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L’assassinat de Jovenel Moïse et la cohorte de questions que ce crime laisse en suspens

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Les civilités élémentaires, en la circonstance, veulent que cet assassinat du Président de facto, Jovenel Moïse, ainsi que la tentative d’assassinat sur la personne de son épouse, la Première Dame, Martine Moïse, soient condamnés, sans aucune réserve. De même, il convient d’exprimer nos condoléances à sa veuve, à ses enfants, aux parents du défunt et, dans une plus large mesure, au peuple haïtien dans son ensemble, frappés par ces actes abominables, perpétrés sur une famille qui se trouvait encore au sommet du pouvoir de l’État, en dépit de tous les travers qu’on pouvait leur reprocher. Qu’ils aient été frappés dans leur résidence, une place réputée protégée à différents niveaux par nos forces de l’ordre, ne peut que bouleverser, encore davantage, le pays tout entier, lui révélant toutes les failles béantes de son système de sécurité qui n’arrive plus à protéger personne, pas même la famille présidentielle. Un sentiment de deuil et de désemparement a frappé le pays qui vit, depuis lors, une sorte de veille, dans l’expectative d’autres bouleversements à survenir, car, nous prenons conscience, brusquement, que nous venons tous de franchir une porte, sans savoir ce qui nous attend tous, une fois ce seuil traversé. Depuis cette nuit fatidique du 7 juillet 2021, plus aucun scénario-catastrophe ne peut être écarté. Notre tragédie a été propulsée, tout d’un coup, sur un théâtre international où plusieurs acteurs, pas seulement des locaux, sont appelés à jouer des rôles-clés.

Beaucoup de choses ont été dites depuis mercredi dernier. Les plus officielles ne sont malheureusement pas des moins contradictoires. Aussi, dans une tentative de comprendre ce qui s’est passé, il conviendrait de ne rien tenir pour acquis et d’analyser strictement des faits, pour les mettre bout à bout, afin de reconstituer le puzzle, sans risquer de créer un amalgame indescriptible. Des résidents, de ce quartier huppé où réside le Président, rapportent avoir entendu des tirs, tard dans la soirée du mardi 6 juillet et des tirs plus nourris, vers 1h, dans la nuit du mercredi 7 juillet. Des gens s’exprimant en anglais, en espagnol et en créole, auraient demandé aux forces de sécurité de déposer les armes, car il s’agirait d’une opération de la DEA. Et puis, sans aucune autre vérification de leur part, des agents des services de sécurité de haut niveau, affectés à la sécurité rapprochée du Président de la République, auraient tout simplement obtempéré à un ordre qui ne viendrait d’aucune autorité hiérarchique locale. Avouons que cela est assez invraisemblable. Autre incongruité pas banale non plus, ces individus, lourdement armés et de surcroît des étrangers à la peau claire et ne parlant aucune des deux langues du pays, ont pu se rendre jusqu’à la résidence officielle du Président, à bord de 7 ou 8 véhicules, car ils seraient au nombre de 28, en passant devant plusieurs check-points contrôlant les rares voies d’accès à ce lieu stratégique, sans même éveiller un seul soupçon d’aucune autorité locale, pas même de simples agents de police qui doivent être nombreux dans ce secteur ultra-sensible. Et puis, arrivés à destination, sans aucune autorisation particulière, ils se seraient déployés, à visière levée, prétextant une dite opération conduite par la DEA, en territoire étranger, visant nul autre que le Président de la République, lui-même. Je ne sais pas pour vous, mais moi, même parfaitement étranger aux questions de sécurité, je n’arrive tout simplement pas à y croire.

