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L’escapade aventureuse d’Ariel Henry

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Décidément, il y a quelque chose qui ne tourne pas tout à fait rondement dans la tête de nos dirigeants. Ce qui paraît une évidence absolue, pour la plupart des citoyens Lambda, échappe parfois aux esprits les plus affûtés qui pilotent les destinées du pays. Et même quand un collège de décideurs aguerris se penchent sur la question, il n’est pas évident non plus que du choc de leurs profondes réflexions jaillira une étincelle de sagesse lumineuse. Parfois, le constat est même l’inverse, contre toute attente. On peut se compter chanceux qu’ils ne comblent qu’un intérim, provisoirement. Du moins, je l’espère pour certains d’entre eux.

L’année 2022 s’annonçait déjà assez difficile. Le Gouverneur de la Banque de la République d’Haïti, Jean Baden Dubois, dans des propos assez bien emballés, lors de la dernière édition du Grand Rendez-Vous Économique avec l’économiste Kesner Pharel, avait enchaîné un chapelet de mauvaises nouvelles concernant les exercices 2017-2018, 2018-2019, 2019-2020, 2020-2021. Pour l’année 2022, il n’entrevoyait pas vraiment de meilleures nouvelles, sauf peut-être la fin partielle des subventions aux prix des carburants, ce qui devrait soulager le trésor public d’un énorme déficit structurel, dénoncé depuis plusieurs années par toutes les administrations antérieures récentes, sans pouvoir s’y colleter résolument, avec à la fois un tact politique et une intelligence sociale. Et c’est peut-être ce que vient de faire le décret ministériel en cette matière, récemment. Il reste à voir la partie compensatoire qui sera versée à l’industrie des transporteurs publics pour atténuer l’impact de cette mesure sur ce secteur transversal à toute l’économie du pays. Mais, tout compte fait, et ce qu’il faut surtout retenir des déclarations de M. Dubois, c’est que le pays a connu 3 mauvaises années économiques. Une vraie catastrophe économique vécue tout au long du mandat du feu président Jovenel Moïse. Et il n’est pas dit que l’année 2022 sera bien meilleure en dépit des ronrons qui se voulaient réconfortants de la part du Gouverneur de la Banque de la République d’Haïti. J’avais l’impression que le Gouverneur ainsi que son interviewer marchaient comme sur des œufs et évitaient soigneusement de nommer la maladie pour ne pas effrayer les malades, que nous sommes, avec le diagnostic qui nous concerne au premier plan et le traitement de cheval que nous devrons subir, si toutefois nous voulons nous en remettre.

