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Nos choix de sortie de crise pour 2021, avec ou sans élections

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Le canevas se précise de plus en plus. D’ici au 7 février 2021, le nœud gordien devra être tranché, d’une façon ou d’une autre. Les acteurs divers de notre avant-scène politique placent leur mise et font leur proposition. En fait, il y en a trois dont il faudra débattre pour n’en choisir qu’une seule. Laquelle? Personne ne le sait encore fermement. Mais les positions sont bien campées, pour le moment.

À tout Seigneur, tout honneur. D’abord, considérons la position du Président Jovenel Moïse et de ses affidés. En premier lieu, il se convainc que son mandat constitutionnel se terminera le 7 février 2022. Pas en 2021. Donc, il aura le temps, d’après lui, de réécrire la Constitution et, ensuite, selon les nouvelles dispositions qui y seront enchâssées, concernant les institutions électives, leur mode de scrutin et leur calendrier, il y pourvoira. À cela, il travaille déjà et il a installé des mécanismes pour y parvenir. Le Comité Consultatif Indépendant, censé être maître-d’œuvre dans la réécriture de la nouvelle Constitution, même s’il n’a jamais encore pu prêter serment, est installé et est à l’ouvrage. Il aurait déjà réalisé un chronogramme d’activités et de rencontres à tenir avec les forces vives de la nation, des interlocuteurs organisés de la Société Civile. D’autre part, un des membres influents de ce Comité Consultatif Indépendant, le professeur Louis Naud Pierre, affirmait récemment que, d’ici au 31 décembre, ledit Comité pourrait déposer son travail à ses mandataires: une Constitution toute neuve, avec tous ses considérants et ses articles, pas seulement une épure dont il faudrait élaborer les détails exacts, par la suite, à grands coups d’amendements à répétition. En dépit de ces précisions dans les échéances, l’actuel Chancelier haïtien, M. Claude Joseph, a cru bon, tout récemment encore, de solliciter les avis et l’expertise de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), ce que le Représentant Régional pour la Caraïbe et l’Amérique latine de cette institution, l’Ambassadeur Emmanuel Adjovi, a bien voulu confirmer, sans vouloir s’étendre le moindrement sur le sujet. À ce compte-là, cela risque de prendre un peu plus de temps que prévu. Un trimestre, cela ne dure qu’environ 90 jours, et c’est vite passé. Donc d’ici au 7 février 2021, il n’y aurait pas beaucoup de chances que des élections soient réalisées. Et même au 7 février 2022, on risque fort également de rater l’échéance, à moins de tourner bien des coins ronds. Mais le Chancelier vient d’annoncer le référendum qui se tiendrait au cours du mois de mars 2021, sans plus de précision. Néanmoins, il y a beaucoup de dossiers à régler, avant de pouvoir tenir effectivement un référendum ou des élections. Pour réaliser ces dernières: le décret électoral, le Conseil électoral Provisoire, la distribution de 80% des nouvelles cartes d’identification DERMALOG, la mise au pas des gangs et un relatif retour à une sécurité publique moins incertaine: cela fait beaucoup de dossiers à régler en si peu de temps. Sans compter qu’il faudra, en plus, convaincre la pléthore de partis politiques d’importance, de participer à ces scrutins, pour que les résultats soient plus ou moins crédibles, la marche devient alors de plus en plus haute. Cela ressemble davantage à une falaise à pic qu’il faudra escalader sans corde et sans grappins.

