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Le temps est venu pour Haïti, de s’affranchir des missions de l’ONU

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Je me demande souvent ce que peut bien faire l’actuelle Mission des Nations Unies, le BINUH, en Haïti, par les temps qui courent. À quoi servent des conseillers dont les avis sont ignorés? À quoi servent des experts qui se trompent régulièrement dans les recommandations qu’elles nous formulent? À quoi servent ces missions qui tournent en rond et qui ne réussissent rien? Pour mieux mettre en perspective mes questionnements, il est important de revenir à cette succession ininterrompue de missions des Nations Unies au pays, et ce qu’il en a résulté, au bout du compte.

Après la chute du dictateur Jean-Claude Duvalier, et dans le réapprentissage, par notre société, de l’exercice d’une démocratie renaissante, nous avons trébuché sur de nombreux obstacles. D’abord, l’élaboration et l’adoption d’une nouvelle Constitution ne furent pas une sinécure. La rédaction de ce document fut une entreprise laborieuse, émaillée de certaines erreurs que l’on s’évertua, 22 ans plus tard, à corriger, tant bien que mal, mais plus mal que bien, de sorte que l’on se perd encore dans ses labyrinthes et dans ses lacunes. Il eut été indiqué, à ce moment charnière de notre histoire, de recourir aux lumières des exégètes de cette doctrine politique, afin de nous épargner ces faux départs. Mais où était l’ONU à ce moment et pourquoi n’avions-nous pas eu le réflexe de faire appel à ces spécialistes? Pourquoi ne s’étaient-ils pas offerts de nous aider ou de nous prévenir des risques et des problèmes auxquels nous allions être confrontés? Je n’en sais pas grand-chose. Je sais seulement que l’ONU était abonnée absente à cette époque. De même, lorsque nous tentâmes de mettre notre Constitution flambant neuve en application, cette institution internationale, garante du respect des règles de non-ingérence dans les affaires domestiques de pays souverains, par des potentats régionaux ou mondiaux, regardait résolument ailleurs, pour ne pas être appelée à témoin ou à s’ériger en juge pour tancer tel grand potentat régional qui voulait influencer et même dicter le cours des décisions nationales au pays. C’était un secret de Polichinelle, que les États-Unis ne voulaient rien savoir de l’élection de Me Gourgue en 1987, et qu’ils avaient avalisé l’annulation des élections du 29 novembre 1987 qui se sont terminées dans un bain de sang, à la ruelle Nazon. De même, tout le monde savait qu’ils appuyaient la candidature de Marc Bazin aux élections de 1990 et qu’ils avaient entrepris de faire changer le résultat des votes en faveur de leur poulain. Et quand ils échouèrent dans leurs tentatives de dernière minute, leur ambassadeur eut à dire, en guise de menace sans l’ombre d’un déguisement: «Aprè bal, tanbou lou!» En effet, il n’était que d’attendre et on n’eut pas à le faire bien longtemps. Le président qui remporta la faveur des urnes, le 16 décembre 1990, allait subir sa première tentative de coup d’État, le 7 janvier 1991, 22 jours après son élection. La mobilisation du peuple força alors l’armée à se ranger derrière lui pour faire avorter ce premier putsch. Le président Aristide prêta serment le 7 février 1991, seulement pour être renversé le 30 septembre 1991, moins de huit mois, plus tard. Le tribut, payé par les partisans du président élu démocratiquement, fut plus que lourd, comme l’avait prédit l’Ambassadeur américain. Plus de 3 000 personnes perdirent la vie. La démocratie renaissante venait de prendre le bord, et les Nations Unies, qui s’étaient tenues rigoureusement sur les lignes de touche pendant que se déroulaient ces forfaits, accoururent après coup, pour arbitrer nos problèmes et gérer nos différends. Ainsi commença l’immixtion des Nations Unies dans le pays, au cours de ces dernières décennies.

D’abord, il y eu la MINUHA. Cet acronyme tient pour: Mission des Nations-Unies en Haïti. Les Nations-Unies offraient alors leurs bons offices pour négocier un règlement du conflit inter-haïtien et le retour du pays à l’ordre démocratique. C’était en été 1993. Mais devant l’inflexibilité des militaires putschistes, les Nations Unies votèrent la résolution 940, le 31 juillet 1994, ce qui l’habilitait à déployer une force militaire au pays pour faciliter les négociations et contraindre les putschistes, à entendre raison. Il n’a fallu que 77 jours après ce déploiement de forces pour aboutir au retour du président Aristide que l’on avait forcé à un exil de 3 ans.