Je vous rappelle qu’un autre groupe d’individus armés, plus ou moins suspects, huit mercenaires dont cinq citoyens américains, deux résidents américains et un Haïtien, répartis dans deux (2) véhicules, et dans une zone beaucoup moins sensible, Banque de la République d’Haïti (BRH), en mars 2019, avaient été interceptés par les forces de l’ordre et prestement mis en état d’arrestation. L’État haïtien avait opté pour ne donner aucune suite judiciaire à cette affaire, à l’époque. L’ambassade américaine s’était entendue avec les «instances concernées» qui avaient vite retourné ce colis encombrant à son pays d’origine, sans autres formes de procédures. Mais cette fois, la donne a changé passablement. D’une part, les assaillants ne sont plus des étrangers aussi intouchables; ce seraient des ex-militaires d’origine colombienne et non américaine, à part deux Américains naturalisés, d’origine haïtienne, qui feraient office de traducteurs pour ce groupe d’étrangers, taxés de mercenaires. Et ils se seraient attaqués non pas à une institution financière mais au Chef de l’État lui-même et à sa famille, sans coup férir. Par la suite, après avoir exécuté le Président de façon barbare, atroce et révoltante et attenté à la vie de la Première Dame, pris d’un soudain accès de pitié et de compassion, ils auraient eux-mêmes emmené celle-ci dans un hôpital local et avec elle, sa fille pour lui tenir compagnie en cours de route. Ce faisant, ils auraient ignoré qu’ils laissaient derrière eux qui sont des professionnels chevronnés, experts en crimes de tous genres, des témoins oculaires qui ne manqueront pas d’expliquer, en long et large, ce qui s’est passé, de les incriminer et de réclamer justice, à leurs dépens. Je n’en reviens tout simplement pas devant des comportements aussi déroutants et contradictoires. Mieux encore, après cette nuit palpitante d’une opération d’abord réussie et ensuite largement compromise par des erreurs qu’ils ne sont pas supposés commettre, en tant qu’experts en assassinat, les membres de ce présumé commando se seraient tranquillement repliés dans leur local habituel, non loin de la scène de leurs forfaits, pour certains, tandis que d’autres se baladaient tout simplement dans les rues de Pétion-Ville, tout au cours de la matinée, jusqu’à ce que la rumeur officielle leur impute le crime et qu’une chasse aux Colombiens ou aux Latinos à peau claire, ne soit lancée par la PNH. Tout d’un coup, le Ciel leur serait tombé sur la tête, ce qu’ils n’avaient alors pas prévu, et donc, ce n’était pas dans leur plan d’opération.

Je ne sais pas si vous avez pu trouver une certaine cohérence à ces faits, lorsque mis bout à bout. Certes, il y a des faits avérés dans tout cela. Oui, il y avait depuis quelque temps des ressortissants colombiens au pays. Certains d’entre eux sont de fines gâchettes, des ex-militaires de réserve dont les services, pour certains, en tout cas, avaient été requis par les autorités du pays, pour venir les aider à mater les gangs armés qu’elles n’arrivaient pas à contrôler, depuis notamment le fiasco de Village-de-Dieu, on s’en souvient. Par la suite, les gangs avaient poussé leur appétit de contrôle de territoire vers La Boule et, à l’occasion des combats qui y ont eu lieu et qui ont permis aux forces de l’ordre de connaître un certain succès et de tenir les bandits en respect, on avait rapporté la présence de conseillers, des tacticiens qui s’exprimaient en espagnol, sans doute certains de ces Colombiens, aujourd’hui devenus opportunément des mercenaires, au lieu de consultants étrangers en matière de stratégie de lutte antiguérilla urbaine, dont les ex-militaires colombiens seraient des experts très prisés aujourd’hui, à travers le monde. Il est établi également, à travers des déclarations officielles des autorités colombiennes, que des individus détenus par les autorités haïtiennes sont effectivement des ex-militaires colombiens, dont même un ex-colonel, une ressource rare et fort recherchée. D’ailleurs, les autorités colombiennes «offrent» leur entière collaboration aux autorités haïtienne et une délégation est attendue très prochainement à la capitale haïtienne, si elle n’y est pas déjà rendue, au moment de la rédaction de cet article. Cette collaboration proactive et non nécessairement sollicitée, risque de ne pas être très souhaitée par nos autorités qui ont préféré se rabattre sur les Américains pour leur venir en aide. Néanmoins, puisqu’il s’agit de ressortissants Colombiens, et mieux encore, de militaires de réserve, certains de haut rang, les autorités colombiennes ont évidemment un intérêt particulier dans cette affaire et vont certainement jouer du coude pour aller au fond des choses. Il n’est pas dit qu’elles abandonneront leurs ressortissants au jeu de coulisse des Haïtiens, comme s’ils étaient des «pitimi san gadò».