Ensuite, vient un autre joueur important, le CORE Group, représentant très actif de la Communauté Internationale dans ce processus interne et strictement haïtien. Les membres du CORE Group, les États-Unis en tête, exigent, au moins, la tenue d’élections législatives, dans les meilleurs délais, d’ici au début de 2021, enfin, dès que la situation générale le permettra. Nulle mention n’est faite, par ce secteur, de la soi-disant nouvelle Constitution de Jovenel Moïse ni de son référendum. Ce qui leur importe le plus, pour le moment du moins, c’est la nécessité de regarnir les fauteuils parlementaires. Et, ensuite, on verra. Le Représentant de l’OEA va un peu plus loin. Il souhaite, il exige, même, la tenue des élections parlementaires, avant le 1er janvier 2021. C’est clair que ce dernier acteur verse dans une surenchère irréaliste. Même dans l’éventualité d’un simulacre d’élections, il faut quand même qu’elles soient relativement crédibles. Donc, une relative vraisemblance est alors absolument essentielle pour vendre cette patente et faire croire au retour à un semblant de fonctionnement démocratique, plus ou moins normalisé. Et là, cette proposition de la Communauté Internationale ne tient pas la route non plus. Au 7 février 2021, il ne sera pas possible de réaliser des élections crédibles, de renouveler, ainsi, le Parlement et de lui redonner un semblant d’autorité à exercer, pour valider ou contenir les dérives d’un Exécutif de plus en plus autocratique. Pourra-t-on forcer la note jusqu’à tenir des élections quelconques coûte que coûte ? Et à quels prix?

Il reste la proposition de l’Opposition Démocratique et Populaire et de sa Direction. Pour l’opposition, il n’est pas question de négocier quoi que ce soit avec le Président Jovenel Moïse, sauf, peut-être, les modalités de son départ ordonné du pouvoir, d’ici au 7 février 2021. À cette date, lui succéderait alors un Juge de la Cour de Cassation qui serait choisi par une Commission bipartite de 7 membres, désignés: quatre par l’opposition et trois par des organisations de la Société civile. Un Premier ministre de consensus serait choisi par ladite Commission bipartite et son mandat prendrait fin à la prestation de serment d’un nouveau président élu. Les membres de ce gouvernement provisoire seraient choisis en concertation avec le Président provisoire, le Premier ministre, les dirigeants des partis politiques et des organisations de la Société Civile. Par-dessus tout, aucun membre de ce gouvernement de transition ne pourrait se porter candidats aux prochaines élections. Pour contrôler ce gouvernement provisoire et s’assurer du respect de la feuille de route qui lui sera assignée, un Conseil de 13 membres serait constitué dont six (6), issus des partis politiques, et sept (7), de la Société civile. Au menu de cette feuille de route s’inscrivent les points suivants:

  • rétablir l’autorité de l’État sur tout le territoire;
  • restaurer un climat de sécurité, par le démantèlement des gangs armés;
  • créer les conditions pour la réalisation du procès PetroCaribe, et ceux des massacres et des exécutions sommaires;
  • mettre en place les structures de consultation et de concertation du projet national de transformation et de développement durable, dans le cadre de la Conférence Nationale;
  • organiser des débats sur le choix des modifications à apporter à la Constitution et sur les modalités de leur mise en œuvre;
  • relancer l’économie nationale;
  • satisfaire les revendications légitimes et urgentes de la population;
  • mettre en place un organisme ad hoc, ayant pour mission d’organiser des élections générales;
  • trouver un mécanisme démocratique pour réduire le nombre des partis politiques, en vue de rationaliser le financement de leurs activités;
  • encourager la participation massive des citoyennes et des citoyens aux divers scrutins.

Avec un tel programme, il est à se demander quelle sera l’échéance pour la tenue des prochaines élections, même s’il est toujours possible de mener concurremment la plupart de ces dossiers, en plus de gérer les affaires courantes de l’État. En tout cas, ce qui est clair, c’est que la Direction Politique de l’Opposition Démocratique (DIRPOD) semble avoir de la suite dans les idées, à défaut de détenir tous les moyens de parvenir à ses fins politiques. À tout le moins, il est clair qu’elle n’envisage pas une échéance d’un an pour y parvenir, car, si tel était le cas, ce serait nettement irréaliste.

