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«Crier dans le désert»: Erickson Jeudy retrace le massacre de La Saline de novembre 2018

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«À la mémoire de toutes les personnes massacrées du monde, spécialement celles de La Saline, Port-au-Prince, Haïti».

Extrait du texte: «Crier dans le désert», d’Erickson Jeudy

Texte en Cours (TEC) est un festival de l’en-cours, du non-fini et de l’existence de l’art avant la production, conçu pour faire entendre des voix francophones et qui ne sont pas de l’Europe. Pour sa huitième édition qui s’est tenue du 23 au 27 novembre 2020, Erickson Jeudy, poète et dramaturge, y a participé avec son texte intitulé: «Crier dans le désert».

En effet, Erickson Jeudy, ce philosophe, créateur artistique et littéraire, et qui s’intéresse, entre autres, à la mémoire et à l’histoire, tente de retracer le massacre de novembre 2018 à La Saline, ce quartier précaire de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, en mettant en scène les personnages: Donie et Sonson, qui sont sœur et frère, autour de l’histoire de leur maman, avant et après sa mort. Sonson, qui vient de Paris pour rendre un dernier hommage à sa maman, voulait savoir son dernier mot, soit un conseil, une mise en garde, un secret, que sa maman aurait pu confier à sa sœur, Donie. En fait, Donie confirme qu’elle n’a pas eu le temps de cracher un dernier mot. Mais, c’est elle qui a plutôt dit à sa maman de tenir bon et de ne pas la laisser seule. Par ce texte, l’auteur maintient une conversation constante des deux personnages, pour une explication de ce massacre. Aussi, il met en avant, leur maman assassinée, sous les yeux de sa fille, Donie, qui, elle-même, avait été violée, lors de ce massacre. En fait, c’est une conversation tournée autour de leur mère défunte, enterrée, par sa fille Donie, dans une pièce, à côté de sa chambre.

Devant la photo de sa maman, seul, Sonson s’exprime: «Maman, j’ai peur…». Son discours persiste dans la nostalgie surtout, avec les conseils de sa maman. Sonson exprime son amour, aussi ses regrets. D’un coup, Donie, sa sœur, rentre pour lui offrir du café. Et ils reprennent leur conversation. Sonson insiste pour connaître les derniers mots de sa maman, dit-il, pour écrire un discours, à l’occasion d’un dernier hommage à sa maman. Soudainement, il tire un papier de sa poche: le discours, et lis ceci: « Maman est partie avec les nuages, non, pas son corps…» Un long discours de confession, et aussi des souvenirs de sa maman.

Sonson, revenu de Paris, a voulu rendre un dernier hommage à sa maman, en réunissant, entre autres, des amis, des proches et des cousins. Mais il s’est buté sur une réalité inattendue, celle qu’il n’avait pas connue avant: la réalité des tirs incessants, juste parfois pour essayer une nouvelle arme acquise. C’est aujourd’hui le quotidien dans les quartiers populaires, comme La Saline. Sa sœur, Donie, pour le convaincre que c’est impossible de réunir des personnes pour le dernier hommage, lui fait regarder par la fenêtre. Ainsi, il ne voit que les ruines des maisons incendiées, les traces du massacre. C’est à ce moment que Donie lui confirme que personne ne viendra, en disant: «La Saline, c’est la mort. Personne n’a envie de visiter un lieu où personne n’habite. Personne ne visite la mort». Elle blâme aussi son frère et le taxe d’emmerdeur, avec son accent mi-européen et son parfum qui sent bon et hybride. «Nous sommes ici prisonniers, nous sommes rayés des médias et des discours politiques», poursuit-elle. Tout ceci, pour peindre la réalité de ce quartier qui, même après le massacre, a connu la terreur. Le quartier a connu quatre (4) jours de tirs nourris, pour intimider les personnes qui y sont restées.

En voulant parler à sa maman, de ses conseils et autres, Sonson exprime sa douleur face aux maux du monde entier, en disant ceci: «la douleur n’a pas de patrie…» Ce disant, il est en lien avec le drame des réfugiés, les morts dans la Méditerranée, en quête d’une vie meilleure et décente, avec des personnes qui viennent des territoires oubliés, comme La Saline, ce lieu dont parle le texte: «Crier dans le désert», du Professeur Erickson Jeudy. Dans ce texte, l’auteur retrace le massacre de la Saline, un massacre d’État qui a eu lieu dans la nuit du 13 au 14 novembre 2018. Oubliée par l’État, par les médias, par la Communauté Internationale, La Saline est un quartier pauvre, un bidonville où a eu lieu ce massacre et où les corps de personnes sans vie avaient été laissés pour les porcs et les chiens. Ainsi s’exprime Donie: «Seuls les chiens et les cochons avaient la décence de nous débarrasser de ces cadavres.»

Avec ce texte, Erickson Jeudy tente aussi de raconter l’histoire de l’attachement du peuple haïtien à ses défunts. En effet, une jeune a inhumé sa maman dans une pièce pour empêcher qu’on ne brûle son corps. Cet acte souligne la volonté de rester proche des êtres qui nous sont chers. Il raconte/retrace le massacre de La Saline, dénonce quelque chose qui n’est pas normal mais qu’on tente de normaliser. Enfin, le texte: «Crier dans le désert», c’est un cri lancé par ce metteur en scène, en vue de braquer les yeux sur un quartier où un massacre d’État a été perpétré et a laissé jusqu’à maintenant des séquelles. C’est un cri contre l’injustice sociale, contre les inégalités et, surtout, au nom des oubliés de La Saline, des sans voix, des marginalisés.

S’il est vrai, qu’à travers ce texte, l’auteur ne retrace que le massacre de La Saline, ce fait n’est pas différent de l’ensemble des massacres perpétrés dans le pays et surtout dans les quartiers populaires tels Cité-Soleil, Bel-Air, Tokyo, Delmas 2, etc. En effet, le massacre qu’a connu La Saline n’en est qu’un exemple et, bien conscient de l’injustice, l’auteur nous permet de revivre cette histoire si tragique, par son texte: «Crier dans le désert». En somme, ce texte pourrait traduire la réalité et donc, est un récit de tous les massacres en Haïti.

Face aux massacres d’État, crions-nous toujours dans le désert?

Job Pierre Louis

[email protected]

La photo est de l’auteur du texte, et a été tirée de sa page Facebook Vanitéiste Dread.

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