HomePerspective & PolitiqueLes politiciens haïtiens, en mode «la lose»

Les politiciens haïtiens, en mode «la lose»

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Si vous êtes haïtienne ou haïtien, si vous avez côtoyé la communauté haïtienne, vous avez certainement entendu cette expression «moun yo ap laloz». Cette expression, tirée du français: «faire la lose», fut popularisée dans le créole haïtien, dans les années (post) 2000, avec le groupe Raram, dans une meringue carnavalesque. Mais, c’est quoi «la lose»? Les Français ont piqué ce mot de l’anglais, du mot «lose» qui veut dire perdre. Le mot, déformé par la prononciation française, s’était converti en une expression que certains commentateurs sportifs utilisaient généralement pour expliquer, voire justifier, les mauvais résultats des équipes avec lesquelles ils avaient une quelconque connexion ou affinité. Ces experts de la communication, animés par leurs émotions et la passion pour le sport et pour leurs équipes préférées, manipulent, changent, inventent de nouveaux mots et patentent ainsi de nouvelles expressions. Ce sont ces poètes du sport qui sont responsables de la création et de la promotion de «l’art de la lose». Avec les réseaux sociaux, cette expression a pris un autre tournant, spécialement dans la politique.

«La lose» ou qui perd gagne

En Haïti, tout comme chez nos voisins démocrates et républicains américains, il semble qu’il y a un accord silencieux d’alternance de pouvoir. Les opposants d’hier sont ceux qui nous dirigent aujourd’hui et seront les représentants de l’opposition de demain. Dans ce jeu vicieux entre malins et coquins, les perdants sont aussi des gagnants. En peu de mots, qui perd gagne. Ces opposants farouches, selon leurs capacités et habiletés, critiquent, déstabilisent, détruisent tout ce qui est fait par leurs adversaires au pouvoir. Sans aucune pression ou prétention d’offrir des alternatives, ils savent que plus les choses vont mal pour ceux qui sont au pouvoir, plus ils sont sensibles pour négocier et concéder des avantages à leurs opposants. L’opposition est forte là où le pouvoir est faible, dit-on. Au Parlement, ils étaient toujours prêts, publiquement, à bloquer les projets de l’Exécutif. Et pourtant, derrière les rideaux, loin des caméras, ils négocient certaines faveurs personnelles du président, comme ce fut le cas dans la prolongation des mandats de certains sénateurs de l’opposition. Aujourd’hui, au Législatif, ce refuge de députés et sénateurs, ces anciens opposants réactifs sont devenus des opposants passifs avec la caducité du Parlement. La République ne devrait pas fonctionner sans les trois pouvoirs: le Législatif, le Judiciaire et l’Exécutif. Il faut organiser des élections «coûte que coûte». Mais, attendez, pas si vite. Nous ne voulons pas participer aux élections avec ce régime de PHTK, déclare l’Opposition. Et le gouvernement s’accorde harmonieusement au petit jeu. Pourquoi organiser des élections en faveur de nos propres remplaçants? Et l’Opposition se demande comment éviter les élections et aller tout droit vers une transition de deux à trois ans. Le non-lieu des élections semble convenir aux deux parties.

Nos politiciens dansent au «laloz»

Dans la danse «laloz», le danseur ou la danseuse balance son corps de droite à gauche, de gauche à droite en zigzag. C’est comme les mouvements d’un marin sans équilibre sur le pavillon de son voilier, soumis à de fortes vagues. C’est une forme de «woule m de bò». Je vous invite à fouiller les vidéos de meringues pour savoir davantage sur cette danse. Similairement, dans la politique, c’est difficile de comprendre la position de nos politiciens qui changent de position selon les vœux de leurs patrons, selon leurs intérêts mesquins. Ce n’est pas sans raison qu’on dit en Haïti que l’Opposition politique est «sans position». Ils questionnent la légalité et la légitimité de la création et installation au Palais National du nouveau Conseil électoral de neuf membres. On peut s’attendre déjà aux dénonciations prochaines des Bureaux Électoraux Communaux (BEC) et Bureaux Electoraux Départementaux (BED), au rejet du calendrier électoral. Et, si toutefois on arrive à faire ce «bouyi vide» d’élections, les résultats seront contestés et puis rejetés par l’Opposition.

