, surtout lorsqu’il impose une souffrance immense à une grande majorité de la population. La sagesse des gouvernants amène les plus clairvoyants à jeter du lest, à tenter des compromis, à parvenir à un consensus vivable, soutenable pour la majorité de la population, afin d’éviter des heurts futiles et cheminer ensemble, pacifiquement. Quant au reste, ceux qui font la sourde oreille à la souffrance de leur population, ils sont généralement balayés, emportés par la furie de celle-ci, lorsque sautent les bouchons, lorsque se cassent les verrous maintenus contre toute sagesse. Mais, dans tous les cas de figure, l’immobilisme n’est jamais autre que transitoire. En aucun cas il ne peut être une option viable, soutenable, même pas à moyen terme, voire indéfiniment.

Pierre-Michel Augustin

le 5 avril 2022

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