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Ah! Le karma !

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Il y a 6 ans, c’était un 7 juillet 2015, si je me souviens bien, un illustre inconnu, pour le pays en général, se portait officiellement candidat à la présidence de la République d’Haïti. Le maître atout, alors, de Jovenel Moïse, était son mentor politique, le Président Michel Joseph Martelly, qui lui confiait la destinée et le leadership d’un parti politique, tout neuf, qu’il venait lui-même de conduire sur les fonts baptismaux: le «Parti Haïtien Tèt Kale». Il l’a accompagné pour les présentations et son accréditation auprès d’une certaine élite économique qui l’avait appuyé et accompagné, à son tour, au cours de son mandat. Il voulait qu’il en soit de même pour son poulain. Et cela a marché, pendant un certain temps. Mais, telle une météorite dans le ciel politique haïtien, le passage de Jovenel Moïse au timon du pouvoir est marqué par des bouleversements profonds, tumultueux, une dégradation sans pareille de toutes nos institutions. Telle une météorite, également, il a connu le sort réservé à ce genre de bolide. Il s’est consumé au choc d’un adversaire sur lequel il s’était trompé, le prenant pour un appui sans réserve, un bouclier qui le protègerait envers et contre tous les coups de gueule d’une opposition politique dont il avait appris à mesurer efficacement les limites de ses actions invariablement prévisibles. Il avait surestimé la solidité des mariages de raison quand ils sont un peu contre-nature. Et puis, six ans plus tard, jour pour jour, en ce 7 juillet fatidique de l’an 2021, tapi dans son angle mort, «un ennemi intime» a pu le frapper, au cœur même de sa résidence, pourtant gardée et fortifiée par des dizaines de gens en armes. «Il a été trahi», nous clame son épouse, «livré par son parrain», se lamente son ami, Gabriel Fortuné. Mais qu’en sait-on, en vérité?

Du passage de Jovenel Moïse dans le firmament politique haïtien, on retiendra certainement ses promesses percutantes et mirobolantes qui, pour la plupart sinon toutes, sont restées sans effet, ou si peu, ainsi d’ailleurs que son slogan accrocheur mais qui n’a rien accouché de ce qu’il avait annoncé et qui avait séduit certainement des électeurs et des électrices qui ne demandaient pas mieux que de rêver à une amélioration de leurs conditions de vie. La terre, l’eau, le soleil, nos atouts formidables, mis en valeur par le labeur de notre main-d’œuvre nombreuse et industrieuse, pour apporter de la nourriture sur les tables de nos foyers, et de l’argent dans les goussets de nos pères et mères de famille: qui ne le souhaiterait pas et ne voudrait pas souscrire à un tel programme, pour s’assurer des lendemains meilleurs? Mais au lieu de cela, le rêve s’est transformé en cauchemar. La terre, l’eau et le soleil sont encore là, atouts inaliénables mais encore peu exploités. Certes, il y a bien le barrage de Marion dans le Nord-Est, une pomme de discorde entre les deux pays qui se partagent l’île, encore inachevé mais porteur d’espoirs d’irrigation pour nos terres en friche ou sous-productives dans cette zone, et quelques kilomètres de route asphaltée, ici et là, sans plus.

Pour mettre en œuvre ses grandes idées, Jovenel Moïse avait pensé passer outre nos structures d’État, conventionnellement établies. Au lieu de se fier à son ministre des Travaux Publics ou à son ministre de l’Agriculture, il avait préféré se fier à une Caravane de son cru, pour entreprendre la construction d’infrastructures routières, le curage et la construction de canaux d’irrigation, à des coûts défiant toutes estimations raisonnables. Tout le monde, y compris ses alliés politiques, l’avait mis en garde contre certaines dérives qui n’ont pas manqué de torpiller ses initiatives. De sorte qu’aujourd’hui, du passage de sa Caravane, très peu de chose subsiste. L’agriculture du pays n’a pas connu l’essor qu’il avait annoncé. La machinerie agricole, achetée à grands frais, n’a pas rentabilisé ni augmenté nos récoltes. De sorte qu’aujourd’hui nous sommes dépendants, plus que jamais, de la bienfaisance internationale qui se fait de plus en plus rare et difficile d’accès. C’est que les temps sont durs, et la COVID-19 ne facilite pas les choses. Les Nations Unies se disent de plus en plus préoccupées de la situation alimentaire de plus de 4 millions de nos compatriotes qui risquent de connaître la famine, cette année même.