Il est établi également par les autorités dominicaines, que certains d’entre ces Colombiens ont transité par la République Dominicaine pour se rendre en Haïti, par des vols commerciaux. Donc, ils seraient rentrés au pays officiellement, par les voies normales et non par infiltration clandestine. Il reste à déterminer depuis quand ils étaient au pays et qui étaient leurs employeurs. Déjà, des rapports en provenance de la République Dominicaine contestent la version officielle des autorités haïtiennes, quant à l’implication du soi-disant commando de mercenaires colombiens et établissent leur arrivée sur la scène de l’assassinat, plus d’une heure après les faits, vers 2h30 du matin. Toujours en provenance de la République Dominicaine, des informations tendent de plus en plus à accréditer une révolution de palais, un coup d’état entre des membres du gouvernement, pour réprimer une trahison alléguée du Président Moïse, d’où cet acharnement constaté sur son cadavre, criblé de 12 balles, selon les constats légaux, dont une balle à l’œil gauche, une autre à une jambe, fracturant son fémur, ce qui devait être extrêmement douloureux, de l’avis de certains observateurs. On ne serait plus alors dans le scénario d’une exécution de sang-froid par des professionnels experts, sans émotion et sans état d’âme vis-à-vis de la victime qui ne serait pour eux qu’une simple cible. Le ou les assassins se seraient acharnés avec une rare violence sur Jovenel Moïse, lui infligeant un châtiment plus assimilable à un règlement de compte, alors que sa femme, abandonnée pour morte, n’en serait qu’une victime secondaire, avec trois balles au corps qui la laissent, finalement, hors de danger immédiat pour sa vie.

J’en suis encore à me poser aussi des questions sur la finalité de ce crime abominable. Ce qui est sûr, c’est que son «timing» tombe à point nommé pour bloquer l’éviction du Premier Ministre de facto, le Dr. Claude Joseph, démissionnaire depuis la nomination du Dr Ariel Henry, nouveau Premier Ministre de facto, par le président Jovenel Moïse. Un jour avant son assassinat, le président de facto avait pris le soin de faire publier cette nomination dans le journal officiel du gouvernement, Le Moniteur. Restait alors que le Dr. Henry soit installé dans ses nouvelles fonctions, avec le cérémonial de prestation de serment. Survint alors ce crime et puis, dès lors, c’est le suspense. Le Premier Ministre de facto, démissionnaire en plus, se rassied sur le fauteuil de la Primature, se déclare seul Chef de gouvernement, Président provisoire même, et ne veut plus entendre parler de passation de pouvoir au Dr. Ariel Henry. D’ailleurs, lors d’une rencontre avec une délégation de haut niveau en provenance de Washington, ce dimanche, M. Claude Joseph aurait tenu des propos outranciers, tendant à discréditer le Dr Ariel Henry, à en croire, le Président du Sénat, M. Joseph Lambert, lui aussi, détenteur d’une résolution du Sénat, le désignant comme Président provisoire avec le Dr. Ariel Henry comme Premier Ministre a. i., jusqu’à la tenue des élections, très prochainement. Alors, à observer cette lutte intestine pour le pouvoir, à la suite de ces évènements, et à voir l’incrustation obstinée du Dr. Claude Joseph à la Primature, en dépit de sa démission officielle, 24 heures auparavant, on est endroit de se demander à qui profite l’assassinat de Jovenel Moïse? Qui a-t-il pu trahir à ce point pour encourir un châtiment apparemment aussi cruel ? Mais, surtout, qui avaient les moyens financiers, logistiques et opérationnels pour geler les cercles concentriques des services de sécurité de l’État et de la sécurité rapprochée du Président, au point de permettre son assassinat, à l’intérieur même de sa résidence officielle?

La réponse à ces questions se perd aujourd’hui dans un fouillis de pistes disparates, destinées, semble-t-il, pour le moment, à confondre le public en général. Mais tout finit par se savoir un jour. Tout se révèlera un jour et l’on saura bien qui a abattu Jovenel Moïse avec tellement de rage pour le cribler ainsi de balles et laisser vraisemblablement pour morte, sa femme, sur la scène du crime. Je me méfie un peu des experts de Washington. Eux aussi pourraient retenir cette information, si jamais ils y trouvent leurs intérêts à le faire. Mais eux aussi, ils la divulgueront un jour. La vérité finira par s’échapper et par suinter du coffre où ils la verrouilleront. Pour le moment, le fait demeure que le président de facto, Jovenel Moïse est bel bien mort, assassiné chez lui. Il demeure tout aussi vrai que son épouse repose en Floride dans un hôpital où elle reçoit les soins que nécessitent ses blessures et que ses enfants sont aujourd’hui sous la protection des forces de sécurité américaines, pendant que le gouvernement ad intérim et démissionnaire de Claude Joseph, se prépare à tourner la page et à enterrer la dépouille de l’ancien président, avec un faste trompeur, peut-être même en absence de sa famille. On verra bien jusqu’où l’on poussera l’odieux de la situation. En attendant, la crise politique haïtienne n’est pas encore résolue. Même qu’elle s’est empirée et que la crispation sociale est devenue encore plus aigüe, avec le décès de Jovenel Moïse et la multiplication des prétendants au pouvoir.

Pierre-Michel Augustin

le 13 juillet 2021

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