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Pour comprendre les dessous et les liens entre les évènements qui défraient notre actualité

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Au cours des derniers jours, l’actualité haïtienne a été ponctuée de faits qui dénotent une fébrilité et une improvisation de plus en plus évidentes de la part de nos gouvernants (si tant est qu’ils gouvernent quoi que ce soit encore), en réaction à des actions dont ils semblent perdre tout contrôle. Évidemment, ceci n’a pas échappé aux observateurs. Et plusieurs d’entre eux s’interrogent à haute voix sur leur signification, sur ce qu’ils annoncent et pour quelle échéance.

Il appert de plus en plus que le fameux complot de coup d’État, voire la tentative d’assassinat contre le Président de facto, Jovenel Moïse, le 7 février dernier, serait plutôt un canular ourdi par la présumée victime elle-même: Jovenel Moïse. En dehors d’un enregistrement téléphonique, tout à fait bon enfant, d’une conversation empreinte d’une trop grande naïveté pour que ce ne soit pas montée de toute pièce, entre des présumés conspirateurs, rien n’est venu étayer cette supercherie. Aucun lien avec les ténors de l’opposition, aucun arsenal d’importance, aucune connivence étrangère, aucune manifestation publique d’envergure, préparée pour ce dimanche 7 février, en lien avec ce «coup d’État». Franchement. De sorte que la Communauté Internationale, bien au fait de la mécanique de ce genre d’entreprise, pour en avoir monté plusieurs elle-même, n’avait pas mordu à l’appât. Alors, tout le scénario, qui avait été préparé de longue date par le gouvernement et ses appuis locaux, est tombé à plat. Il fallait donc trouver quelque chose d’autre pour désarçonner l’opposition et mener à bien, tambour battant, la campagne pour l’installation de la nouvelle République, avec une nouvelle Constitution, assortie de nouvelles élections faites sur mesure. Et le gouvernement s’est employé à cela, sans avoir rien préparé à l’avance, en y allant au pif.

Ainsi, cela faisait déjà quelque temps que le gouvernement avait dans sa mire l’ex-maire de la capitale. Voilà un candidat tout indiqué pour détourner l’attention et focaliser les réflexions sur l’évidence d’un complot. Mais Youri Chevry a le nez fin et une bonne longueur d’avance sur nos magouilleurs de l’État. Il avait senti venir le coup et avait eu la prudence de prendre le maquis, bien avant cette descente de lieu des forces de l’ordre pour s’emparer de sa personne. Et celles-ci ne se seraient jamais rendu compte de son départ du pays, n’était-ce son interception par la police dominicaine. En effet, Youri Chevry avait pu traverser la frontière sans difficulté. Bien évidemment, aussitôt aux mains des autorités dominicaines, l’ex-maire Chevry a vite fait de loger une demande d’asile politique dont le pays voisin a bien été forcé de reconnaître la validité et d’y répondre favorablement, en raison de sa signature de Conventions internationales en la matière. Le gouvernement haïtien a eu beau gesticuler et réclamer son extradition mais rien n’y fit. Survint alors ce kidnapping bizarre et opportun de deux citoyens dominicains, dans le quartier de Bolosse, à Port-au-Prince, alors que leur caravane était accompagnée d’un cortège policier. L’enlèvement se serait fait en douceur, sans opposition de leur cortège policier qui se serait opportunément évaporé, au moment précis où ils en avaient le plus besoin. Sur les réseaux sociaux, une rumeur persistante voulait que le gouvernement haïtien exerçât un chantage sur ses homologues dominicains, offrant d’échanger la libération de ces otages dominicains contre l’exilé politique, Youri Chevry. La publication de cette rumeur avait fait grand bruit au pays voisin, de sorte qu’il était devenu hautement compromettant de satisfaire, en aucune manière, la demande de l’État haïtien, sans perdre la face devant la société dominicaine. Alors, ne pouvant courir le risque qu’un malheur quelconque n’arrivât à ces encombrants otages, les kidnappeurs ont dû coopérer avec les «forces de l’Ordre» pour remettre leurs prisonniers en bon état. Ils avaient pris d’ailleurs bien soin de démontrer les bons services qu’ils leur ont prodigué, tout au long de leur «captivité». Et pour preuve de la connivence entre leurs kidnappeurs et «les autorités concernées», c’est un poids lourd du parti au pouvoir qui est venu, en personne, les recueillir pour les emmener en un lieu officiellement plus sûr, à la DCPJ. Vous devinerez que je parle ici de Mme Magalie Habitant. Finalement, le chantage de l’État haïtien envers la Dominicanie n’a pas fonctionné.