Certes, dans son programme de campagne, il avait annoncé qu’il voulait remobiliser les Forces Armées d’Haïti. Ses alliés de la Communauté Internationale avaient bien tenté de l’en dissuader. Ils lui avaient dit carrément qu’il ne pourra pas compter sur eux pour payer cette portion de l’addition. C’était déjà assez qu’ils se portent garants d’une partie du financement de la PNH. Alors, le Président Moïse allait jouer son va-tout et mettre tout le monde au pied du mur. Il a donc reconduit son «Armée», avec un budget si malingre, qu’en fait, elle est à peine de la taille d’un bataillon (500 membres d’effectif), et nul ne sait vraiment en quoi consiste son équipement. Mais, ce faisant, c’est la PNH qui a dû en pâtir. Au lieu de s’équiper, de se renforcer et d’augmenter son personnel pour «Protéger et Servir», comme le veut sa devise, la PNH n’est plus en mesure de faire ni l’un ni l’autre. La population est abandonnée à elle-même, sans défense devant des bandits armés, de mieux en mieux organisés, qui mettent au défi une PNH sous-équipée, sous rémunérée, ou même cette fameuse Armée d’opérette. On parlait de «zones de sans droit» en 2004-2005. On a aujourd’hui de vrais «no mans land», en plein dans la capitale. Martissant est aujourd’hui un verrou aux mains des gangsqui interdisent tout passage par voie terrestre entre les départements de la péninsule du Sud et le reste du pays. Et les autorités n’y peuvent absolument rien. Une énième tentative s’était soldée par un échec cinglant de la PNH, abandonnant aux bandits du Village-de-Dieu, armes, munitions et cadavres de policiers abattus par ceux-ci, après une défaite peu glorieuse. Seul un blindé, en piteux état, a pu être récupéré, et encore, après négociation avec les bandits et contre paiement d’une indemnité, sans réclamer les corps des policiers tombés en service, au champ d’honneur. Mais le Président avait gagné son pari. Il avait ressuscité les FAD’H, envers et contre tous. Et c’est ce qui comptait le plus à ses yeux. Cela devait le conforter à l’idée qu’il pouvait tout faire, qu’après Dieu, il détenait le pouvoir de tout faire sur la terre d’Haïti. D’où le nouveau sobriquet que lui collait la malice populaire : Après-Dieu ! Et l’on connaît la suite.

Jovenel a présidé à la démolition systématique de toutes les institutions du pays qui fonctionnaient encore, tant bien que mal, après le passage de son mentor, Michel Joseph Martelly. Au 7 février 2017, lorsqu’il avait prêté le serment d’office, le Parlement fonctionnait encore. Les deux Chambres siégeaient. Seul un sénateur brillait par son absence, un mandat international ayant été exécuté contre lui, in extrémis, un jour avant sa prestation de serment. Vous l’aurez deviné, il s’agissait d’un des porte-étendards du parti dénommé, de façon ronflante, «Consortium National des Partis Politiques Haïtiens (CNPPH)», rien de moins, en l’occurrence: Guy Philippe, aujourd’hui bien au frais dans une geôle américaine. Et puisque le Président n’avait pas daigné tenir aucune élection au cours de son mandat, malgré sa majorité confortable, la Chambre basse, dont le renouvellement était dû en janvier 2020, a été tout simplement renvoyée. Il en fut de même pour 2/3 du Sénat dont les sièges auraient dû être soumis aux élections pour le renouvellement du personnel politique. Et comme il n’en fut rien, exit alors toute possibilité de convoquer l’Assemblée Nationale ou de voter des lois, le Parlement étant devenu dysfonctionnel.