Une fois installée au pays, l’Organisation des Nations Unies ne voulut plus en repartir. La mission de la MINUHA, une fois accomplie, elle fut remplacée par la MANUH, Mission d’appui des Nations-Unies en Haïti. Cela nécessita une autre résolution de cette institution qui fut votée le 28 juin 1996 : la Résolution 1063. En fait, Haïti, une fois débarrassée de ses Forces Armées (FAD’H), le monde, paraît-il, était devenu vivement intéressé par la professionnalisation de la jeune PNH (Police Nationale d’Haïti). On avait alors une grande appréhension quant à la possibilité que cette nouvelle force armée ne devienne un instrument aux mains du pouvoir politique d’alors. Cependant, tout se passa relativement bien. C’était alors le premier mandat du président René Préval. Mais l’ONU ne lâcha pas la bride pour autant. Au terme de la Mission de la MANUH, elle prit alors une autre résolution pour se maintenir en Haïti: la Résolution 1123, du 31 juillet 1997, qui autorisait l’ONU à demeurer au pays pour une période de 4 mois, non renouvelable, toujours dans le but de veiller à la professionnalisation de la Police Nationale d’Haïti, entre autres. Cette mission fut baptisée MITNUH (Mission de Transition des Nations-Unies en Haïti). Cette transition se passa encore relativement bien. Mais cela ne suffisait toujours pas pour rassurer la Communauté internationale. Elle voyait arriver, à grands pas, l’échéance électorale de l’an 2000 et les perspectives d’un retour de l’ex-président Aristide au pouvoir effectif. Alors, ce n’était pas le moment de lâcher la bride, bien au contraire. Vite, le 28 novembre 1997, le Conseil général des Nations-Unies vota une autre Résolution d’accompagnement d’Haïti, la Résolution 1141, pour créer la MIPONUH : Mission de Police civile des Nations Unies en Haïti.

Cette dernière mission onusienne devait durer jusqu’au mois de mars 2000. Alors, le 17 décembre 1999, l’ONU prit une autre résolution pour prolonger sa présence en Haïti: la Résolution A/54/193. Cette mission fut appelée MICAH: Mission Civile Internationale d’appui à Haïti. Selon un rapport fait au gouvernement du Canada, sur les missions onusiennes en Haïti, daté du 23 avril 2019, «La MICAH est chargée de faire valoir, encore davantage, les droits de la personne et de renforcer l’efficacité institutionnelle de la police haïtienne et du système judiciaire, en plus de coordonner et de faciliter le dialogue entre la communauté internationale et les acteurs politiques et sociaux en Haïti». Durant cette période, il y eut bien un dialogue entre les acteurs politiques et sociaux d’Haïti avec les autorités de la Communauté internationale. Cela a abouti effectivement à une balkanisation de la société et à une fracture de ses différentes composantes, ce qui s’est soldé par un autre exil pour le président Aristide. Après la MICAH, il y eut la MINUSTAH (Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation d’Haïti) autorisée par la Résolution 1542 du Conseil de sécurité, en date du 1er juin 2004. La présence des agents de cette mission nous a valu l’introduction d’une épidémie de choléra au pays qui a coûté plus de 10 000 morts et près d’un million de personnes infectées par le bacille Vibrio cholerae. La MINUSTAH traîna dans le paysage haïtien jusqu’en 2017. Cette mission fut remplacée par encore une autre Mission des Nations-Unies, la MINUJUSTH, toujours par vote d’une résolution, le 13 avril 2017. Finalement le BINUH vient boucler la boucle depuis le 16 octobre 2019, jusqu’à aujourd’hui. BINUH signifie Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti.

Toutes ces missions des Nations Unies, à part, peut-être, la MINUAH, ont généralement échoué dans leur objectif principal. Depuis 1993, le pays recule, à tous les points de vue, à la vitesse grand V. Le pays n’est pas stabilisé, malgré les missions spécifiques de l’ONU, à cet effet. Les institutions sont de plus en plus fragilisées, en dépit des objectifs particuliers de ces missions dans ce domaine. La Police est de moins en moins professionnelle, en attestent les nombreuses dérives. La Justice est de plus en plus décriée par tous les observateurs, y compris par l’actuel Président de la République, et ce, ouvertement. Les rares avancées démocratiques, comme la liberté de la presse par exemple, deviennent de plus en plus vulnérables. Des pans entiers du pays deviennent des zones de non-droit. Du point de vue de la gestion économique du pays, c’est la catastrophe. La gourde se transige à 106,50 gourdes pour 1 dollar américain, en date du 12 mai 2020 (référence: Radio Métropole Haïti). Plus de 4 millions de nos compatriotes risquent de vivre une situation de famine, s’ils n’y sont pas déjà. Pour couronner le tout, la Police Nationale d’Haïti, la pupille par excellence de toutes les missions de l’ONU en Haïti, depuis 1993, est aujourd’hui accusée des pires exactions et de plus en plus de violations des droits de la population. Cette situation n’est plus une affaire de ouï-dire. Elle est documentée, vidéos à l’appui, quand elle n’est pas étayée par des rapports de sources crédibles, différentes mais aux conclusions concordantes.