Avec l’arrivée du Dr Ariel Henry, un politicien d’âge mûr, un septuagénaire assumé mais pas encore gâteux, on se serait cru peut-être à l’abri des enfantillages de politiciens, un peu prépubères, susceptibles de succomber à la tentation de montrer des muscles politiques encore chétifs, voire inexistants. Avec la somme de redressements à faire, des corrections à apporter, des apaisements à négocier de toutes parts dans la société, dans la fonction publique et avec des secteurs économiques, sociaux et politiques divers, on eut cru qu’il aurait réservé ses énergies pour s’attaquer à ces urgences qui débordent. Mais non ! Martissant, ce coupe-gorge où l’on assassine régulièrement celles et ceux qui, d’aventure, s’y hasardent sans la permission effective des bandits du coin: cela peut attendre. Rien ne presse. Les 400 Mawozo de la Croix-des-Bouquets qui rançonnent les importateurs qui font venir leurs marchandises de la République Dominicaine et qui pénalisent considérablement le système douanier du pays: ce n’est pas grave non plus. Cela peut attendre. On y verra, en temps et lieu. La catastrophe économique dont il a voulu hériter et dont il devra corriger, à tout le moins, une bonne partie des problèmes structurels, ce n’est pas tout simplement en biffant un peu les subventions aux carburants qu’il y parviendra. En ce 1er janvier 2022, ce qui était important pour le Premier Ministre a. i, c’était surtout de démontrer au pays et au monde entier que tout est sous son contrôle, que le nouveau shérif peut aller n’importe où au pays, pour assister au Te Deum cérémoniel et délivrer le discours officiel de circonstance, en ce 218e anniversaire de la Déclaration de l’Indépendance Nationale. Il était important pour le Dr Henry de le faire, envers et contre l’avis de tous ceux qui lui avaient conseillé de ne pas se rendre aux Gonaïves, en raison de la mobilisation locale qui risquait de dégénérer et d’entraîner un désordre social assez malvenu, en la circonstance. Alors, il a feint d’écouter, il aurait même promis de s’abstenir d’y aller. Mais, en catimini, il avait planifié de ne faire qu’à sa tête. Contre vents et marées, contre le message public de Evans Paul dit K-Plim, son allié, contre l’avis des prélats de l’Église catholiques, lui, Premier Ministre a. i. de la République d’Haïti, il relèvera le défi. Il leur fera voir, à ces énergumènes de Raboteau, qui détient les pouvoirs effectifs du pays, quitte à mobiliser la totalité des effectifs de nos rachitiques Forces Armées, quitte à mobiliser une portion significative de la PNH pour l’y accompagner, dégarnissant, d’autant, les autres places chaudes qui mériteraient une attention soutenue de nos forces policières pour Protéger et Servir, non pas seulement le Gouvernement et son Premier Ministre a. i. en mission spéciale, mais toutes les citoyennes et tous les citoyens aujourd’hui interdits de se rendre chez eux, à Carrefour, car dans l’impossibilité de traverser Martissant, sans encourir un risque important de blessures graves, de kidnapping ou de mourir même.

On aurait pu rire, de les voir détaler comme des lapins, tous ces matamores du dimanche, si ce n’était l’opprobre, l’humiliation gratuite et combien évitable, ainsi infligée à des personnalités aussi prestigieuses que le Premier Ministre du pays et sa suite, des membres du Conseil des Ministres, des autorités locales, le Chef de la PNH et j’en passe. J’ai vu, à cette occasion, des émules d’Usain Bolt, réaliser des sprints qu’on ne soupçonnait plus de ces athlètes d’un autre âge, qui se sauvaient, ventre-à-terre pour se mettre à couvert et prendre la poudre d’escampette, à toute allure, vers Port-au-Prince. La vidéo nous montrait des dames, en tailleur et juchées sur des talons aiguilles, filer à toute vitesse vers un véhicule, alors que pétaradaient des armes aux alentours. De toute évidence, c’était juste pour faire assez peur, pour «caponner» les capons qui n’ont de braves que leurs discours. On n’en fait plus, des Capois-la-Mort, parait-il. Pye, ki sa mwen te manje e mwen pa t ba w, se seraient-ils dit dans leur for intérieur? Finalement, le Dr Ariel Henry a dû se résoudre à livrer son fameux discours de circonstances, exactement là où il ne le voulait pas: au MUPANAH, au Champ-de-Mars, là où, sagement, ses amis du Corps Diplomatique dégustaient paisiblement un bon bol chaud de notre Soup Joumou nationale, en attendant la concrétisation de ce que leur service de renseignement avait anticipé: le repli en catastrophe des plus hautes autorités du pays, vers ce refuge bien mieux protégé et nullement menacé. Les diplomates accrédités au pays et les autres personnalités officielles des pays étrangers avaient alors suivi les consignes de sécurité qui leur avaient été fournies et ne s’étaient surtout pas enrôlés pour cette équipée du Premier Ministre a. i, Ariel Henry.