Parallèlement avec ces ratés du pouvoir, des scandales n’ont pas cessé d’allonger la liste des récriminations contre lui. Il avait voulu réprimer les manifestations de l’opposition et intimider ses chefs de file, en assimilant à un crime de terrorisme, toute occupation, même pacifique de la voie publique, passible de longue peine d’emprisonnement. Mais voilà que certains de ses appuis les plus fiables, jusqu’à ce jour, se mirent à se dérober un peu sous ses pieds, se refusant à cautionner ces aberrations de plus en plus loufoques. Qu’on mette illégalement à la retraite des juges réputés inamovibles, d’après la Constitution du pays, passe encore. Qu’on en emprisonne un sous le fallacieux prétexte qu’il serait un guérillero, un émule du Che qui s’apprêterait à prendre d’assaut le Palais National, on peut en rire, à défaut d’un bon spectacle désopilant. Mais qu’on se prépare résolument à faire un carnage sur des manifestants pacifiques, qui chantent: «vle pa vle, fò l ale», il y a, semble-t-il une limite, qu’à l’évidence, certains ne veulent pas franchir.

Il y avait bien Arnel Joseph, cet ex-chef de gang, emprisonné et dont l’instruction était en cours. Il parait qu’il aurait déjà embarrassé bien du monde par ses révélations sur ses accointances avec des hauts gradés de ce régime. Avec l’imminence de ses prochaines comparutions, d’aucuns n’appréciaient pas beaucoup de devoir expliquer certains contacts compromettants qu’il pourrait encore révéler. Il fallait donc y mettre bon ordre. Et quoi de mieux qu’une tentative d’évasion qui aurait mal tourné. Voilà qui tombait à point nommé. Quand on suit la trame de cette évasion spectaculaire, on ne peut que conclure qu’il s’agissait d’un traquenard, un piège à con dans lequel le pauvre Arnel est tombé, tête baissée. On ne peut pas s’évader de cette prison à sécurité maximum, sans beaucoup de préparation ni sans complicité interne et externe. C’est la seule façon d’expliquer la présence sur les lieux, pile au moment opportun, de partisans et surtout du policier normalement affecté à la protection d’un Sénateur de l’Artibonite, pour faciliter sa fuite vers son fief natal, à Savien, après avoir passé plusieurs points de contrôle occupés par des policiers lourdement armés. Et ce n’est pas fortuit non plus, que son accompagnateur se soit défilé, juste à temps, pour l’envoyer à la boucherie, sur une motocyclette, avec encore une menotte au pied. On aurait voulu l’assassiner légalement qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Je suis sûr qu’après son départ, le pays ne s’en portera pas plus mal mais il me répugne que l’État se résolve à ce qu’on peut assimiler à une exécution extra-judiciaire, pour quel que soit le motif. Une chose est sûre, Arnel Joseph a emporté dans sa tombe les dernières révélations sur ses relations qui auraient pu embarrasser davantage le pouvoir. Il sera désormais muet, comme une tombe, on ne saurait dire mieux. Mais ce plan foireux à également entraîné beaucoup de dommages collatéraux: l’assassinat du directeur de la prison et de passants innocents qui marchandaient peut-être l’achat de provision au marché voisin de la prison, à Croix-des-Bouquets, 25 au total, paraît-il.

Un autre qui a eu également le nez fin, c’est l’autre Arnel, ce prisonnier politique bien connu, l’ex-député Arnel Bélizaire. On avait bien voulu l’attirer dans ce guet-apens, lui aussi, à ce que l’on rapporte. On lui aurait ouvert la porte de sa cellule mais il n’a pas mordu à l’hameçon. En vieux routier, il avait flairé l’arnaque et est resté tranquillement dans sa geôle. Nul doute que ce réflexe de conservation lui aura sauvé la vie. Mais là encore, la sagacité de l’opinion publique a été alertée et a commencé à connecter les bouts épars mais qui se tiennent bien dans cette affaire, quand on y regarde de plus près. Le gouvernement se sentant coincé, use maintenant d’expédients de plus en plus grossiers et grotesques. Et là, ces appuis sont de plus en plus réticents à le suivre dans cette fange pour le désembourber, car eux aussi, ils risqueraient de se faire piéger devant leur opinion publique qui ne leur pardonnerait pas leur désinvolture et leur exposition fâcheuse dans cette aventure criminelle.