La Communauté Internationale, représentée par le CORE Group en Haïti, ne s’émeut pas outre mesure de la détérioration de la situation, à tous les niveaux au pays. Si elle le fait, c’est du bout des lèvres, juste pour dire, sans plus. Lorsque la Police bafoue les droits de la personne, l’Internationale ne dit pas un mot. Et, comme on le sait bien, «qui ne dit mot, consent» et se rend donc complice des exactions commises, de plus en plus, au grand jour et à visage découvert. Le dernier incident en date, c’est la mésaventure du citoyen Patrick Benoît, à Vivy-Mitchell, roué de coups par des policiers, alors qu’il était déjà ficelé comme un saucisson, et ce, en présence d’un commissaire de gouvernement. Par ailleurs, la PNH, cette institution chouchoutée par les diverses missions de l’ONU en Haïti, n’a pas hésité à maltraiter un journaliste de Radio-Caraïbes, dûment doté d’une autorisation spéciale de l’État pour se trouver dans les rues de la métropole, pendant le couvre-feu décrété par le Gouvernement pour une Urgence Sanitaire, en raison de son travail. Ces deux citoyens auraient pu facilement perdre leur vie, lors de ces exactions policières. En outre, des personnalités à la réputation douteuse, indexées par la population pour leur participation alléguée à des massacres de civils non armés dans plusieurs quartiers de la capitale, se font accompagner de policiers dans des activités de distribution de dons à la population, banalisant ainsi ces accusations et intimidant les victimes qui voudraient porter plainte.

Aujourd’hui, force est de constater que l’Organisation des Nations Unies a lamentablement échoué dans ses Missions en Haïti. Tout ce à quoi elle a touché au pays, au cours des ans, s’en est trouvé corrompu, vicié et désorganisé, pire qu’avant qu’elle n’entreprenne de les appuyer. La Justice haïtienne est aujourd’hui une vraie charade, une disgrâce pour le pays. Pourtant, l’ONU s’était investie officiellement de la mission de l’appuyer pour mieux performer. La Police est truffée de criminels qui se révèlent de temps à autre, au grand jour. Un ancien directeur de cette institution eut à révéler qu’il y avait des membres de ce corps qui n’avaient aucune formation et qui faisaient le sale boulot d’escadron de la mort. Personne n’a pensé à aller au fond des choses avec lui pour décortiquer et corriger la situation.

Après ce constat, il faudrait avoir le courage de dénoncer cette présence inopportune, inutile voire nuisible des Nations Unies au pays. Puisqu’elles n’ont servi à rien, sinon qu’à empirer les choses et à causer tant de dommages collatéraux, le temps est venu de demander formellement aux Nations Unies et aux autorités de la Mission actuelle, de plier bagage et d’aller sévir ailleurs, sous d’autres cieux. Notre coupe de souffrances et d’humiliations est plus que pleine. Elle déborde dans tous les domaines. Je sais que nous en pâtirons lorsqu’ils nous quitteront pour de bon. Ce sera un peu comme ce pansement qu’il faudra arracher de la plaie, pour que celle-ci puisse finalement guérir, exposée à l’air libre et au soleil de la vérité. Je sais que les espoirs, que leurs interventions suscitaient, vont certainement nous manquer au début. Mais, il arrive un moment où il faut savoir prendre notre courage à deux mains et dire basta! Ça suffit! Assez de faux-fuyants, assez de coups bas, assez de crimes ignorés et de criminels pardonnés, exonérés de toute expiation de leurs fautes! L’ONU ne nous a rien apporté d’inspirant. Autant braver nous-même les temps difficiles qui s’annoncent à nous. Quitte à en baver un bon coup pour finalement repartir d’un bon pied.

Pierre-Michel Augustin

le 12 mai 2020

Références et crédits:

– Métropolehaiti.com: taux de la gourde au 12 mai 2020;

– L’ONU en Haïti, synopsis, par Jean Ledan fils, Le Nouvelliste du 2017-10-06;

– Mission des Nations Unies en Haïti: rapport au Gouvernement du Canada, date de modification : 2019-04-23.

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