Le pire dans tout cela, c’est qu’il y aurait pu avoir mort de soldats et de policiers, pour une démonstration de force futile, chimérique et dangereuse. En fait, il y a bien eu mort d’homme, à la suite de cette échauffourée. Au moins un mort à l’hôpital, des suites de ses blessures et plusieurs blessés, rapporte Haïti Libre. Mais on aurait pu avoir bien pire encore, par exemple: gérer une autre crise de gouvernement, si, par malheur, le Dr Ariel Henry, qui clame qu’on avait voulu l’assassiner là-bas, devait effectivement y laisser sa peau. Imaginons un moment la situation dans laquelle le pays se serait trouvé aujourd’hui. On l’a échappé belle, cette fois-ci, même si je ne suis pas sûr qu’on ait voulu l’atteindre vraiment. À ma connaissance, aucun membre de sa délégation n’aura été touché, pas même les policiers qui lui ont servi de boucliers humains. On aurait pu tirer en l’air pour lui faire peur que l’on n’aurait pas procédé autrement. La crise, ainsi évitée de justesse, aurait été une paralysie complète du Gouvernement. On aurait démontré, une fois de plus, à la face du monde, l’ineptitude crasse de nos dirigeants, incapables d’évaluer même les risques pour leur propre personne et prêts, comme de vraies linottes, à mettre en danger la vie de leurs concitoyens et les intérêts supérieurs du pays pour satisfaire leur faconde creuse et leur orgueil puéril, même quand ceux-là sont déjà de vénérables vieillards.

Un vieux militaire qui me fut très proche m’expliquait qu’on n’engage jamais un combat à moins d’être assuré de pouvoir le gagner ou, à défaut, d’y être forcé. Dans le cas qui nous préoccupe, aucune de ces conditions n’étaient réunies. Ariel Henry et son gouvernement s’aventuraient sciemment à découvert dans une zone hostile qu’ils ne contrôlaient pas. Ils ne savaient donc pas à quelles forces ennemies ils seraient confrontés, si elles avaient la capacité réelle et la volonté de s’attaquer physiquement à eux, donc à l’État. Par ailleurs, cette escapade aux Gonaïves ne leur rapportait absolument rien, tant du point de vue politique que de celui des relations publiques. Bien au contraire, leur dérobade, leur fuite éperdue fut une démonstration de faiblesse militaire et d’immaturité politique. S’ils avaient tenté de casser l’étau qui se referme sur Martissant, on aurait compris qu’ils essayaient de faire œuvre utile, en facilitant le transit des personnes et des marchandises vers les départements du Grand Sud, virtuellement bloqués et à la merci des bandits. S’ils s’étaient attaqués à Ti Lapli ou à Lanmò San Jou et consorts, la population aurait applaudi. Au moins, ils auraient essayé de débloquer la situation, de libérer la population de la menace de violences de toutes sortes qui pèse sur leur vie et conditionne leur quotidien. Mais rien de tout cela ne semblait être important à leurs jugements. Seul comptait leur égo. Ils voulaient paraître fort, ils sont ressortis diminués de la confrontation. «Si w pa kòrèk, pito w pa parèt», scandait une vieille ritournelle carnavalesque de l’Orchestre Tropicana. Comme cela paraît vrai et encore ajusté à cette situation!

Entendons-nous bien. Je n’appuie nullement l’action des groupes armées, des Gonaïves ou de n’importe où dans le pays, et qui ne soit pas légitimée ou engagée dans la défense de la vie ou des droits inaliénables des leurs, contre des forces qui s’y attentent. Je n’appuie surtout pas non plus des barouds d’honneur d’une extrême légèreté de la part de nos dirigeants, sous prétexte qu’ils représentent le pouvoir d’État et qu’ils peuvent en faire usage, à leur convenance. La force légitime qui est mise à la disposition du pouvoir doit être utilisée avec sagesse, avec modération et pas n’importe comment ni dans n’importe quelle condition. Autrement, ces détenteurs de la force légitime que leur confère le pouvoir, même intérimaire, peuvent devenir des satrapes d’autant plus dangereux qu’ils peuvent s’abriter sous ce parapluie de légitimité pour commettre des exactions ou provoquer des actes troubles qui se rapprochent de la folie mais qui sont combien évitables. Gran moun pa jwe non, mezanmi !

Pierre-Michel Augustin

le 4 janvier 2022

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