Mais ce n’est pas tout. Devant l’insistance des manifestants qui ne cessent de dénoncer le phénomène de kidnapping indiscriminé auquel ils sont assujettis, le gouvernement a décidé abruptement, la semaine dernière, d’ordonner la déteinte des vitres de tous les véhicules, à l’exception de ceux immatriculés «officiel» ou «corps diplomatique». Il se trouve que cette nouvelle disposition de l’État est en flagrante contradiction avec une autre, prise tout récemment encore, dans le cadre du décret régissant le budget en cours et qui exigeait un paiement de 10 000 gourdes pour obtenir le permis de teindre les vitres des véhicules privés. Cette décision soudaine de la part du Premier Ministre de facto ne semble pas faire l’unanimité dans sa propre cour. De sorte qu’on rue un peu dans les brancards et que cela entraîne des manifestations de protestation plutôt intestines. Mais là où cela devient inquiétant, c’est que le Premier Ministre de facto, dans ses déclarations à la presse et qui se veulent spirituelles et colorées, aurait déclaré que ce sera tant pis pour ceux qui n’obtempéraient pas à sa décision de déteinte des vitres. Il faisait sa déclaration jeudi et vendredi, comme par hasard, une escouade de motards se serait attaquée à un employé de l’ambassade des États-Unis, embarqué dans un véhicule diplomatique, avec les vitres teintées. Il aurait été menacé avec des armes à feu et bombardé de pierres. Après une course poursuite dans les rues de la capitale, il aurait rebroussé chemin pour se réfugier à l’ambassade des États-Unis.

D’aucuns voient des connections entre cette affaire et l’arrestation et l’extradition de deux inculpés notablement proches du gouvernement. Il s’agit d’un certain Joseph Lissner Mathieu, citoyen haïtien, naturalisé américain, recherché pour trafic de stupéfiant aux États-Unis et qui avait ses entrées au Palais National. Il serait même un des chauffeurs privés du Président et aurait été arrêté avec des cartes lui donnant accès, non seulement au Palais, mais au bureau du Président, ce qui n’est pas peu dire. Quant à l’autre extradé, il s’agirait d’un certain Peterson Benjamin, alias Ti Nèg, réputé numéro 3 du gang «5 Secondes», opérant à Village-de-Dieu, ex-fief d’Arnel Joseph, aujourd’hui trépassé. M. Benjamin est inculpé pour le kidnapping de 2 ressortissants américains. La question que je me pose maintenant, c’est le rapport qu’il y aurait entre ces 3 faits: la déclaration du P-M de facto à l’encontre de ceux qui n’obtempéreraient pas à son ordre de déteindre presto les vitres de leurs véhicules, l’extradition de ces deux compatriotes vers les États-Unis, compte tenu de la devise du «G-9 en famille et alliés», à savoir: «manyen youn, manyen tout» et l’attaque de ce commando de motards contre cet employé de l’ambassade américaine. Après tout, une déclaration beaucoup plus ambiguë de l’ex-député Arnel Bélizaire, qui aurait été perçue comme une menace voilée à l’endroit de cette ambassade, lui vaudrait cet emprisonnement dont il ne connaît pas encore la durée. Pour ma part, les propos du Premier Ministre de facto à l’égard de ceux qui circulent à bord de véhicules avec des vitres teintées, de même que les déclarations du «G-9 en famille et alliés» à l’endroit de ceux qui touchent à leurs membres, ne sont pas tout à fait des paroles en l’air, sans conséquence. À la place de l’employeur de ce fonctionnaire, je me poserais sérieusement ces questions, sans attendre d’en être rendu aux mêmes étapes qu’au Sénégal.

C’est un peu dans l’air du temps. Il y a comme un mimétisme qui porte les peuples aux prises avec les mêmes problèmes, à essayer les mêmes solutions tentées ailleurs, peu importent leurs résultats heureux ou moins fortunés. Ce n’est qu’après coup qu’on en fera le bilan. Mais c’est généralement trop tard pour ceux qui feront les frais des statistiques et qui allongeront la colonne des dommages collatéraux. Si Macky Sall, au Sénégal, a raté sa sortie par le haut, comme le dit si bien Fatouma Chérif Dia, son homologue haïtien risque d’en connaître une, toute aussi sinon plus fracassante, entraînant avec lui des situations tout autant regrettables pour ceux et celles qui s’entêtent à le soutenir aveuglément, dans sa quête éperdue pour se maintenir à la tête d’un pouvoir despotique.

Pierre-Michel Augustin

le 9 mars 2021

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