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La violence institutionnalisée dans nos écoles en Haïti

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Si pour certains experts en éducation et en psychologie, parler de punitions physiques en 2020 dans les écoles semble absurde, la réalité en Haïti va au delà de l’imaginaire. Permettez-moi de vous présenter mademoiselle Sabine. Elle est une jeune mère célibataire de 27 ans qui, toute seule, prend soin de sa fille de huit ans, grâce à ses petites ventes d’extensions ou faux cheveux. Elle a pris le podium des réseaux sociaux pour dénoncer les abus d’une professeure contre sa fille, parce qu’elle n’avait pas apporté un livre de math exigé par l’établissement scolaire. Elle cherchait à comprendre et à expliquer le motif d’une telle punition. Ma fille n’est pas responsable, si je n’ai pas encore les moyens d’acheter ce livre, s’exclame-t-elle, d’un ton qui ne cache pas sa déception et son embarras. C’est peut-être moi qui mérite la punition, elle s’interroge. À quelle porte dois-je frapper pour un emprunt, afin d’éviter cette honte, une nouvelle fois, à ma petite princesse? Soudainement, les pleurs arrosent son visage accablé.
À ce point, toute sympathie envers Sabine est tout à fait justifiée. Cependant, on devrait se demander comment expliquer et arriver à convaincre les parents qu’aucun établissement scolaire ne devrait, sous aucun prétexte, maltraiter les enfants placés sous sa garde et protection. Quels sont les modèles pédagogiques qui encouragent ces professeurs, surveillants ou bourreaux disciplinaires, à faire usage de la force contre ces enfants vulnérables?
La bonne éducation ne se fait pas sans discipline, et la discipline est impossible sans les punitions, racontent fièrement et naïvement certains parents haïtiens. Mêmes certains parents de notre diaspora qui ont vécu longtemps dans des pays, où toutes les formes de punitions physiques et violentes contre les enfants sont bannies, menacent leurs enfants de les emmener en Haïti pour une bonne raclée. En effet, si on met de côté les écoles internationales qui suivent des modèles de pédagogies américaines ou françaises, dans presque tous les établissements scolaires haïtiens, surtout au niveau primaire, les punitions violentes et physiques contre les mineurs sont pratiquées. Ce n’est pas une question d’écoles privées ou publiques. Non plus, c’est loin d’être une question d’écoles à vocations laïques ou religieuses. Dans nos villes et dans les milieux ruraux, les abus physiques contre les petits enfants sont comme une épidémie contagieuse qui mérite d’être éradiquée dans toutes nos écoles.

Une pratique généralisée
L’histoire de Madame Aline qui n’avait que neuf ans quand un professeur l’avait punie de quarante coups de ceinturon, sous prétexte qu’elle avait violé le silence sacré, imposé par le professeur, n’est pas seulement anecdotique. Après quelques coups, c’était déjà toute la salle, tous les enfants effrayés qui criaient et pleuraient en sanglots, en signe de solidarité face à cette terrible torture de leur camarade. L’insouciant ne lui avait épargné pas même un coup. Tristement, une fois arrivée chez elle, ses parents, des leaders religieux, bons chrétiens, défenseurs des pauvres, avaient donné leur tacite accord à cette violence contre leur propre fille. Si le professeur t’avait punit, c’est sans doute parce qu’il avait une bonne raison pour le faire. Plus de 25 ans après, les émotions de Madame Aline sont encore vives quand elle raconte son histoire.
Monsieur Isaac se souvient encore de cet incident traumatique avec un professeur en classe préparatoire (1). Il lui disait que ce n’était pas le moment d’aller aux toilettes et, qu’à tout prix, il devait attendre la pause, qu’on appelle récréation chez nous. Comme il ne pouvait plus tenir, il a levé sa petite main une autre fois pour demander la permission. Contrarié, le professeur le fait signe d’avancer vers lui, et devant toute la salle de classe, il l’a sévèrement puni avec un morceau de caoutchouc. Le pauvre garçon s’est pissé dessus, au premier coup. Les rires moqueurs de ses camarades lui hantent encore l’esprit. L’humiliation fut brutale. Malheureusement, certains parents, au lieu d’exprimer leur indignation, s’appuient sur une fausse fierté qui les force à punir (à coups de fouets ou de ceinturon) leurs enfants, parfois sous les yeux contemplateurs des professeurs et surveillants malveillants.

Une extension des violences domestiques.
La grande majorité des Haïtiens confessent avoir subi durant leur enfance des punitions, pas seulement à l’école mais aussi des mains de leurs propres parents. Dans une enquête que j’ai réalisée récemment avec plusieurs professeurs et experts haïtiens dans le domaine de l’éducation, de façon unanime, ils considèrent que les violences physiques dans les écoles sont une extension des violences domestiques. Pour se dédouaner des leurs méfaits, certains affirment qu’ils pratiquent ces corrections avec le consentement des parents des élèves qui, affirment-ils, ont besoin d’aide pour redresser ces enfants qu’ils qualifient de belligérants.
Pour certains historiens, cette pratique serait une séquelle du système esclavagiste où les humiliations, le fouet, les tortures, la bastonnade, les crimes les plus répréhensibles étaient commis contre nos ancêtres, sous prétexte de les civiliser. La discipline passait par la violence, selon les colons de l’époque. Pour d’autres experts, les causes sont à la fois psychologiques et culturelles. En fait, psychologues et anthropologues haïtiens n’arrivent pas toujours à se mettre d’accord sur les origines de ces violences. Néanmoins, ils sont tous convaincus des implications directes et indirectes de ces méthodes archaïques sur la société haïtienne. Comment peut-on condamner les actes de violences contre nos concitoyens quand on voit de bon œil les violences physiques contres des petits enfants? Ce sont les filles battues par leur père aujourd’hui qui risquent d’être abusées par leur mari demain. Ces enfants, qu’on avait introduits à la violence, dès leur jeune âge à l’école, deviendront ces policiers qui patrouillent nos rues ou pire, ces bandits sanguinaires qui sèment la terreur dans nos quartiers.
En Haïti, trop nombreuses sont les écoles primaires et secondaires qui, ouvertement, font usage de punitions physiques sur des mineurs, par les agents disciplinaires et par certains professeurs trop zélés. Haïti est signataire des traités internationaux de protection contre les abus et l’exploitation des mineurs. Tous les secteurs de la nation, politiciens, leaders communautaires, chrétiens, vodouisants, riches et pauvres, toutes les Haïtiennes, mères et filles, tous les Haïtiens, pères et fils, à l’unisson, levons nos voix contre toutes les formes de violences exercées contre les enfants dans les établissements scolaires.
Notez bien: dans le souci de protéger l’identité des victimes, des noms fictifs sont utilisés.
Rodelyn Almazor
Société et Culture
Écrivain, Poète
[email protected]

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