Un déjà-vu

Cette formule de l’opposition politique est aussi vieille que la démocratie haïtienne. Rappelez-vous, les opposants de 2000 ne voulaient pas les élections avec l’ancien président, le Dr. Jean Bertrand Aristide. Ils avaient contesté les résultats et déclaré de facto, le président issu de ces élections. Tout comme les opposants d’aujourd’hui, ils ne voulaient aucune concession, aucun compromis. Ainsi, avec l’aide de nos anciens colons français, avec le support des bandits armés, appelés terroristes par le régime lavalassien, et rebelles voire libérateurs par l’Opposition à l’époque, avec l’aide d’une poignée de soldats américains, ils avaient finalement abouti à un coup d’État qui mit fin au règne Lavalas. Contrairement aux films américains, dans la politique haïtienne, il est plutôt question de définir le meilleur «bad guy» ou tout simplement trouver le plus gentil des malins. Le peuple se moque de ces danseurs «la lose», ces «lalozè» ou «loser», ces artistes de «la lose». Des Sénateurs et députés étaient la risée de tous. Leurs niveaux d’études, leur capacité de parler le français ou l’anglais, leurs orthographies, tout ce qu’ils disaient et faisaient, pouvaient devenir viral sur les réseaux sociaux. Qui ne se moquait pas de Ti-Simone? Entre-temps, au milieu des distractions et des diversions, les politiciens, eux, se sont enrichis rapidement. Avec leur fortune, ils mènent le jeu. Et cette fois, c’est le peuple haïtien qui est aussi en mode «la lose».

GONAIVES, HAITI – FEBRUARY 20: Members of the National Resistance Front To Liberate Haiti look at a leaflet distributed showing Haitian President Jean-Bertrand Aristide leaving the country February 20, 2004 in Gonaives, Haiti. The rebels have been fighting for the ouster of President Jean-Bertrand Aristide. The U.S. government has asked American citizens to leave the island nation where more than 50 people have been killed in the uprising.(Photo by Joe Raedle/Getty Images) *** Local Caption ***

On passe de «viv lavalas» à «viv PHTK». Sans aucune gêne, nous avons voté ces mêmes personnages qu’il prenait pour des clowns, des voyous, des monstres pour diriger le pays. Qui rit bien, rira le dernier, selon le vieil adage. Aujourd’hui, nous leur devons une sorte de révérence: honorable sénateur, honorable, son excellence, monsieur le président, etc. À leur tour, ils se moquent de notre misère, du développement du pays, de notre sécurité et du futur de nos enfants. Ils peuvent nous traiter d’idiots, de cons, de «pèp sòt», «pèp sovaj». Tristement, dans cette pratique de «la lose», les masses populaires ont toujours été les victimes traditionnelles et continuelles.

C’est un piège!

Ce mouvement «laloz», dans notre secteur financier déjà fragilisé, va augmenter les spéculations, effrayer les investisseurs et ralentir tout développement économique durable. Toute personne qui prétend aider le peuple par ces mesures sait pertinemment que c’est faux, car elles empêchent le peuple d’encaisser des dollars. Avec l’obligation faite aux maisons de transfert de payer les transferts de la diaspora haïtienne en gourdes, à partir du premier octobre 2020, seules les banques et institutions financières pourront continuer à manipuler les valeurs de la gourde librement et légalement, grâce au soutien de la BRH. Empêcher la circulation du dollar, seulement au niveau de la classe moyenne et pauvre, tombe donc dans un plan macabre. Encore une nouvelle fois, l’État haïtien s’agenouille et remet le contrôle total du secteur financier et économique à une élite qui ne s’intéresse guère aux intérêts de la nation.

Cela fait à peine quelques semaines que monsieur Jules, un comptable de carrière, avait loué une maisonnette à 220 milles gourdes soit 2 milles dollars américains (120 gourdes pour un dollar américain). Et voilà les banques, la BRH en mode «laloz». En conséquence, la gourde, qui avait chuté sans parachute, vient de remonter comme une fusée. On parle d’une croissance de 120 à 70 gourdes pour un dollar. Bref, en si peu de temps, la valeur de ce bail est passé à 3 142$ USD. Donc, le propriétaire a gagné 1 142,00$ de plus pour ce contrat de douze mois. Combien le locataire va-t-il payer l’année prochaine? Et là, c’était un simple cas. Si je prends la commande de matériaux d’un ingénieur civil, au montant de 52 966,83 USD soit 6 356 020,67 gourdes (avec 120gde/dollar) pour un projet de construction. Avant même que ces matériaux soient délivrés, les 6 356 020,67 gourdes valent aujourd’hui 90,800.29 USD. Est-ce que l’ingénieur aura droit à un remboursement de 37 833,84 dollars américains? Il faut peut-être poser cette question au directeur de la BRH.

Il est temps de stopper cette pratique de «la lose» qui plonge les masses populaires dans la confusion durant la saison électorale. Ouvrons grands les yeux pour voir de loin ces magouilleurs qui ne sont ni de la gauche, ni de la droite mais toujours au centre de la corruption, au centre de la dilapidation du trésor public, au centre des complots contre notre peuple. An n sispann danse laloz ak moun sa yo.

Rodelyn Almazor

Société & culture

Ecrivain, Poète

ingalmazor@yahoo.com

Journal Haïti Progrès

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