HomeActualitéPourquoi l’histoire d’Haïti est-elle méconnue en Afrique?

Pourquoi l’histoire d’Haïti est-elle méconnue en Afrique?

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Il est sans conteste que l’immigration a des effets sur notre quotidien, nos pensées, nos modes de vie, etc. En effet, l’immigration, qui nécessite une intégration sociale et même économique, pour la survie des individus qui viennent de la place, est un phénomène qui bat son plein partout dans le monde. Pour des raisons diverses, notamment la recherche du mieux-être, les conséquences climatiques, les études, les conflits (armés, ethniques), les guerres, ce phénomène est aujourd’hui de plus en plus d’actualité, compte tenu des traitements accordés aux immigrants (es), et aussi des luttes pour leur pleine intégration dans certains pays.

L’histoire d’Haïti, coloniale bien sûre, a commencé depuis le XVe siècle, avec le débarquement de Christophe Colomb, en provenance de l’Espagne. Puis, elle continua avec la France et l’Angleterre. Il faut aussi mentionner que l’esclavage, avec la Métropole française, a duré près de trois siècles, jusqu’à ce qu’en 1804, Haïti, ancienne Saint-Domingue, proclama son indépendance, après des années de révolution. Elle constitue en effet, la première République noire indépendante du monde, et la première révolution réussie. Cette révolution anti-esclavagiste, anti-raciste et anti-ségrégationniste, a marqué l’histoire de l’humanité et est donc un tournant décisif pour la décolonisation, et surtout de l’Afrique vers 1960. En fait, une nouvelle donne a été définie sur le plan du colonialisme occidental, géopolitique même.

Après avoir décimé les premiers habitants de cette île, pour faire fructifier la colonisation esclavagiste, le commerce triangulaire (Europe-Afrique-Amérique) en était le poumon. En effet, pour pouvoir travailler les champs de cannes, de cotons, d’indigos, etc., les Européens partirent en Afrique pour acheter des esclaves noirs, puis les transporter, entassés dans les cales des bateaux où ¼ d’entre eux périssait au cours du voyage. Une chose est certaine, les Noirs avaient été vendus par des Noirs. Et, arrivés sur l’Île, des traitements inhumains et dégradants ont été infligés à ces hommes, femmes et enfants venus d’Afrique. Bref, l’esclavage est dégradant et inhumain.

De ce court parcours historique sur l’Europe, l’Afrique et l’Amérique, et surtout sur les rapports entre Haïti et l’Afrique, étant donné l’arrivée des esclaves noirs sur l’Ile pour des raisons d’esclavage et de colonisation, il est important de regarder quels rapports entretiennent encore Haïti et l’Afrique, et surtout pourquoi l’histoire d’Haïti y est méconnue pendant que les Haïtiens (es) se sentent fiers (es) d’être Africains (es). es témoignages fascinants des Haïtiens qui ont côtoyé les Africains (es) feront l’objet de notre intervention.

Arrivé à Alexandrie, en Egypte, pour mon Master en Développement, en septembre 2019, j’ai été confronté à des problèmes d’adaptation climatique, d’intégration culturelle et de communication. C’est certainement normal. Comme les autres Haïtiens (nes), j’ai été choqué de la grande méconnaissance de l’histoire d’Haïti par les Africains (es). Plus surprenant encore, il s’agissait d’une cohorte d’environ 160 étudiants (es) de près de 23 nationalités (une seule française) représentant la géographie du continent africain. n effet, durant les échanges dans les cours, des conférences, des exposés, dans les salles de jeux, dans les moments de camaraderie, j’ai constaté que l’histoire d’Haïti est totalement méconnue de ces Africains (es). Leurs seuls souvenirs d’Haïti: c’est le tremblement de terre du 12 janvier 2010 d’une part, et, d’autre part, l’artiste international Wyclef Jean. Donc l’histoire d’Haïti ou l’histoire coloniale, et, plus précisément, l’histoire du commerce triangulaire qui a introduit l’esclave noir en Amérique, n’est-elle donc pas enseignée en Afrique?

