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Léon Charles : le dernier coup de bluff de Jovenel Moïse

La guerre de l’information a toujours occupé une place prépondérante au sein des sociétés. Constituée de plusieurs volets, elle va de la déformation des faits – soit par des mensonges savamment orchestrés ou par des manoeuvres de diversion – à l’obstruction pure et simple de l’accès à l’information, sans obligation d’explications. Le retour de Léon Charles à la tête de la Police Nationale d’Haïti (PNH), en novembre 2020, en remplacement du Commissaire Normil Rameau, semble faire partie de cette guerre dont les « tèt kale », savamment conseillés par la firme Sola, sont réputés champions.

Dès la sortie de l’arrêté présidentiel du 15 novembre 2020, la nomination de Léon Charles faisait couler de l’encre. D’abord, un Ambassadeur laissant son poste prestigieux et tranquille pour venir prendre les commandes d’une institution policière décadente, mal outillée, infiltrée par les gangs, contrôlée dans ses moindres faits et gestes par une certaine presse et par les organismes de droits humains, …. Ensuite, un retour sur la base de quels résultats enregistrés, lors de son premier passage en 2004 ? Enfin, les esprits plus aiguisés posaient le problème de l’insécurité, en termes de portrait géant, à savoir: la situation de 2004, consistant à pourchasser ouvertement les Lavalas, différait complètement de celle de 2020, avec plus d’une centaine de gangs urbains, selon le RNDDH, versés dans toutes sortes d’exactions pour de l’argent.

Disposant de ces informations, il est revenu quand même nous refaire les coups de Gérard Latortue. De Vienne pour ce dernier, lui, il a laissé son confort de Washington, avant de nous expliquer par ses attitudes que: «yo tire sou nou, nou tire sou yo tou wi.» Mais quels en sont ses mobiles?

Une propulsion dans une ambiance sociétale favorable

L’arrivée récente de Léon Charles à la tête de la PNH a bénéficié d’un soutien de taille : celle d’une société, fatiguée de la prolifération des gangs, exténuée de trois ans d’inaction de Michel-Ange Gédéon, se cachant derrière la politique et perdant, à la fois patience et espoir, dans la méthode de Rameau Normil. C’est donc dans les accoutrements d’un sauveur que débarque Léon Charles. Dans ses premières rencontres avec ses troupes, il se dit partisan des actions d’éclat. Il envisage de poster des francs tireurs en vigile sur le chemin des chefs de gang terrorisant la population. Pour y arriver, il doit, en premier lieu, faire sortir ces derniers de leur cachette.

C’est donc dans cette perspective que sa première action a été d’attaquer le fief du chef des gangs fédérés connus sous le patronyme G-9, Jimmy Barbecue Chérisier. Ensuite, il s’en prend au gang dénommé « 400 mawozo », localisé près de la frontière haïtiano-dominicaine de Malpasse-Jimani. C’est donc de bon augure que la société, croyant à une attaque en bonne et due forme de ces malfrats, s’attend à un répit pour pouvoir enfin respirer et recommencer à vivre dans le pays.

Enfin, il y eut ce coup porté au groupe des « Fantômes 509 » par l’arrestation de certains de leurs membres qui s’est soldé par l’assassinat d’un policier, membre du SWAT Team. Déterminé, semble-t-il, à ramener la paix dans les rues, le DGPNH voulait neutraliser ces individus prenant la couverture de policiers pour envahir les rues de la capitale pour les barricader et brûler les véhicules de l’État rencontrés sur leur route.

Dans cette bataille, il bénéficie d’un autre soutien de taille : le silence total des organisations de droits humains, d’ordinaire très enclines à enquêter sur les dégâts subséquents aux opérations de police. En effet, qu’il s’agisse d’opérations militaires ou policières, si les dommages collatéraux font partie de l’ordre des choses, puisque inévitables, le problème majeur auquel se heurtent les forces de l’ordre, lors de ces opérations, réside dans le rapportage de ceux-ci. Lors des premières opérations de la PNH, sous la direction de Léon Charles, il n’y eut aucun rapport de l’institution, comme cela se faisait avant, ni aucune enquête en ce sens desdites organisations. Mais pire encore, aucun rapport n’a été exigé non plus de la part de la presse ou de ces dernières. De ce point de vue, la Police avait les mains libres pour agir.