Quant à la Cour de Cassation, elle était devenue tout autant inopérante que le Parlement. Selon Me Jacob Jean-Baptiste, juriste de formation, «la Cour de Cassation, en tant que Cour Suprême de la République, domine la pyramide de la hiérarchie judiciaire en Haïti. Sa composition, son organisation, sa compétence et même les effets de ses arrêts sont établis dans la Constitution de 1987, le décret du 22 août 1995 et le Code de Procédure Civile. Toujours selon Me Jacob Jean-Baptiste, «la Cour de Cassation, en sa compétence de Cour Constitutionnelle, siège avec tous ses membres (12 membres), à moins qu’il n’y ait empêchement légitime, sans que le nombre puisse être inférieur à neuf (9) C.P.C., chapitre IX, section I, article 115, al. 4.» Or, il se trouve que l’effectif actuel, de cette instance importante pour le fonctionnement normal de notre gouvernance démocratique et constitutionnelle, avait été amputé de trois juges, par l’ex-Président lui-même. En effet, au lendemain du 7 février 2021, date à laquelle se terminait son mandat constitutionnel, dans une action d’éclat, Jovenel Moïse avait fait d’abord procéder, en pleine nuit, à l’arrestation du Juge Yvickel Dabrésil, membre de la Cour de Cassation. Par la suite, il devait mettre illégalement à la retraite, trois juges de ladite Cour, réputés inamovibles pour la durée de leur mandat de 10 ans: Yvikel Dabrésil, Wendelle Coq Thélot et Joseph Mécène Jean-Louis. À la tête de la plus haute cour de justice du pays, siégeait encore un Président: le Juge René Sylvestre, qu’il avait choisi en remplacement de Me Jules Cantave, mis à la retraite. Toutefois, le 24 juin dernier, 14 jours avant l’assassinat de Jovenel Moïse, le coronavirus l’avait emporté, créant ainsi un vide au sommet de cette instance. Et le Parlement étant dysfonctionnel, il ne pouvait plus soumettre, comme le veut la Constitution en vigueur, les noms des juges parmi lesquels le Président devait choisir, pour combler les vacances ainsi créées à la Cour de Cassation. Du coup, sur les 12 membres dont neuf requis pour le bon fonctionnement de la Cour de Cassation, il n’en restait que 7: Me Jean-Claude Théogène, vice-président, nommé en 2019; Me Barthélemy Anténor, nommé en 2019; Me Jean Joseph Lebrun, nommé en 2019; Me Joseph Jean Mécène, nommé en 2011; Me Franzi Philémon, nommé en 2012; Me Louis Pressoir Jean-Pierre, nommé en 2012; Me Kesnel Michel Thémézi, nommé en 2012. (réf. Haïti-Référence: dossier 2310, La Cour de Cassation). Ainsi, lorsque survint la mort brutale du Président de facto de la République, un vide absolu était créé au sommet de toutes nos institutions, co-dépositaires de la souveraineté du pays et garantes conjointement de sa bonne gouvernance. D’ailleurs, l’Exécutif aussi, avant la mort du Président ne disposait plus d’un gouvernement effectif. Celui qui était en poste, bien que de facto, sous la direction du Premier Ministre de facto, le Dr Claude Joseph, était démissionnaire depuis 24 heures. Un nouveau Premier Ministre de facto, lui aussi, le Dr Ariel Henry, était nommé officiellement mais n’avait pas encore été installé dans ses fonctions, donc non encore investi des pouvoirs de sa charge.

Ainsi, toutes les interventions étrangères sous mandat des Nations Unies, dont la dernière en date: le BINUH, ont abouti à l’inverse des résultats qu’elles s’étaient fixées. Elles voulaient apaiser les tensions politiques et sociales au pays: celui-ci est aujourd’hui presqu’à feu et à sang, littéralement. Elles voulaient désarmer les gangs au pays: on en compte plus d’une centaine aujourd’hui, à en croire les experts. Elles voulaient renforcer nos institutions: elles sont toutes dysfonctionnelles aujourd’hui. Elles voulaient renforcer notamment notre système judiciaire et la PNH: la justice est inopérante et vassalisée par des forces politiques. Quant à la PNH, elle a perdu son autorité et sa capacité d’intervenir effectivement pour protéger et servir la population. Elle n’ose plus s’aventurer à Martissant, à Bolosse, à Village-de-Dieu, à Cité-de-l’Éternel. Pire encore, le Premier Citoyen du pays, dont elle avait la charge de sa protection rapprochée en tout temps, a été assassiné chez lui, malgré son système de sécurité, dans sa chambre, en présence de sa femme et de ses enfants, sans qu’aucun membre de cette Police Nationale n’y oppose un semblant de résistance. Un comble, vraiment!

Ainsi, le règne de Jovenel Moïse se termine, comme il avait commencé et comme il s’est déroulé: dans l’approximation totale et l’amateurisme absolu. Toutes ses promesses se sont révélées creuses, sans aucun fondement. Pour répéter une phrase à la mode, au cours de la dernière décennie, du temps de Martelly: «elles n’ont pas atterri».