Puisqu’Haïti est la première République noire du monde, et que nos ancêtres, esclaves, sont venus d’Afrique par la traite négrière, il est par conséquent important de comprendre pourquoi une telle méconnaissance de l’histoire d’Haïti et celle de toute la Caraïbe. Pour essayer de comprendre cette situation, nous avons dû recourir à d’autres témoignages des Haïtiens, donc des personnes qui ont vécu en Afrique, avec des Africains (es). Ainsi, pour M. Ernst Jean, travailleur humanitaire dans plusieurs pays d’Afrique dont, entre autres, le Nigéria, le Sénégal, la Centrafrique, le Tchad et le Cameroun, il y a une occultation de l’histoire d’Haïti, de la révolution haïtienne, dans l’histoire universelle. On ne leur enseigne que la révolution française, la révolution industrielle, etc. Selon son vécu, dans les grands moments de l’histoire, on n’a pas une connaissance de l’histoire d’Haïti, si ce n’est que de la traite négrière. Donc, la révolution haïtienne n’est pas considérée comme un des grands moments pour les Africains (es), ce qui fait que notre histoire est méconnue sur ce continent. Monsieur Ernst Jean a pu constater cette conséquence, et a conclu que l’histoire d’Haïti et de la Caraïbe n’est pas enseignée car, dans le cursus scolaire des Africains (es), on ne parle que de colonisation de l’Afrique par la France et de la traite négrière. L’histoire d’Haïti n’est donc pas enseignée, c’est ainsi qu’ils ignorent qu’ils sont nos ancêtres. Pour Monsieur Dominicov Dor, étudiant en Master Sciences politiques à l’Université Abomey Calavi (UAC) au Bénin, qui abonde dans le même sens que Monsieur Ernst, l’histoire d’Haïti n’est pas enseignée en Afrique. Par contre, les Béninois (es) surtout, reconnaissent Haïti à travers le Vodou et la traite négrière. De plus, il y a des va-et-vient entre le Bénin et Haïti, quand il y a les fêtes de Vodou. En effet, c’est sur ce plan, celui culturel qu’on reconnaît Haïti. Les causes de cette méconnaissance sont encore plus nombreuses, pour le politologue Jean Odelin Casséus. En effet, il abonde dans le sens que la faible représentation diplomatique d’Haïti sur le continent africain est un facteur très pesant, et s’enchaîne sur l’importance de la culture pour le marketing territorial. Monsieur Jean Odelin Casséus, lui aussi a été surpris, mais ajoute n’être pas étonné parce qu’Haïti ne représente pas grand-chose sur la scène internationale. Cela s’explique aussi par le fait qu’Haïti n’est pas une destination pour des Africains (es), ce sont les plus avisés (étudiants (es) en sciences sociales et humaines) qui connaissent peut-être Haïti. Il conclut pour dire que notre situation sur le continent américain nous cause un certain préjudice. Quand on parle de l’Amérique, la référence ce sont les États-Unis d’Amérique, et les Africains croient que les Haïtiens (nes) sont tout simplement des Américains (es).

Sur la scène internationale, et surtout en Afrique, Haïti, avec son histoire coloniale, son passé révolutionnaire, souffre d’une négligence totale. Il n’y a pas de programmes pour le rayonnement de notre histoire, en vue d’attirer plus de regards pour d’éventuels partenariats. L’État fait l’objet d’une diplomatie presque nulle/morte. Avec une approche de diplomatie culturelle, l’État haïtien pourrait bien exploiter toutes nos potentialités, et aussi nos artistes internationaux et nationaux pourraient devenir des ambassadeurs (drices).

Pendant que les Haïtiens (nes) affichent fièrement leur appartenance africaine, voilà que leur histoire est totalement méconnue là-bas. D’ailleurs, il suffit de citer Haïti pour comprendre que pour les Africains (es), on n’est pas sur la carte géographique mondiale. Cette fierté haïtienne de se revendiquer de l’Afrique n’est-elle pas le fruit d’un refus de l’Occident colonisateur et impérialiste? S’il en est ainsi, l’Haïtien (ne) est doublement victime car pour eux nous sommes des occidentaux, des impérialistes et des colonisateurs. L’Haïtien (ne) est autant rejeté e que les Français et les Américains. On est donc d’un autre monde. Mais on n’est pas Africain (e).

L’État haïtien peut toutefois résoudre ce problème, s’il a une volonté, en ce sens. D’abord, il faudrait renforcer la présence diplomatique; ensuite développer des partenariats d’échanges interculturels; enfin instaurer des programmes capables d’imposer le pays sur la scène internationale comme référence, soit en termes de stratégie soit en termes d’opportunités d’affaires, etc. Ainsi finira peut-être le calvaire des Haïtiens (nes), s’appropriant de la culture africaine, alors qu’ils (elles) sont totalement ignorés (es) par cette dernière.

Haïtiens (nes), si vous venez en Afrique, vous serez traités (e) comme des Occidentaux !!!

Job Pierre Louis

jobpierrelouis.kas@gmail.com

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