Un obstacle majeur : la politique

On savait déjà, de la légalisation du banditisme comme forme de gouvernement, appuyée d’ailleurs par l’international. Mais personne n’était sûre de la gangstérisation du pouvoir politique. Le G-9, dont la mission est de retenir prisonnière la population des quartiers défavorisés pour annihiler la force de l’opposition, s’était heurtée apparemment au refus du gang de Village-de-Dieu: 5 Secondes, d’intégrer cette fédération encouragée par la commission de désarmement. Le gang « 5 Secondes » n’était pourtant pas tout à fait clair dans sa démarcation du G-9. Il était bruit d’un désaccord entre Arnel Joseph, ancien chef de ce gang depuis la prison de la Croix-des-Bouquets où il était incarcéré, et son successeur. Ce qui allait semer ce doute était la libération, sans versement de rançon, de la femme du Responsable de l’unité d’élite, assurant la sécurité du Palais National, le commissaire Dimitri Hérard. A contrario, après sa libération, madame évoquait la tristesse des kidnappeurs, au moment de sa libération, qui le couvraient de cadeaux.

Le 26 février 2021, moins de 24 heures après son évasion, Arnel Joseph est tué dans l’Artibonite, sans avoir regagné son fief à Savien et encore moins réintégré le gang 5 Secondes. Une semaine plus tard, soit le 3 mars, le Premier Ministre interdit les vitres teintées à travers son communiqué # 12, dans le cadre de la lutte contre le kidnapping. Le Palais National se rebelle contre cette décision par la voix de conseillers du Président de facto. Dans certains quartiers de la capitale, la population se met de la partie, en lapidant les véhicules teintés qui passent dans leur zone. Un véhicule portant des plaques d’immatriculation diplomatique se trouve parmi les victimes.

Le 5 mars, deux individus sont arrêtés et livrés à la justice américaine pour être transportés aux États-Unis d’Amérique, le même jour. L’un d’eux, disposant d’une carte d’accès du Palais National, serait le chauffeur privé de Jovenel Moïse, qui aurait pour fonction, entre autres, de faire le pont entre le Palais et Village-de-Dieu. L’autre était un membre actif du gang 5 Secondes contrôlant ce dernier territoire situé à moins d’un kilomètre du Palais.

Le 12 mars vers les 9 heures du matin, sur les réseaux sociaux, un message circule annonçant la détermination du commissaire Dimitri Hérard, de rentrer au Palais avec la tête du chef du gang 5 Secondes. Plusieurs unités de la PNH mobilisées, dont le SWAT Team, en première ligne, sont, sur le terrain, renforcées par l’armée moribonde de Jovenel sur des tracteurs. À la fin de la journée, l’opération commencée la veille s’est soldée par l’assassinat de quatre (4) policiers SWAT, selon ce que rapporte officiellement la PNH. Les corps des policiers sont retenus ainsi que leurs armes et le véhicule blindé du SWAT Team ; deux autres blindés de transport de troupe ayant été brûlés sur le théâtre des opérations.

Des rumeurs font croire que des détails de l’opération auraient été communiqués par le Palais au gang 5 Secondes. Ces héros sacrifiés n’ont pas pu bénéficier d’un enterrement digne de leur rang. Personne, à part les membres du gang 5 Secondes, ne sait où reposent leurs restes. Par la suite, le blindé du SWAT a été remis à la PNH par le gang, sans les armes confisquées. Pour le moment, un Inspecteur Général porte le chapeau. Mercredi 17 mars 2021, des policiers ont manifesté en uniforme, dans les rues, contre la hiérarchie et pour la préservation de ce qui reste de l’institution policière qui, selon eux, ne doit pas connaître le même sort que les autres institutions du pays.

La vie continue … avec ses incertitudes.

Les attaques contre le gang 5 Secondes, si près et si loin du Palais National, doivent-elles être comprises comme souffler le chaud et le froid ? Si la femme de Dimitri Hérard a pu être libérée sans rançon et le blindé restitué, pourquoi les corps n’ont pas pu être récupérés ? Combien de bandits ont été tués lors de l’opération ? Quels rapports privilégiés existe-t-il entre le gouvernement de facto et le gang 5 Secondes ? Ces questions, et plusieurs autres questions, restent sans réponse. Et elles le seront pour longtemps encore.

Dans le milieu haïtien, on parle de la stratégie PHTKiste : livrer le pays au Blanc par tous les moyens, au lieu de perdre le pouvoir. Serait-ce dans cette logique que Jovenel Moïse n’a de cesse de se dresser comme le dernier président provisoire ? Serait-il en train de planifier, sur la terre de Dessalines, avec la complicité d’un certain Blanc, une autre intervention étrangère qui le maintiendrait au pouvoir, et ceci au-delà du 7 février 2022?

Ygor Capois

Politique et Société

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