  • Il avait promis à la Ville du Cap-Haïtien un téléphérique, pour des balades touristiques jusqu’à la Citadelle, qui devait être inauguré à l’occasion des célébrations de son 350e anniversaire de fondation. Il n’en fut rien. Le 350e anniversaire de la métropole du Nord a été oublié dans les «réalisations» du Président Moïse.
  • Il avait promis d’asphalter le tronçon de route nationale allant du Carrefour Joffre vers Port-de-Paix, vérification faite, il y a bien quelques tronçons de route asphaltée pour rentrer à Port-de-Paix et ailleurs dans la zone, certainement pas les 100 kilomètres promis lors du lancement des travaux, en août 2017, ni l’autoroute dont on avait vanté les mérites à l’avance. Et, à 150 000 $ le kilomètre de route asphaltée, comme le répètent ses apôtres dans leurs évangiles de propagande, je ne parierais pas sur leur durabilité, à moyen et à long termes.
  • Il nous avait promis le retour de l’Armée, on en a eu un bataillon qui ne nous sert à rien.
  • Il avait aussi promis à certains de ses supporteurs, une Constitution taillée sur mesure et sous bonne dictée, mais, du train que cela va, nous en serons peut-être quitte pour une bonne frousse, à cet égard. Toutefois, on n’est pas encore sorti de l’auberge, à entendre le nouveau P. M. de facto, Ariel Henry.

Finalement, Jovenel Moïse fit tant et si mal qu’aujourd’hui, plus d’un mois après son assassinat, nos institutions parviennent difficilement, à mettre sur rails, une enquête criminelle en bonne et due forme. En effet, le Doyen du Tribunal civil de Port-au-Prince est arrivé, à grand peine, à désigner un juge d’instruction, Me Mathieu Chanlatte, pour s’occuper du dossier de son assassinat. Tout le monde se dérobait à cette perspective, et pour cause. Alors, la demande d’une enquête internationale, que Jovenel Moïse avait refusée aux ayant droit de Me Monferrier Dorval, assassiné il y a bientôt un an, à deux pas de sa résidence, est venue hanter ses propres ayant droit qui, à leur tour, la réclament pour espérer obtenir justice pour son propre assassinat. C’est aujourd’hui sa veuve, celle qui avait refusé d’apporter son éclairage à l’assassinat de Me Dorval, auquel son défunt mari l’avait inopinément associée, sans nulle contrainte de qui que ce soit, qui demande maintenant au Secrétaire Général des Nations Unies d’instituer un Tribunal Spécial et de mandater des investigateurs étrangers pour faire la lumière sur le meurtre de son mari. Et le nouveau Chancelier haïtien, de facto, d’y souscrire rapidement et de transmettre la demande officielle au Secrétaire Général, Antonio Guterres.

«What goes around, comes around», ne dit-on pas dans la langue de Shakespeare. Quand on crache en l’air, cela finit parfois par retomber sur nos têtes. Et lorsque l’on réclame une investigation internationale, il ne faudrait pas avoir, soi-même, trop de squelettes cachés dans un placard. Les limiers étrangers ont souvent la manie de fouiner là où on ne les attend pas, en suivant les méandres où les conduisent les indices et les preuves. Et qui sait combien de mystères ne pourront ainsi être résolus, au hasard de leurs enquêtes, pour peu qu’elles soient complètes, exhaustives et sans biais. Pour ma part, je ne me suis jamais vraiment contenté des «vérités officielles» sur la mort subite de l’ex-Président René Préval, ni sur les mystères de l’assassinat de Me Monferrier Dorval, ni de l’assassinat d’Antoinette Duclaire, ni de celui de Diego Charles, ni de celui de tant d’autres citoyennes et de citoyens, fauchés en pleine manifestation publique et pacifique, et oubliés dans leur anonymat. Le Karma, c’est parfois ce boomerang qui revient hanter et qui souvent inflige, à leur tour, cette médecine tragique et cruelle que certains appliquaient, sans remords, autour d’eux, à celles et à ceux qui avaient simplement eu le tort de ne pas partager leurs convictions, un crime d’hérésie politique souvent passible de persécution politique, d’emprisonnement abusif, voire de pogromes et d’assassinats. Ah ! L’implacable karma ! C’est tout une révélation, lorsqu’il revient nous visiter et frapper à nos portes, pour nous faire voir l’envers de la médaille …

Pierre-Michel Augustin

le 10 août 2021

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