Mais déjà s’annoncent quelques échardes à cette proposition de l’Opposition. La Conférence Épiscopale, la même qui avait fini par accoucher de cet Accord El Rancho entre les protagonistes en 2014, se présente à nouveau comme médiatrice entre les mêmes interlocuteurs politiques dont elle requiert une sincérité à toute épreuve, cette fois-ci. On se demande encore quels seront les indicateurs objectifs de cette notion tant subjective qu’est la «sincérité politique». La dernière fois que le Cardinal Chibly Langlois avait bien voulu se prêter à cet exercice, Son Éminence et sa bande de crédules se sont fait royalement rouler dans la farine, par les détenteurs du pouvoir, d’une part, et d’autre part, ils se sont fait vertement reprocher par les acteurs de l’opposition, d’avoir été complices de ce coup fourré du pouvoir. Alors, pourquoi recommencer là où l’on a piteusement échoué, tout récemment encore, d’autant plus que la situation politique générale n’a changé en absolument rien? Le problème, c’est que le Clergé Catholique détient encore une certaine crédibilité morale, un certain poids social et politique au pays, qui lui confèrent encore un brin d’autorité. Déjà, Youri Latortue, leader du parti Atibonit An Aksyon (AAA) et le porte-parole de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL), M. Danio Siriack, selon ce que rapporte le journaliste Robenson Geffrard, dans les colonnes de Le Nouvelliste du 30 novembre 2020, se disent «très ouverts à toute proposition entre Haïtiens, respectant la Constitution et la date du 7 février 2021». Ne serait-ce pas là, déjà, le début d’une fracture, d’une autre distraction qui viendrait mettre en péril le fragile consensus de la DIRPOD?

Quelle que soit la proposition qui se réalisera, l’année 2021 risque d’être plus que mouvementée en Haïti. Il ne semble pas avoir de point de convergence entre les trois propositions de sortie de crise pour lesquelles la Conférence Épiscopale se propose encore en médiatrice pour en amender les écarts et pour trouver un terrain d’entente satisfaisant pour toutes les trois parties prenantes, car il faut bien tenir la Communauté Internationale pour l’une d’entre elles. Généralement, celle-ci finit par obtenir ce qu’elle veut, en Haïti, même s’il faut, pour cela, emprunter des chemins de détour. Cela peut prendre plus de temps mais elle arrive généralement à ses fins, usant de stratégies, de moyens et d’alliés politiques pas toujours avouables. Ce n’est qu’après, fort tard, l’on se rend compte combien l’on a été abusé par ce partenaire puissant et retors. Qu’on se souvienne du reclassement électoral, commandé de la 3e à la 2e position, du candidat Joseph Michel Martelly en 2011, pour parvenir à lui faire remporter la finale électorale, comme en attestait le Directeur Général du CEP de l’époque, Pierre-Louis Opont, dont la candeur tardive nous a exposé les machinations auxquelles s’est livrée ladite Communauté Internationale, lors de ces élections. L’Accord El Rancho, loin d’avoir abouti à des élections à la régulière, comme cela avait été négocié, de bonne foi, entre certaines des parties en présence, nous avait menés au gouvernement de facto du Premier Ministre Evans Paul qui a failli nous conduire à une élection dite yon gren soulye, le 24 janvier 2016, toujours sous la direction du même Pierre-Louis Opont. Après tout, si ce dernier avait pu le faire une première fois, il pourrait bien rééditer son exploit de changer la réalité des urnes, quelle qu’elle soit, en faveur des diktats de la Communauté Internationale, quelque différents qu’ils puissent être, par rapport aux choix de la population. C’est du moins ce que croyait les membres du CORE Group, à l’époque, jusqu’à la démonstration populaire du 22 janvier 2016 qui les avait convaincus, devant le refus total de la population, de reporter l’exécution de leur projet à plus tard. Et l’on connaît la suite, n’est-ce pas?

Invariablement, nous nous retrouverons, au cours de cette année 2021, devant un choix fatidique à faire entre ces trois propositions de sortie de crise. N’importe laquelle nous coûtera des sacrifices et un coût que nous devrons nous préparer à assumer pleinement. Personne ne nous fera de cadeau, dans cette lutte pour nous conduire, finalement, à l’avènement d’une ère nouvelle de réconciliation avec nous-même et d’un développement économique durable, au bénéfice de la population dans son entièreté.

Pierre-Michel Augustin

le 1er décembre 2020

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